Santé et bien-être
Comme tous les mardis midi, il est parqué dans la cour de l’école. Sur son flanc, les autocollants des partenaires du projet. Les passant·es de la commune de Colfontaine n’y verront qu’une simple camionnette. Mais pour les élèves du lycée provincial, l’Adobus, c’est bien plus.
Un mardi sur le temps de midi. L’équipe du projet pilote a installé une table sur laquelle trônent un jeu de cartes, des moyens contraceptifs et quelques brochures. D’autres outils sont stockés sous la table dans une valise à roulettes, en cas de besoin. Quand la cloche de l’école retentit, Julie, Sandrine et Romina sont prêtes. Il ne faudra que quelques minutes aux plus téméraires des élèves pour s’approcher.
Le jeu Takattak fait office d’appât. Sandrine, psychologue au planning familial de Frameries, propose à trois garçons d’y jouer. La meute acquiesce. Une carte est piochée au hasard. La question qu’elle pose interpelle : « Pourquoi t’as deux mères ? ».
Sandrine renvoie la question au trio. « Bah, c’est dégueulasse un homme qui devient une femme », répond bille en tête l’un d’eux. Sandrine rectifie en douceur. « Il y a une différence entre une personne transgenre et une personne homosexuelle. La première a entamé une transition de genre, l’autre se sent attirée par quelqu’un du même sexe, ce n’est pas pareil ». Sans en avoir l’air, la professionnelle pose les bases de concepts encore flous dans la tête des ados.
La formule informelle fait mouche
Depuis septembre 2021, l’Adobus a déjà reçu la visite de 700 jeunes. Julie Fontaine, en charge du projet pour Médecins du monde, détaille l’objectif du projet pilote. « Le dispositif a démarré suite à un constat sur le taux préoccupant de grossesses précoces dans la région du Borinage. L’accès aux services d’un planning familial est compliqué. Par exemple, un·e ado de Colfontaine doit faire vingt minutes de bus pour se rendre au planning de Mons ».
Sandrine, la psychologue, explique : « Le bouche à oreille fonctionne bien. Certains jeunes ont surtout besoin de nouer du contact avec un·e adulte, d’autres viennent avec des demandes ciblées pour faire un test de grossesse ou demander la pilule du lendemain. En tant que planning familial, nous ne sommes pas là pour juger ou influencer une décision. Par contre, amener le jeune à se poser des questions, ça oui ».
« En tant que planning familial, nous ne sommes pas là pour juger ou influencer une décision. Par contre, amener le jeune à se poser des questions, ça oui »
Dans quelle relation te trouves-tu ? Quel moyen contraceptif utilisez-vous dans votre couple ? As-tu déjà pensé aux IST (infections sexuellement transmissibles) ? Autant de questions que les professionnel·les de l’Adobus creusent et adressent aux jeunes quand il est question de sexualité.
Au contact du terrain, Sandrine a changé sa perception sur les grossesses précoces. « Naïvement, je pensais que c’était des accidents, mais elles sont bien souvent désirées ». Ce qui motive ces jeunes à enfanter, ce que cela signifie pour elles le fait d’être enceinte ? Donner du sens à une vie qui en manque. Consolider une relation de couple. S’assurer au moins l’amour de quelqu’un sur terre. Voilà en vrac les réponses qui fusent lorsqu’elle interroge ces ados enceintes.
Un peu plus loin, Romina discute avec une élève de 1re sur la complexité des familles recomposées. Chacun de leur côté, ses parents se sont remis en couple. L’adolescente se retrouve septième d’une fratrie recomposée de treize enfants et estime compliqué de trouver sa place dans cette nouvelle constellation familiale.
Trois adolescentes plus âgées fondent sur Romina. « On peut vous parler ? », questionne l’une d’elles. Pas de formule de politesse ou de discussion à bâtons rompus initiée, il y a une demande urgente. Romina saisit le besoin d’intimité et invite le trio à se diriger vers le bus. Ce qui se passera à l’intérieur, nous n’en saurons rien, confidentialité oblige.
À l’heure où l’Évras se décline surtout en classe, l’Adobus casse les codes. Ici, pas de contenu imposé, c’est l’ado qui donne le ton. En mode mineur, autour d’un jeu de cartes, ou majeur, dans l’intimité du petit salon aménagé à l’arrière du bus. Pour peaufiner l’opération séduction, le dispositif mise aussi sur le côté informel et récurrent du rendez-vous. De semaine en semaine, le bus est là, fidèle au poste. Et c’est là toute la puissance du dispositif que de permettre aux jeunes d’établir un lien de confiance et de l’inscrire dans la durée. D’adresser librement ses questions ou d’oser déposer un vécu plus compliqué.
