Santé et bien-être

Porno, éducation sexuelle des ados malgré eux

Pour un certain nombre d'ados, le porno est la référence en matière de sexe, avec toutes les dérives que cela comporte

De l’enfance à l’adolescence, normal qu’un·e jeune se pose davantage de questions sur les changements corporels et émotionnels à l’œuvre, sur la recherche de son identité de genre, sur la manière dont il/elle entre en relation avec les autres, et aussi sur sa sexualité. Si cette dernière ne doit pas être un tabou en famille, le porno non plus, compte tenu de la place qu’il tient sur le web. Optenet, une société spécialisée dans la sécurité informatique, estime d’ailleurs que des contenus pornographiques occupent près de 37% des pages web.

L’impact des images pornographiques est a priori moindre chez l’adolescentꞏe que chez l’enfant, décrit Alain Héril, sexothérapeute, dans la revue L’école des parents en 2016, à condition que l’ado vive au sein d’une famille où la parole circule librement et où la sexualité n’est pas tabou. Néanmoins, après un premier contact avec le porno, les enfants qui glissent vers l’adolescence cherchent des images de plus en plus transgressives, et ce, afin d’y trouver un plus grand plaisir, décrit la psychopédagogue Marta Crespo Garcia dans un article de 2022. Cette pratique peut affecter sur le plan relationnel et interpersonnel de plusieurs façons, car leur cerveau n’a pas encore terminé d’établir une carte de la sexualité définitive.
« Même les ados qui ont déjà une certaine expérience de la sexualité prennent ces images pour une sorte de mode d’emploi, regrette Anne de Labouret. Ils en parlent plus facilement qu’étant enfant, mais ils restent dans un fantasme pur et repensent leurs futures relations sexuelles sur base des images qu’ils consomment. Le porno mainstream les enferme dans un modèle auquel ils se sentent obligés de se conformer. »
Et en matière de porno, les jeunes s’y connaissent. « Plus que moi, admet Élodie Ledoux, chargée de projet chez O’Yes, une asbl bruxelloise active dans l’éducation et la promotion de la santé sexuelle. En termes de vocabulaire, par exemple, ils connaissent toutes les catégories, les pratiques sexuelles présentes dans la pornographie mainstream. C’est déconcertant, car on imagine le temps qu’ils et elles passent à éplucher ces pages web. Il faut donc vraiment encadrer leur utilisation, vu que la loi ne le fait pas ».

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Sensibiliser plutôt qu’interdire

Sans être pour la diabolisation de la pornographie qui peut être un support d’excitation intéressant selon des choix personnels, O’Yes plaide pour que sa consommation soit mieux balisée, que la culture pornographique ne soit pas tabouisée, mais bien présentée aux jeunes dans une approche pédagogique. L’association mène des animations Évras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et fait s’exprimer les jeunes sur les clichés véhiculés par le porno grand public avec son outil pédagogique « Ça tourne ». À savoir un sac qui comprend une vingtaine d’objets, chacun représentant un cliché véhiculé par la pornographie mainstream.
« Par exemple, il y a une Barbie. Lorsqu’un jeune la tire du sac, le débat est généralement très tranché. Ils/elles réagissent rapidement en expliquant que le porno ne montre que des corps parfaits, sans poils, sans cellulite. Certains clichés sont plus évidents que d’autres, mais il faut rappeler aux ados qu’il ne s’agit que de fiction, que comme tout autre film, il y a un scénario derrière les images qu’ils/elles regardent, que ce n’est pas la réalité. Ça a l’aspect de la vraie vie, mais la sexualité ne se déroule pas comme ça dans la réalité. »

Anne de Labouret - Co-autrice de Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse
« Les jeunes enfants vont aller voir ce qu’il y a de plus trash sur le web. Ils sont curieux par instinct sur la sexualité »
Anne de Labouret

