Développement de l'enfant

Pas d’erreur : votre ado est possédé

Vous vous étiez fait à son air maussade (enfin, surtout en votre présence), à son nouveau look très décalé, à tendre l’oreille pour deviner le sens de ses borborygmes, à éviter de commenter l’état de sa chambre. Cette fois, vous n’y comprenez plus rien : il a tout laissé tomber (mais pas sa console), car « ça ne sert à rien ». Ce matin vous vous rendez à l’évidence : l’être souriant et câlin d’autrefois s’est transformé en une créature qui vous ferait presque peur. Et là, c’est… vous qui pétez les plombs !

Vous en aviez entendu parler. Les yeux mouillés de tendresse pour votre petite merveille, vous étiez plein de compassion lorsque vos amis, épuisés, évoquaient les passes d’armes qu’était devenue leur vie de parents. Et puis ça vous est arrivé, à vous aussi. Il vous contredit sans cesse, persuadé de tout savoir mieux que vous. Il dort. Il se demande si vous ne seriez pas un peu demeurés, bons pour la casse. Il ne s’anime qu’en présence des copains. Il veut sortir tout le temps, mais à la maison il est apathique. Il ricane franchement avant que vous n’ayez terminé vos longues tirades. Il dort encore. Pris en flagrant délit de mensonge, il assène un « détends-toi » plein de morgue. Il dort toujours. Vous avez parlé, crié, fait preuve d’autorité. Coupé le wifi à 21h (plus personne ne vous parle à la maison), interdit les sorties et même la glace à la vanille. En fait, il souffre. Et vous, vous ne dormez plus.

Ras-le-bol ? Pas de honte à avoir

Il est ingrat, il devient insolent. Il est entré en résistance. Il cherche à rebondir, il explore les limites de son corps, de ses potentialités. Il est en train de passer de l’enfance à l’âge adulte. Il est en pleine mue, la puberté (entre 10 et 14 ans chez les filles et 12 à 16 ans chez les garçons) a signé son entrée dans l’adolescence, il change, dans son corps et dans sa tête.
Doutes, hésitations, éclats : dans La souffrance des adolescents, aux Éditions La Découverte, Philippe Jeammet rappelle que ces progrès sur la voie de l’autonomie sont parfois émaillés de périodes de stagnation ou de régression. La famille entre en zone de turbulences, première touchée car c’est de ses parents que l’adolescent doit se détacher : il est en recherche d’autonomie. Ici, le conflit est salutaire, la confrontation utile.
La coupe est pleine, il vous rend dingue. Cette envie de le mettre dehors, vos colères, vos déceptions, il vous rend triste. Les comportements transgressifs débordent à l’extérieur. Vous êtes en état de choc, souvent démunis, pas d’accord sur la réaction à avoir ou seul(e) à tout prendre de front.
Il n’y a pas de honte à avoir. Ne vous repliez pas sur vous-même, n’hésitez pas à faire intervenir des tiers extérieurs, d’autres adultes ou des professionnels. Cette période est difficile pour les parents, eux aussi doivent lâcher, accepter que leur petit évolue.

Être créatif dans la communication

Son corps change, l’ado se sent parfois gauche, maladroit, gêné par toutes ces transformations : il se demande s’il est normal. Pour vous, une ère d’observation vient de commencer. Comment l’accompagner ? Se faire respecter sans le bloquer ? Faut-il agir ? Une suggestion : empruntez des chemins créatifs. À deux, partagez les rôles. Solo, trouvez du soutien auprès des proches. En pratique :