Ce que les ados viennent y chercher
Avec l’Adobus, les ados peuvent compter sur une écoute inconditionnelle. Parfois autour de banalités, d’autres fois avec du lourd. Qu’importe, l’équipe est là pour tendre l’oreille. « Il y a des jeunes qui nous lâchent des montagnes sans même s’en rendre compte. Notre mission première, c’est de les rassurer sur le fait qu’ils seront entendus sans jugement et en toute confidentialité », explique Sandrine.
Le plus souvent, le contact s’établit en deux temps. L’amorce se fait avec un sujet léger. Puis, une fois mis en confiance, le jeune embraye avec ce qui le préoccupe. Romina utilise l’image de l’iceberg. Pour elle, il y a la partie visible et la partie immergée. « C’est typiquement le jeune qui nous aborde avec un petit conflit de classe, avant de raconter un problème de harcèlement plus profond ».
Au-delà de l’écoute, les jeunes sont aussi en quête d’information. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les ados d’aujourd’hui ne sont pas mieux renseignés qu’auparavant. Les sources se multiplient, mais ne garantissent pas un accès plus aisé à une information fiable, loin de là. Sandrine se souvient avoir rassuré une jeune bouleversée à l’idée d’avorter, croyant qu’on allait couper les bras et les jambes du bébé.
Le besoin d’information est vaste. Il porte aussi bien sur les moyens contraceptifs, le harcèlement, le décrochage scolaire que sur des questions de genre ou de consentement. On perçoit souvent l’enfance et l’adolescence comme des tranches de vie insouciantes et privilégiées. Une vision tronquée, estime Sandrine.
Que ce soit dans l’écoute ou la transmission d’informations, la dimension relationnelle est primordiale. Les jeunes ont besoin de pouvoir être dans un lien positif et de confiance avec des adultes. La permanence hebdomadaire permet à chaque ado d’y aller à son rythme. Il arrive aussi qu’il n’y ait pas d’attente particulière, cela n’empêche pas l’ado d’en retirer du positif. C’est une promesse de l’Adobus : être là en cas de besoin.
Il y en a aussi qui viennent de façon plus récréative. Comme cet ado qui poigne fièrement dans la boîte de préservatifs. Au grand dam du personnel d’entretien quand certains ados s’amusent à déballer et gonfler les préservatifs, laissant derrière eux les déchets. L’équipe de l’Adobus reste pourtant convaincue de l’utilité de la démarche. « Pour l’ado, c’est un moyen d’apprivoiser l’objet, de se l’approprier, voire de dire quelque chose de lui à la communauté de l’école », interprète Sandrine.
L’Adobus a aussi son lot de réfractaires dans la communauté des citoyen·nes et des parents. Leur grief ? Qu’on se focalise sur les questions liées à la sexualité et qu’on incite ainsi les jeunes à une plus grande précocité. L’équipe de l’Adobus a été agréablement surprise de voir des jeunes s’élever contre ces attaques et plaider sa cause, comme en témoigne Romina.
« Les jeunes nous reconnaissent comme un acteur à la fois extérieur à l’école et proche d’eux. Ils apprécient l’espace d’écoute et de parole que nous leur offrons. La relation de confiance que nous tissons de semaine en semaine est aussi très importante à leurs yeux. »
Au lycée, la permanence touche à sa fin, mais le matériel est encore disponible. Une ado s’approche, ses yeux scannent les brochures. L’une d’elles retient son attention. Elle passe sa gourde dans la main droite pour permettre à sa gauche de feuilleter librement La puberté, KeskeC ? Hormones, poils, transpiration, règles, hygiène. La publication passe au peigne fin la métamorphose qui s’opère à l’adolescence. Une preuve supplémentaire que l’Adobus est sur la bonne route.
EN SAVOIR +
Les jeux et brochures de l’Adobus
- Takkatak à la récré, un jeu impertinent de Geneviève Smal, 52 cartes pour ne plus se laisser marcher sur les pieds (Si-Trouilles Éditions).
- Les brochures de la Mutualité chrétienne : La puberté, KeskeC ?, Les règles, C kwa ça ?, À l’adolescence, tout change, tout se bouscule, Sex Appeal, Pilules & Cie (à retrouver sur mc.be).
- La chaîne numérique belge Moules frites créée par l’asbl O’yes est consacrée au bien-être et à la sexualité.
- Une histoire comme plein d’autres, Hubert et 100drine se livrent sur leur quotidien d’adolescent·es. Intimité, amour, suicide, changement, tout y passe.
- #M’harcèle PAS !, une BD d’Infor Jeunes Brabant Wallon.
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