Développement de l'enfant

Les violences conjugales se passent souvent en toute discrétion. À pratiques tues, impacts tabous. Et on en oublie trop souvent les victimes collatérales : les enfants. Une ancienne enseignante, Momo Géraud, en parle courageusement et sobrement dans un ouvrage jeunesse. Elle nous raconte et dédramatise. Le tout sous l’expertise du psychanalyste, spécialiste et pionnier du sujet, Roland Coutanceau.
La question qui taraude en écrivant ce papier : pourquoi ce sujet est-il si peu abordé ? Le psychanalyste Roland Coutanceau, directeur du centre médico-psychologique pour adultes de la Garenne-Colombe, nous apprend qu’il existe trois vagues successives dans l’histoire des violences conjugales. Celle où la société commence à prendre en charge les victimes. Celle où elle s’intéresse aux auteurs.
Et c’est depuis peu que l’on prend en compte les dommages collatéraux, soit la sensibilité des témoins, à savoir les petits. Il y a à peine un mois, SOS enfants livrait un rapport accablant. L’asbl rendait publics ses chiffres. En 2016, elle a reçu 5 167 signalements de maltraitance. Parmi eux, 26 % d’enfants exposés aux violences conjugales. Même si les violences ne sont pas dirigées directement contre les petits témoins, elles ont systématiquement un impact considérable et constituent un réel traumatisme. Voyons voir comment ça se manifeste.
L’impact sur les petits
Pour ce faire, nous allons toquer à la porte de Momo Géraud, ancienne enseignante, qui, par besoin cathartique, a réalisé un ouvrage sur le sujet. Dans son livre, l’auteure met en scène une petite fille, Jeanne, qui se réfugie dans l’imaginaire pour échapper à son quotidien cauchemardesque.
« Souvent, l'enfant ne montre pas son désarroi dans le but d'épargner au parent maltraité un surcroît de soucis », déroule-t-elle. Dans tous les cas, l’enfant souffre de la situation et est terriblement fragilisé par l'angoisse qu'elle génère.
« Un enfant est prêt à tout entendre dans la mesure où on lui promet des jours meilleurs » Momo Géraud, auteure
L’impact peut revêtir plusieurs symptômes cliniques et psychologiques. Il ne s’exprime pas de la même manière, suivant les sexes. Même s’il est préférable de ne pas généraliser, chez les garçons, les problèmes sont plus visibles. Un sentiment de menace qui se manifeste par un comportement agressif. Chez les filles, les émotions sont plus enfouies. La culpabilité, la honte et le réflexe de s'attribuer la responsabilité du problème et à prendre sur soi, est plus répandue.
« Évidemment, il existe autant de types de réaction que d’êtres humains, nuance le docteur Coutanceau, et différents développements post-traumatiques sont envisageables ». C’est là où nous retrouvons Momo Géraud.
La réalité des enfants témoins
L’héroïne des Artichauts, la petite Jeanne, intériorise les conflits et les violences quotidiennes. Elle ne communique pas ses craintes à sa maman et se parle à elle-même, comme pour s’évader. Dans ce cas-là, comme pour une majorité, l’enfant est témoin oculaire. Passif, pourrions-nous dire.
Mais il existe d’autres formes possibles de relations aux violences conjugales. Un enfant peut intervenir et tenter de protéger sa mère. Il s’implique alors et devient partie prenante. Cas similaire, il remplace sa mère dans le rôle de victime et attire les violences physiques ou verbales.
Très souvent, il se retrouve instrumentalisé. Il sert de messager entre les deux adultes. Et parfois même encore, blesser l'autre à son insu. Du type « Rah, mais tu ne comprends rien de ce que je dis, papa a raison quand il dit que tu es à côté de la plaque ».
L’auteure, sans en dire plus sur sa propre situation, confie qu’elle a travaillé à partir de résiliences personnelles. « Jeanne vit dans la peur. C’est contre ce sentiment que je veux lutter. C’est ce qui a animé le passage à l’écriture ». L’impression qui prédomine en permanence chez un petit ? L’hyper-vigilance. Cette responsabilité précoce induit divers impacts, tant sur la santé physique, le développement du langage que les performances scolaires. Et cela peut conduire à des comportements à risque ou inappropriés.
Roland Coutanceau explique qu’il est possible qu’un enfant soit victime de cauchemars, d’anxiété, qu’il rumine, qu’il se replie sur lui-même. Plus tard, il peut être affecté dans ses relations d'adultes, notamment au niveau de la confiance en soi. Fort heureusement, ces symptômes post-traumatiques peuvent aussi jouer un rôle-clé : ils sont susceptibles d’alerter l’adulte et permettent de dénouer une situation. Reste à savoir comment s’y prendre.
