Développement de l'enfant

Une dette de repos qui se creuse. Des troubles qui se multiplient. Les jeunes et le sommeil, ça ne fait pas toujours bon ménage. Un challenge parental de plus à relever : les aider à retrouver une certaine hygiène nocturne.
19% des jeunes déclarent s’endormir facilement et dormir suffisamment et 47% gardent toujours leur smartphone pour aller dormir. Voilà ce qu’il ressort de l’enquête réalisée par l’École du Sommeil auprès de 190 jeunes de 2e, 3e et 4e secondaire d’une école bruxelloise. Pour Najat Bouzalmad, hygiéniste du sommeil, le constat est clair : les jeunes manquent de sommeil et leur dépendance aux écrans aggrave leur dette. Explications.
Votre travail d’animation vous amène à être régulièrement en contact avec les ados. Quel constat dressez-vous à propos de leur sommeil ?
Najat Bouzalmad : « Pour commencer sur une note positive, je dirais que je suis agréablement surprise, car les jeunes ont conscience des conséquences du manque de sommeil. Mais c’est comme pour tout, le fait d’en avoir conscience ne suffit pas à ce qu’ils changent leurs comportements.
L’autre point qui m’interpelle, c’est leur grande dépendance aux activités ‘écraniques’, ils sont happés, voire aliénés, par leurs écrans. Un épisode qui se lance automatiquement à la fin du précédent, un fil d’actualité à scroller à l’infini, des jeux vidéo et applis toujours en plus grand nombre… tout est fait pour que le smartphone reste vissé dans les mains.
Quand on termine nos animations, on leur pose toujours la même question : ‘Qu’est-ce que tu as envie de mettre en place ?’. Ce qui ressort systématiquement, c’est ‘Aller dormir plus tôt et être moins sur mon smartphone’. Mais là encore, ce n’est pas pour ça que les jeunes passent à l’acte. Ils ont besoin d’être accompagnés et soutenus pour le faire. »
Y a-t-il des choses que les parents ignorent sur le sommeil de leurs jeunes ?
N. B. : « Ils ignorent beaucoup de leur propre sommeil, donc de celui de leurs jeunes également. Il y a un point souvent méconnu, c’est le décalage physiologique de phase qui se produit à l’adolescence. Le fait d’en avoir conscience pourrait éviter bien des conflits entre le jeune et son parent quant à l’heure du coucher.
Chez l’adulte, la mélatonine est libérée vers 22h30 en moyenne. Chez les ados, les signes de fatigue se manifestent plus tard. C’est ce qu’on appelle le ‘retard de phase physiologique’. Ce décalage est tout à fait naturel, mais problématique puisque le jeune ne dort jamais son quota d’heures en semaine s’il se couche lorsqu’il en ressent le besoin. À l’adolescence, les besoins de sommeil varient entre 9h et 10h30. Si le jeune se couche vers 23h30 et s’éveille à 7h pour aller à l’école, il est déjà en carence de deux à trois heures de sommeil. Ajoutez le fait que la plupart des jeunes sont sur leur smartphone en soirée - cela recule la libération de la mélatonine, car la lumière bleue des écrans a un effet de retardement sur la production de l’hormone - et la dette se creuse encore d’un cran. C’est ce qui explique que certains jeunes ont besoin de siestes pour récupérer au retour de l’école ou que d’autres se rattrapent le week-end en faisant des grasses matinées. »
Quid de la crise du covid ? A-t-elle aussi un impact sur le sommeil des jeunes ?
N. B. : « Malheureusement, oui. On est passé du stade inquiétant à celui d’alarmant. Le covid dérégule encore davantage le sommeil des jeunes, on observe de plus en plus de troubles du sommeil. Il y a des jeunes qui ne parviennent pas à s’endormir et qui, du coup, se tournent vers les écrans pour se distraire de leur insomnie. Pour ce profil, l’idéal serait d’avoir un petit rituel du soir comme on le fait avec les plus petits. Dessin, relaxation, musique douce, lecture, câlin… Il y a toute une série d’alternatives calmes qui facilitent l’endormissement.
