Développement de l'enfant

Entre 3 et 6 ans, l’enfant découvre son corps. Motivé par la recherche du plaisir ou d’un apaisement, il explore. Et c’est tant mieux. Encore faut-il y ajouter la notion de l’intime pour que cela se passe dans les meilleures conditions.
S’il y a bien une chose qu’aime faire Delphine depuis qu’elle télétravaille, c’est aller rechercher sa marmaille à l’école. Et plus encore, l’épier ce court laps de temps entre lequel elle repère ses chérubins sans qu’eux ne l’aient encore aperçue.
C’est ainsi qu’un mardi confiné comme les autres, Delphine guette sa petite Zélie, 4 ans, à la fenêtre de la garderie. Elle est au centre de la pièce où grouille une cinquantaine d’enfants, attablée avec deux petits copains. Au milieu de tous ses petits camarades, Zélie gigote, elle se balance d’avant en arrière. Son visage est rouge, concentré sur le plaisir que lui procure ce mouvement.
« Toute petite, déjà, les puéricultrices de la crèche nous avaient dit qu’elle se frottait au sol lorsqu’elle était en position assise pour se donner du plaisir, raconte sa maman. Je ne voulais pas trop le croire, mais j’ai été témoin de la scène lorsque nous avons remplacé le maxi cosy par un siège auto. Elle répétait souvent ce mouvement pendant les trajets. Et puis nous avons encore changé de siège auto vers ses 3 ans pour passer au modèle plus grand et, depuis, cela s’était arrêté. Mais le balancier est revenu récemment. En soi, ça ne me pose pas de problème. En revanche, découvrir qu’elle le fait à l’école, entourée de tous ses petits copains, ça m’a fait mal au cœur. Elle a 4 ans et demi et je n’ai pas envie que cette habitude l’empêche de vivre d’autres aventures. »
Ma fille se masturbe, c’est grave, docteur ?
Pour Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre et professeur à l’UCLouvain, la petite Zélie a recours à une stimulation auto-érotique. Monique Meyfroet, psychologue clinicienne, confirme : « On est vraiment dans la découverte du plaisir à travers ce mouvement de balancement. Je ne nommerais pas cela de la masturbation, mais plutôt un comportement d’autosatisfaction que l’on peut trouver déjà très jeune chez l’enfant qui stimule certaines zones érogènes ». « On parle de masturbation lorsqu’il y a une caresse ciblée et précise sur la vulve ou le pénis, ce qui n’est pas le cas ici », complète Jean-Yves Hayez.
Que l’on parle de masturbation ou d’autostimulation, tout comportement guidé vers la recherche du plaisir est souvent tout à fait banal, rassurent nos experts. Dès le plus jeune âge, l’enfant expérimente la réalité du plaisir d’abord par la bouche lors du stade oral, puis plus tard avec les pipis et cacas lors du stade anal.
Entre 3 et 6 ans, l’enfant entre dans la phase œdipienne, c’est-à-dire qu’il s’intéresse à la constitution sexuée de son corps et à celle du sexe opposé, via ses pairs et ses parents. À cet âge-là, l’enfant découvre, explore et prend un certain plaisir, mais ne se représente pas encore son sexe comme quelque chose qui lui est propre et permanent.
« Tant mieux si cette petite fille a découvert un moyen de se donner du plaisir, observe Monique Meyfroet, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le cadrer ». Et c’est là tout l’enjeu : apprendre aux enfants qu’il y a des moments et des lieux propices et d’autres non. Mais comment parler de l’intime à un enfant de 4 ans ?
Florence Hermans, animatrice Évras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle), suggère quelques pistes. « Ce qui me paraît important dans un premier temps, c’est de ne pas culpabiliser l’enfant. On évite ainsi qu’il considère ce comportement comme quelque chose de mal. Pour parler de l’intime, on peut utiliser l’image de la cabane en expliquant que c’est un espace qui n’appartient qu’à lui, dans lequel il se sent bien et où il peut faire ce qu’il aime. Mais chacun a sa propre cabane ».
Monique Meyfroet observe chez les parents une certaine réserve à parler du plaisir, surtout celui lié à la sexualité avec leurs enfants. « De la même manière qu’on peut lui expliquer qu’on ne mange pas tout le paquet de bonbons, on peut expliquer à l’enfant que, lorsqu’il se balance ou se touche, il se fait plaisir, ce qui est normal, mais que cela ne se partage pas avec tout le monde. Et lui dire : ‘Je peux le savoir, mais je ne peux pas le partager avec toi. Ce que tu fais, c’est quelque chose d’intime qui t’appartient’. »
« Je veux chatouiller mon nounou quand je veux, partout »
En intégrant la notion d’intimité, l’enfant apprend qu’il existe des codes sociaux qui régulent la manière dont peut se comporter ou non une personne en groupe. Cela fait partie de la socialisation. Dans ce cas-ci, l’enfant assimile qu’il ne peut pas faire les mêmes choses seul ou en groupe.
