Crèche et école

Les parents et les profs se regardent-ils toujours en chiens de faïence ? Où le dialogue achoppe-t-il principalement ? Le Ligueur a écouté les uns et les autres, convaincu que la rencontre est possible, aussi étroite soit la passerelle. Si chacun y met un peu du sien, évidemment…
À l’entrée de l’école
Pierre, instit’ depuis dix ans, 1re et 2e années :
« Le matin, je suis dépassé ! »
Presque chaque matin, je vois des mamans, des papas qui tentent de m’agripper alors que je suis au milieu d’une nuée de gosses qui courent dans tous les sens et que je dois accueillir. J’imagine que ces parents se sentent mal écoutés, que certaines questions sont vraiment urgentes. Mais comment puis-je distinguer celles qui sont importantes de celles plus accessoires ? Bien sûr, les parents sont anxieux quand ils déposent leur petit (surtout à la rentrée des classes !) et auraient besoin de quelques mots d’apaisement. Mais, par pitié, qu’ils me demandent un rendez-vous via le journal de classe, même si c’est pour une question qui leur paraît un détail. Il n’y a jamais rien d’anodin quand il s’agit du bien-être d’un môme.
Sarah, instit’ depuis quinze ans, 5e année :
« Rendez-vous à 15h30 ! »
Je suis toujours là, à 15h30, à la sortie de l’école. Je veux ainsi montrer ma disponibilité aux parents, d’autant plus que je travaille dans une école où beaucoup de mamans et de papas ont des difficultés financières et culturelles. Le parvis de l’école reste pour eux un lieu difficile à franchir (Bien sûr, je suis consciente que ceux qui travaillent ne peuvent être présents à cette heure…). Pour être plus proche de ces mères (surtout !) et de ces pères, je leur parle aussi de mon quotidien, de mes enfants, de mes petits soucis qui ressemblent quand même aux leurs. « Ah, lui aussi est trop collé à son écran ? ». Ça détend tout le monde, ça nous place sur un pied d’égalité.
Maude, 28 ans, maman de Valentin, 8 ans
Je suis une hyper-angoissée, je sais. Et parfois, j’ai juste besoin d’entendre quelques mots du prof pour pouvoir aller l’âme plus allégée au boulot. En fait, je me fais du bien. (Silence) C’est peut-être un peu égoïste, non ?
Faites-moi confiance, racontez-moi…
Delphine, instit’ depuis huit ans, 3e et 4e années :
« L’histoire de Malia… »
Bien sûr, quand l’enfant ne va pas bien, on le voit, mais on ne comprend pas toujours pourquoi, surtout quand la cause se trouve hors les murs de l’école. Et c’est là qu’on a besoin des parents. Eux seuls savent ce qui se passe au sein de la famille. C’est comme la petite Malia qui, depuis plusieurs semaines, n’était plus que l’ombre d’elle-même. Quand sa maman m’a dit que le petit frère avait été en soins intensifs, j’ai tout de suite compris. Si on me l’avait dit plus tôt, j’aurais pu mieux soutenir cette petite, même aménager son travail…
Olivier, instit’ depuis douze ans, 1re et 2e années :
« Des devoirs pour échanger »
Je sais, les devoirs sont totalement interdits dans les petites classes, mais les parents le demandent. Et surtout, surtout, c’est un bon moyen de communication pour garder le lien avec des mamans et des papas qui n’entrent presque jamais dans l’école. Au moins, ils voient ce que l’on y fait… Alors, j’en donne, mais très courts, et je n’en tiens pas compte dans les cotes.
Marie, 33 ans, maman de Sophia et Victoria, 5 et 9 ans :
« Sur la pointe des pieds… »
J’ai toujours eu le sentiment que les professeurs sont très susceptibles. J’avoue que je fais tout pour ne pas heurter l’institutrice de mon aînée et, quand je lui adresse la parole, je marche sur des œufs. C’est assez fatigant. Mais j’ai tellement peur des représailles contre ma fille si un jour je la froissais.