Co-autrice de Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse

La chargée de projet note au passage que cet outil n’est jamais utilisé dans les écoles, mais uniquement dans les plannings familiaux ou lors de parcours Évras. « Cet outil est souvent très bien reçu, mais on ne force jamais un·e jeune à parler de pornographie. Si, en animation, on comprend qu’il/elle n’a jamais vu de porno, on peut tout de même utiliser cet outil en prenant appui sur les scènes de sexe qu’on croise au cinéma ou dans les séries. Mais effectivement, sans avoir un regard exhaustif sur ce qui se fait en matière d’Évras dans le milieu scolaire, je n’ai jamais entendu parler d’animation qui aborde la question de la pornographie à l’école ».
À propos d’école, la polémique entourant le futur « Guide Évras » à destination des professionnel·les de l’éducation n’a pas aidé le secteur de l’Évras à défendre l’éducation à la vie sexuelle dans les écoles. On commence à y introduire la question du consentement, en plus des traditionnelles contraceptions et infections sexuellement transmissibles, mais certain·es opposant·es considère qu’il s’agirait de mettre des idées dans la tête des jeunes, de leur donner envie de sexe. Un peu trop tôt pour sensibiliser à la pornographie à l’école donc.
« Les pédopsychiatres qui sont contre le guide pensent, par exemple, qu’au lieu d’aborder la pornographie lorsque les jeunes ont 15 ou 16 ans, il faut leur dire qu’on leur en parlera lorsqu’ils/elles seront adultes, déplore Élodie Ledoux. Ça ne marche pas comme ça. On a tou·tes une vie sexuelle et il vaut mieux préparer nos enfants maintenant, car on n’interdira jamais la pornographie. L’éducation à la vie sexuelle, c’est la seule manière de prévenir d’éventuels délits ou des addictions qui valent aussi dans le cas de la pornographie. »

Le porno féministe, une solution ?

À côté de la pornographie mainstream, un porno dit « éthique » explose ces dernières années. Portée par des productrices comme la Suédoise Erika Lust ou, en France, Ovidie, cette nouvelle vague de contenu pornographique propose une représentation de la sexualité plus respectueuse de la femme et considère aussi la question essentielle du consentement. Sa consommation chez les jeunes reste encore marginale car, le plus souvent, le porno féministe est payant et non en libre accès, contrairement au porno mainstream.
Pour Anne de Labouret, les enfants ne vont pas se tourner naturellement vers ce genre de porno tant qu’il reste réservé aux connaisseurs et connaisseuses et aux personnes qui ont déjà mené un parcours vers la déconstruction. « Les jeunes enfants vont aller voir ce qu’il y a de plus trash sur le web. Ils sont curieux par instinct sur la sexualité ».
Chez les ados, la chargée de projet au sein de l’asbl O’Yes considère les bénéfices du porno féministe. « J’invite les gens que je forme pour les animations Évras à le citer comme une alternative à la pornographie mainstream. Le porno féministe ne met pas en valeur la performance, la pénétration comme absolu ou l’orgasme comme apogée, mais montre de vrais corps, non pas une image du corps perfectionnée ».
Autre médium, le porno audio permet quant à lui de recréer un imaginaire sexuel sain et créatif, déconnecté de l’image. Et contrairement au porno féministe ou éthique, il est le plus souvent gratuit. « C’est une solution qui peut s’avérer utile dans des cas d’addiction au porno chez des ados, relève Élodie Ledoux. Après, tout dépend de l’âge, mais avec des ados plus âgé·es, qui ont déjà une certaine expérience sexuelle, qui peuvent volontairement rechercher du porno, je ne trouve pas que c’est un drame de leur dire que ces alternatives existent, sans forcément leur donner de références. La curiosité, il/elles l’ont. Les recherches, ils/elles les feront bien seul·es ».

EN SAVOIR +

Quelques ressources utiles pour les parents

 

  • Le livre Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse d’Anne de Labouret et Christophe Butstraen, paru aux éditions Thierry Souccar, propose à la fois des solutions techniques pour limiter l’exposition des plus jeunes aux images pornographiques, mais aussi des moyens pour ouvrir le dialogue et permettre une saine communication avec vos enfants, qu’ils aient ou pas déjà été en contact avec du porno.
  • Si l’anglais n’est pas un problème pour vous, le site ThePornConversation peut être une ressource très intéressante pour toute la smala. Projet à but non lucratif créé par Erika Lust, la réalisatrice de films pornographiques féministes dont nous vous parlions plus haut, ThePornConversation fournit des outils gratuits et éducatifs à destination des familles, mais aussi des écoles, avec le soutien d'expert·es et de sexologues afin d’aider à redéfinir le discours autour du porno dans une atmosphère bienveillante. On notera surtout les guides conversationnels édités par classe d’âge. L’initiative encourage à engager cette conversation au plus tôt et propose des conseils pour que tout le monde se sente à l’aise d’en parler. Car si la question est délicate pour vous, votre enfant embraiera le pas et se sentira tout aussi mal à l'aise.