Marc, papa d’Olivia, se souvient de ce moment charnière d’intégration des codes sociaux. « Dès qu’elle avait un coup de fatigue, Olivia se couchait et se frottait l’entrejambe avec un doudou. Elle pouvait faire ça n’importe où, peu importe qui était là. Vers l’âge de 3 ans, on a essayé de lui expliquer qu’elle avait le droit de le faire, mais seulement quand elle était seule. Mais la règle n’a pas été bien admise, je la revois encore crier : ‘Je veux chatouiller mon nounou quand je veux, partout’. C’était comme un réflexe. Puis, il y a eu une phase transitoire, où elle se cachait derrière le divan pour le faire. On a lu ensemble un livre de la collection Mes p’tits docs (ndlr : éditée chez Milan) sur le corps humain qui abordait la notion d’intimité et de plaisir. Je pense que ça l’a aidée, un peu comme si c’était la confirmation de ce que nous lui disions depuis des mois. Comme pour tous les apprentissages, ça ne vient pas du jour au lendemain, il a fallu plusieurs mois pour réfréner sa pulsion, un peu comme l’enfant qui se gratte le nez ou suce son pouce. Aujourd’hui, Olivia a 7 ans et je crois qu’elle continue de le faire comme rituel pour s’endormir, mais je n’en suis pas sûr, ça fait partie de son intimité désormais. »
Certains enfants auront à cœur de faire plaisir à papa et maman et de respecter cette notion d’intimité. D’autres, plus rebelles, n’auront pas envie d’y souscrire. Jean-Yves Hayez conseille aux parents de valoriser l’enfant et de reconnaître la réalité de ses efforts aussi bien par la parole que par un geste matériel (récompense inattendue).
Puisque ce comportement se produisait aussi fréquemment à l’école, Delphine et l’institutrice de Zélie se sont mises d’accord pour que soit lâché un simple « Zélie » afin d’interpeller celle-ci lorsqu’elle se balançait sur sa chaise en classe. Monique Meyfroet est réservée sur l’approche qui consiste à nommer l’enfant pour le conscientiser quant à son comportement. « Cela peut renforcer la spirale, constate-t-elle, un peu comme pour les tics. Plus on le fait remarquer à l’enfant, plus ça l’angoisse et plus il le fait ». La psychologue suggère de trianguler la discussion en intégrant Zélie pour parler de sexualité et d’intimité en sa présence.
Quand le plaisir est l’arbre qui cache la forêt
Au-delà de la notion de plaisir, l’enfant peut aussi être motivé par le besoin de détente et de réconfort. « Pour certains enfants, l’autostimulation est une manière de se recentrer sur eux et d’oublier certaines difficultés. J’ai travaillé vingt ans en consultation auprès des tout-petits et je garde des contacts avec les professionnel·le·s de la petite enfance qui constatent que les enfants sont anxieux. Dans le cas de Zélie, je crois qu’il faut tenir compte du contexte anxiogène actuel. Peut-être qu’en se balançant, elle trouve une forme d’apaisement ? Attention, ça ne veut pas dire que les enfants ne se donnaient pas toutes sortes de plaisirs corporels avant le Covid. Mais il faut reconnaître qu’ils n’ont pas tellement de latitude pour faire face à la situation. Un adulte pourra trouver du réconfort avec un verre de vin ou en s’achetant une pâtisserie, mais, le petit enfant, que peut-il faire d’autre que se recentrer sur lui ? ».
Monique Meyfroet ajoute : « Il faut se poser la question de la place que prend cette recherche du plaisir et tenter d’objectiver si l’enfant y trouve de la satisfaction ponctuelle ou si cela l’enferme dans quelque chose qui devient trop envahissant ». Jean-Yves Hayez complète : « Lorsque la masturbation devient trop fréquente et que l’enfant semble plus tracassé par la situation que d’en retirer du plaisir, c’est le signe d’une angoisse et d’une tristesse ». Que peut le parent dans ce cas ? L’écouter et chercher avec lui ce qui le tracasse, cela peut aller de questions sur son corps à un souci plus social.
À LIRE
Des ressources pour en parler
- Zizis et zézettes, Mes p’tits pourquoi (Milan),
- Ma sexualité de 0 à 6 ans, Jocelyne Robert (les éditions de l’homme).
Et pour les plus grand·e·s à partir de 6 ans :
- Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ? Thierry Lenain et Delphine Durand (Nathan),
- Le guide du zizi sexuel, Zep et Hélène Bruller (Glénat).
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