Adultes,osez décoder
Existe-t-il une méthode infaillible pour agir avec efficacité sans heurter la sensibilité des plus jeunes ? La réponse est unanime chez nos intervenants : évidemment non. Roland Coutanceau appelle à la plus grande prudence, il faut se montrer très à l’écoute.
« Un autre parent ou un prof peut entendre un gamin de 6-10 ans dire qu’il dort mal, qu’il a mauvais moral, qu’il est inquiet, par exemple. À cet âge-là, cela peut, bien sûr, traduire autre chose. Il n’y a pas de symptômes post-traumatiques spécifiques. Il faut oser décoder. Évaluer l’environnement. En général, il y a peu de place aux doutes et un enfant de cet âge-là ne garde pas longtemps les choses pour lui. Il faut agir en étant rassurant ».
Un enfant dans cette situation ne se livre jamais de lui-même. Il ne parle pas facilement, car il a l’impression de trahir sa famille. Toutefois, les petits sont très heureux de se livrer, tant ils sont confrontés à un univers relationnel inadapté et en ont vite pleinement conscience. Il est impératif de les aider à mettre des mots sur les événements et à bien les laisser raconter leur histoire, sans présupposé.
Et la suite ? Un enfant exposé aux violences conjugales a besoin de recevoir des soins psychologiques, d’abord, et médicaux, ne serait-ce que par prévention. Mais difficile de le confier aux bonnes personnes. Pour cela il existe tout un réseau d’écoute (voir encadré). Il est important également de bien se renseigner auprès des centres PMS et, conseil du Ligueur, toujours commencer par un médecin de confiance qui saura auprès de qui agir. Les experts rassurent : à partir du moment où le dialogue est mis en place, 50 % du travail est effectué.
L’importance de l’entourage
Dans Les Artichauts, lorsqu’elle s’évade dans son imaginaire pour fuir la terrible réalité, la petite Jeanne se raccroche à ce que Roland Coutanceau appelle « des éléments familiaux sains ». L’auteure insiste sur l’importance de l’entourage. « Une grand-mère, un grand frère, une sœur… Jeanne pense à des moments joyeux, sa vie est faite de fêlures, mais elle a des personnes à qui s’accrocher. Des proches sur qui compter ».
Ce cercle de confiance, qui n’est pas nécessairement proche des parents, a toute son importance, nous explique le psychanalyste. Il va aider à rétablir un dialogue et établir un lien. Une des maximes de Roland Coutanceau est qu’« aider les petits humains, c’est aider les gens qui les entourent ». Tout l’enjeu de l’échange avec l’enfant consiste à lui expliquer que la situation dans laquelle il se trouve n’aurait pas dû arriver, mais qu’elle s’est produite et qu’il faut comprendre pourquoi et apprendre à l’accepter.
Et quid du bon vieil adage qui dit qu’un enfant victime engendrera des violences à son tour ? Pour les spécialistes, ce genre de simplification est ce qu’il y a de plus nocif pour l’enfant : « Un petit qui s’enfonce est un être qui n’a pas eu la chance de communiquer ».
Le psychanalyste explique que banaliser l’acte ou le normaliser dans l’esprit de l’enfant est la pire des choses qui puissent arriver. Des phrases comme : « Oh, tu sais, ça arrive, hein ? » ou l’horrible « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », inapproprié dans ce contexte, sont à bannir.
La meilleure façon de se reconstruire semble être l’écoute. Et il n’est pas nécessaire de considérer d’emblée que le jeune témoin est traumatisé. Les collisions d’un enfant dans ce contexte ne sont pas ceux de sa mère et de son père. Chaque rôle de cette équation complexe doit être considéré à part entière.
La bonne nouvelle, c’est qu’ils se soignent. Ensemble. Encore une fois, cela nécessite un réseau de professionnels qui doivent travailler en concertation. Pour chacun des intervenants, il est important de ne pas enfermer l’enfant dans une situation. Ne pas l’étiqueter. Éviter de penser au pire, de dramatiser.
Momo Géraud considère qu’« un enfant est prêt à tout entendre dans la mesure où on lui promet des jours meilleurs. Il est tellement précieux d’aider nos petits à comprendre le monde et à s’y insérer. Il faut aider à répondre aux émotions des jeunes victimes et leur permettre d’y mettre de la distance pour les aider à se construire ».
Puis elle insiste sur la seule contrainte et le seul objectif qu’elle s’est fixée tout au long de l’écriture de son ouvrage : l’espoir. C’est ce qui fait tenir Jeanne dans l’histoire.
Yves-Marie Vilain-Lepage
En savoir +
À lire : Les Artichauts, Momo Géraud (textes), Didier Jean et Zad (illustrations) aux Éditions 2 vive voix.
À qui s’adresser ?
► Écoute violences conjugales- ligne d'écoute : 0800/300 30.
► SOS enfants- 02/535 34 25.
► CVFE (Collectif contre les violences familiales et l’exclusion) - 04/223 45 67.