Société

Plongée dans la Prison Box à Libramont : le parcours d'une chargée de projet en Éducation permanente

Le projet Prison Box décrypté à travers une visite

Après avoir fait étape à Bruxelles, Forest, Nivelles et Namur, la Prison Box a fait escale à Libramont-Chevigny du 7 au 28 novembre 2024. Pour son cinquième déplacement, c’est au cœur des Ardennes qu’elle s’est installée, là où les gens ont l’accent chantant, un franc-parler sans détour et, paraît-il, se déplacent à dos de sanglier. Oui, je taquine, mais gentiment : je peux me le permettre, j’y suis née et j’y ai grandi.

Quand j’ai conçu ce tout premier projet à la Ligue des familles, je ne m’attendais pas à ce qu’il prenne autant d’ampleur, qu’il me bouscule autant sur un sujet dont je ne savais rien ou presque. Et surtout, il y a trois ans, je n’aurais jamais imaginé que cette exposition s’installerait un jour à Libramont.. et y rencontrerait un tel succès !
Grâce à un travail combiné entre le centre culturel de Libramont, le centre d’action laïque Luxembourg et la précieuse communication du relais local de la Ligue des familles de Libramont, ce ne sont pas moins de vingt visites de groupes qui ont été organisées en trois semaines.

Démêler les préjugés pour mieux informer

Chaque visite a été l’occasion de provoquer des échanges, de susciter des questionnements sur une réalité méconnue, invisible et souvent entourée de tabous : celle des familles et des proches de détenu·es. Par exemple, en posant cette question à un groupe : « Mais à quoi ça sert la prison ? ». – « Ben, m’dame, suffit de commettre un meurtre et on est logé et nourri, c’est cool ! ». [regard noir de l’accompagnateur]. Ah, la fougue adolescente, J’A-DO-RE ! Merci à toi, jeune homme, d’avoir sous couvert de blague, dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Ça me facilite le travail pour démêler le préjugé, apporter de l’information pour déjouer les « on-dit ». Le cœur de l’Éducation permanente, quoi !

Les femmes, premières victimes collatérales du système pénitentiaire

C’est mon brise-glace préféré : « Selon vous, quel est le pourcentage d’hommes et de femmes en prison ? ». Silence… L’effet de groupe rend timide. Et puis un « 60% d’hommes – 40% de femmes ? ». Plus d’hommes, dis-je. « 80-20 ? ». Plus. « 90-10 ! ». « 95-5 ?». Regards interloqués. En Belgique, il y a 97% d’hommes incarcérés et 3% de femmes, ce qui fait que de facto les familles à l’extérieur sont portées par des femmes. Miroir grossissant de notre société genrée.
Ce sont donc des femmes (mères, conjointes, sœurs…) qui vont s’investir pour maintenir les liens familiaux. Gérer le budget du ménage qui s’est vu amputé de moitié et alourdi par les quelque 250€ mensuels donnés en cantine* aux détenus. Se retrouver famille monoparentale, mais sans la reconnaissance d’état, et voir leur charge mentale exploser.

Une animation pendant l'exposition Prison Box

Un système qui repose sur les familles, mais ne les soutient pas

Le système pénitentiaire s’appuie sur les familles pour la réinsertion des détenu·es : avoir un toit, des liens sociaux pour retrouver un travail est inestimable pour un ex-détenu. Pourtant, ces familles font face à une série d’obstacles. Les prisons sont éloignées des centres-villes, aller en visite avec les temps cumulés de trajet « aller-attente extra-muros-attente intra-muros-temps de visite-trajet retour » prend généralement une après-midi entière.
Je reclarifie ces éléments après l’écoute d’un témoignage. En cercle, les oreilles sont toutes attentives, et une voix s’élève : « Oui, je me retrouve dans ce qu’elle dit. J’ai connu la prison en tant qu’enfant avec mes frères et sœurs. J’avais 8 ans. Ma maman a dû passer à mi-temps pour nous élever. Ce qui n’est pas dit, c’est aussi la difficulté d’une mère à maintenir ce lien. Tous les samedis après-midi à attendre en prison quand moi, j’aurais préféré aller à mon cours de danse. Ma mère a fait preuve d’énormément de patience avec nous pour nous faire comprendre l’importance d’aller voir papa ».

Parent en prison : maintenir le lien malgré la détention

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Parent en prison : maintenir le lien malgré la détention

L’impact d’une sensibilisation locale

C’est ma mère qui a communiqué à l’ancienne sur ce projet et passé plus d’une vingtaine de coups de téléphone – je vous avais dit que Libramont c’était mon bastion ? Trois visites de monsieur et madame Tout-le-monde qui n’auraient probablement jamais touché à ce sujet de société sans elle. Un autre jour, c’est une petite dame de plus de 80 ans qui franchira la porte du centre culturel. Menue et bien apprêtée, elle n’aurait jamais osé faire cette visite seule, elle qui connaitra bientôt la vie de « famille de détenu », elle qui demande un nouveau témoignage à écouter, elle qui s’inquiète du coût de la cantine qu’elle découvre, qui se questionne sur les visites et les remises de peines. Car il n’y a pas de mode d’emploi pour les familles.

* La cantine est le système mis en place pour que les détenus aient accès à de l’argent. Les familles déposent une certaine somme qui est accessible de l’intérieur de la prison. Étant donné que seul·es 40% des détenu·es travaillent en prison et qu’un temps-plein est payé 150€/mois, le soutien familial est extrêmement précieux. Surtout quand on sait qu’une communication téléphonique revient à quasi 1€ la minute et qu’un shampoing à la prison de Haren coûte 8€…

DÉCRYPTAGE

Mais, au fait, la Prison Box, c’est quoi ?

C’est une exposition immersive qui donne la parole aux familles de détenu·es. À travers des vidéos et des témoignages audios, elle met en lumière les difficultés tant psychologiques, économiques que géographiques que les familles rencontrent à vivre la prison de l’extérieur. Le concept de la Prison Box est simple : pour comprendre ces familles, il faut soi-même faire un détour symbolique par la case prison.

► La Prison Box est un projet porté par la Ligue des familles dans le cadre de ses actions en Éducation permanente avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

En savoir +

À ÉCOUTER

La prison laisse des traces, souvent invisibles, que ces familles ont eu le courage de partager en dévoilant leur quotidien. 

Pour découvrir leurs témoignages, rendez-vous ici

POUR ALLER + LOIN

Un système impossible à changer ?

La loi de principe de 2005 qui n’est toujours pas amendée, mise à l’agenda et toujours supplantée par d’autres sujets (hum.. ça fait vingt ans quand même) n’est pas une fatalité, mais un choix politique. La prison qui doit être la solution envisagée en dernier recours est bien souvent un réflexe pour les magistrat·es et allant de soi pour les politiques sécuritaires. Et ce malgré toutes les études des associations actives en prison.
Une fatalité ? Pas chez nos voisins hollandais en tout cas, car entre 2013 et 2018, c’est plus de 29 prisons qui ont fermé. Et leur population carcérale a chuté de plus de 50% passant de 20 463 en 2006 à 9 315 en 2018. Alors que chez nous, rien qu’entre 2022 et 2024, la population carcérale est passée de 11 000 à 12 400 détenu·es.