► Fixez les limites et réaffirmez les règles. « Avec Diego, j’ai eu l’impression de parler dans le vide. Ou qu’on ne parlait plus la même langue. Il a fallu répéter cent fois ce qui avait été évident jusque là. Les heures de sortie, surtout. Mais j’ai tenu bon, je suis restée le chef chez moi ». Milena
► Ne craignez pas l’affrontement, ne fuyez pas les conflits : acceptez la discussion, entendez ses opinions. « Les repas sont l’occasion d’échanges qui tournent parfois au vinaigre. Nos ados de 12 et 15 ans peuvent se montrer extrêmes, voire extrémistes. Parfois, on laisse tomber, on aspire au calme ». Sandra et John
► Lui laisser de l’air. Il s’éloigne, vous le voyez foncer droit dans le mur. Résistez à votre envie de lui épargner des déconvenues. « Mathilde n’a pas voulu qu’on l’aide à choisir ses options. Impossible d’argumenter. Je savais qu’elle ne s’en sortirait pas, j’ai dû la regarder se casser les dents ». Emilia
► Respectez son intimité. Il ne vous dit pas tout, il protège sa vie privé. « Il a une copine depuis la rentrée. Je suis plutôt content, mais je l’ai appris par le père d’un copain. Il préfère en parler avec d’autres adultes, avec moi, ça le gêne ! ». Dario, papa de Luca, 17 ans
► Profitez des moments d’accalmie, abordez les questions sensibles. « Florelle, ma sœur, pensait qu’il fallait accepter n’importe quoi pour être admise dans sa nouvelle bande d’amis. Elle passait tout son temps avec eux, sans prévenir à la maison. Elle s’est mise en danger, elle essayait plein de trucs. J’ai six ans de plus qu’elle : j’ai proposé aux parents de lui parler ». Yannick
►Protéger, accompagner, encourager : restez calme et positif, ça va passer, vous êtes son meilleur allié !

Réinventer les rites

On déplore aujourd’hui la disparition des rites initiatiques, les épreuves qui marquaient l’accès au statut d’adulte. Mais pour Philippe Jeammet, il faudrait plutôt parler de démultiplication des rites, qui ne sont plus validés par la communauté, mais par un cercle plus restreint : examens scolaires, fêtes religieuses, séjours linguistiques, permis de conduire…
Quels sont les ingrédients « universels » des initiations ? « Peu importe les cultures, les composantes demeurent les mêmes, dit Aboude Adhami psychologue. Tout d’abord vient l’isolement. Le jeune est extrait de sa famille, mis à l’écart, avec ses pairs. Aujourd’hui aussi, les ados se retrouvent en bandes, à l’abri du regard des adultes. Ils partagent un langage, une façon d’être. En second lieu, l’aspirant initié est soumis à l’épreuve dans un lieu secret et sacré. Mis en danger, plongé dans état de conscience modifiée (substances hallucinogènes), il expérimente la transgression. Même s’il s’agit d’un simulacre, il symbolise la frontière entre la vie et la mort. C’est l’âge des comportements extrêmes, des conduites dangereuses, des passages à l’acte à caractère morbide, des marques sur le corps, piercings, tatouages... Les jeunes trouvent et inscrivent les traces qui traduisent leur état. Enfin, vient l’accession à un nouvel état de conscience, l’accueil dans le groupe, l’appartenance. Lorsque tout est terminé, la jeune est initié, il n’y a pas de retour en arrière ». Il entre dans le monde des adultes : une autre étape commence.



A. K.

À lire

  • La souffrance des adolescents. Quand les troubles s’aggravent : signaux d’alerte et prise en charge, P. Jeammet et D. Bochereau, Éditions La Découverte.
  • Ados en vrille, mères en vrac (Albin Michel, 2010). Dans cet ouvrage, Xavier Pommereau évoque de façon pratique les moyens de reconnaître les troubles en lien avec l’adolescence et se faire aider.
  • Rites de passage et adolescence, de Jonathan Ahovi et Marie Rose Moro. Évocation des rites de passages et des mythes qui les mettent en récit, dans Adolescence 4/2010 (n° 74) (sur www.cairn.info)

Aller plus loin

  • Toutsurmonado : un blog avec des trucs et astuces de parents pour dédramatiser et trouver des réponses à vos questions.
  • Love Attitude, le portail des Centres de planning familial en Wallonie et à Bruxelles.
  • L’Office de l’Enfance, de la Jeunesse et de l’Aide à la Jeunesse répertorie de nombreuses associations et services pour les parents et notamment des groupes de parole.
  • Le 103, accessible gratuitement de 9 heures à 24 heures, pour tous les enfants et adolescents qui éprouvent le besoin de parler, de se confier parce qu’ils ne se sentent pas bien, qu’ils vivent des choses difficiles, qu’ils sont isolés, qu’ils se sentent en danger…

Elle en parle...

Je n’ai pas fait de crise

« Mes parents sont séparés. Je n’ai pas eu besoin de m’opposer ni à l’un ni à l’autre. J’étais assez libre, notre relation était basée sur la confiance. Il fallait que je travaille bien à l’école. Bien sûr, il y a avait parfois des tensions, mais, en général, on pouvait parler, mes amies étaient les bienvenues. Nos parents étaient amis ; je pense que mine de rien, on pouvait faire passer des messages par les autres. »
Lula, 22 ans

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