Amine, 35 ans, papa de Félix, 7 ans :
« Comme une amie ! »
Le meilleur moyen de nouer un dialogue avec l’institutrice de mon fils, c’est blaguer avec elle, raconter ses petites histoires du week-end... Ça crée une intimité, une confiance.
Fred, instit’ depuis dix-huit ans, 6e année :
« La peur nous sépare »
C’est la peur de part et d’autre qui dresse un mur entre les parents et nous. Nous, parce qu’on ne nous a jamais appris (et c’est encore vrai aujourd’hui) comment s’adresser à un adulte (la plupart des profs n’ont jamais grandi et mûri qu’entre les murs d’une école), eux parce que nous représentons soit l’autorité, celui qui sait, l’omnipotent… soit, un simple animateur, mais qui a des sanctions dans son sac à malices !
Manu, 39 ans, papa de Pierre, 8 ans :
« Un lien… numérique »
La madame de Pierre utilise une appli pour smartphone et internet. Elle fait des photos, poste des petits messages informatifs, renseigne sur les prochaines activités. C’est simple et ça fonctionne : il y a un lien qui s’est créé.
Je veux qu’on m’écoute…
Alexandra, instit’ depuis vingt-sept ans, 3e et 4e années :
« Ils protègent leurs parents… »
C’est difficile d’identifier ce qui va mal, surtout quand on n’a pas de retour du côté des parents. C’est encore plus compliqué de le leur dire. Je comprends, ce n’est pas agréable d’entendre que leur môme de 9 ans est plongé dans des programmes pornos ou de torture parce que, dans sa chambre, il est face à l’ordi toute la soirée et en fait ce qu’il veut. Et puis, les enfants gardent bien leurs secrets. Comme cette petite fille qui refusait de dire qu’elle était victime de cyber-harcèlement pour ne pas effrayer ses parents. Mais des choses aussi graves se répercutent sur l’ensemble de la classe. On doit alors faire appel à un tiers, la cellule mobile de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour démêler les choses et venir en aide à l’enfant.
Aline, instit’ depuis vingt ans, 5e année :
« Je rêve d’une enveloppe sous scellés »
Une grand-mère en train de mourir, une mésentente entre copains, une mésaventure sur le net, le début d’un apprentissage… autant de situations qui, je le sais, risquent de provoquer des problèmes chez certains enfants. Je veux anticiper une solution, mais les parents, la plupart du temps, ne m’écoutent pas. Faut-il leur donner une enveloppe sous scellés avec les infos pour qu’ils agissent enfin ?
Karima, instit’ depuis cinq ans, 1re et 2e années :
« Je veux le bien de l’enfant »
Ça a l’air banal, mais j’ai envie de dire aux parents : « Moi aussi, je veux le bien de votre enfant ». Je trouve qu’un des grands problèmes aujourd’hui, c’est que les parents idéalisent leur môme et par là même, décrédibilisent l’enseignant à ses yeux. Difficile d’instaurer un échange franc dans ces conditions-là.
Julien, papa d’Émilie, 10 ans :
« J’attends toujours un geste »
Ma fille souffre de troubles de l’apprentissage et j’attends toujours que son institutrice mette en pratique les solutions proposées par les neurologues. Des choses faciles, pourtant. Comme la placer au premier rang dans la classe, lui donner quelques minutes en plus, ne pas lui distribuer des photocopies recto-verso. Cette enseignante n’est décidément pas à mon écoute !
En bref
L’école ne peut pas tout faire
Les parents auraient-ils trop d’attentes de la part de l’école ? C’est si vite fait de tomber dans le piège des « Yaka ». Pourtant, aujourd’hui, les établissements sont nombreux à prévoir des temps collectifs, toutes classes confondues, autour du projet pédagogique ou au sein de la même classe pour entendre le professeur expliquer ses pratiques. Autant de face-à-face qui permettent de parler plus longuement des difficultés de l’un ou l’autre enfant, ce qui ne peut que faciliter l’échange avec les parents.