Il y a aussi ceux qui se réveillent la nuit et ne parviennent plus à se réendormir. Le fait de se réveiller la nuit est naturel, mais certains jeunes plus angoissés commencent à penser et empêchent l’enchainement du prochain cycle de sommeil. Là encore, pour se distraire, certains vont consulter leur smartphone. Ils envoient alors des stimulations à leur cerveau, ce qui fait qu’ils vont rester en éveil parfois toute la durée d’un cycle d’une heure et demi et couper ainsi leur nuit.
J’étais en animation la semaine dernière. Le record dans la classe, c’est dix-sept heures de connectivité sur une journée, inutile de dire que cela empiète alors complètement sur la nuit, qu’en dehors des quelques heures d’école, le smartphone prend toute la place. Bon, c’est un exemple extrême, mais ça existe.
À l’inverse, il y a des jeunes qui se réfugient dans le sommeil pour oublier que, pour le moment, en dehors de l’école, il ne se passe rien. Ne sachant pas quoi faire de tout ce temps, ils dorment. Mais le fait de dormir au retour de l’école va les décaler et déstructurer leur sommeil de nuit.
Il y a aussi des jeunes qui se sont complètement dérèglés. Pris dans les jeux vidéo, ils se couchent à 5-6h du matin. Du coup, ils compensent et dorment quatre à cinq heures au retour de l’école. Là, on ne parle plus de sieste, c’est carrément un bout de nuit déplacé dans la journée. Ces jeunes sont en jetlag social, coupés de leurs familles, ils vivent en décalage.
En dehors du covid, la société d’aujourd’hui met tout en place pour fonctionner H24. Il y a de la lumière à profusion, les réseaux sociaux et jeux vidéo sont accessibles en permanence. Le fait d’avoir une possibilité de consommer de tout en permanence rend le besoin de cadre et de repères encore plus prégnant pour les jeunes. J’aime bien l’intitulé d’une des campagnes Yapaka qui titrait ‘L’exemple, c’est nous’ (ndlr : une campagne largement relayée par le Ligueur). C’est tout à fait ça, nous, adultes, devons aussi faire ce que l’on demande à nos jeunes. Si on rabote sur nos heures de sommeil, si on reste connecté jusqu’à pas d’heure, c’est un peu compliqué d’attendre du jeune ce qu’on ne fait pas soi-même. »
Au-delà de ce besoin de cohérence, y a-t-il d’autres conseils que vous pourriez adresser aux parents pour que leurs ados se réconcilient avec leur sommeil ?
N. B. : « La première chose qui me paraît importante, c’est que les choses puissent être discutées et négociées. Si le parent impose, le jeune risque de se sentir infantilisé et de se braquer. Un autre point important, c’est que le parent puisse faire confiance. Dans le contexte actuel, il y a déjà beaucoup de pression sur le dos des ados alors si le sommeil en devient une en plus…
Faire confiance ne signifie pas tout accepter. Les parents peuvent mettre en place un couvre-feu numérique, car sans écran, le jeune sera davantage à l’écoute des signaux d’endormissement. Le fait de dormir sans GSM va aussi induire un sommeil de meilleure qualité. Si le jeune avait l’habitude de se coucher avec son smartphone, il faut y aller progressivement et l’amener d’abord à s’en séparer une demi-heure avant le coucher, puis crescendo, à nouveau de manière négociée.
Le parent peut aussi être garant d’une certaine régularité en ce qui concerne les heures de repas, de réveil et de coucher. La question des rythmes est valable aussi pour les activités. Un sport ou autre activité programmée trop tard dans la soirée peut saboter une bonne nuit de sommeil. Même chose pour la prise du souper tardive, car la digestion est plus efficiente à l’état de veille.
Dernier point qui peut être intéressant, c’est de mieux connaître son chronotype, c’est-à-dire son propre besoin de sommeil. C’est valable pour le parent comme pour l’enfant et l’ado, d’ailleurs. En deux semaines, il y a moyen d’identifier ce besoin à partir d’une expérience toute simple : se coucher lorsque vous ressentez les signaux d’endormissement (baisse de température, bâillement, yeux qui piquent) et se réveiller naturellement. Vous avez ainsi la durée de votre sommeil. Sachant qu’un cycle dure en moyenne une heure trente, vous pouvez programmer un coucher et un lever qui permettent de vous rapprocher au mieux de vos besoins physiologiques. »