Développement de l'enfant

Depuis quatre mois, votre bébé occupe le devant de la scène. Il concentre toutes les attentions. Si les mamans se plaignent parfois de passer au second plan une fois que leur enfant est né, que dire alors des papas qui peuvent se sentir les grands oubliés de l’affaire, alors qu’ils sont tout autant impliqués dans cette aventure où plus rien n’est vraiment comme avant ?
L’arrivée de votre enfant a imposé des réaménagements importants. Les repères ont bougé. Et exit pour un temps les habitudes, le rituel du couple. Alors qu’on parle beaucoup du travail de réadaptation, de réajustement que les femmes devenues mamans doivent accomplir, on négligerait presque que les papas voient, eux aussi, beaucoup de choses changer pour eux. Ne se posent-ils pas, comme leur compagne, l’inquiétante question de savoir s’ils seront à la hauteur ? Ne font-ils pas, eux aussi, les frais des éveils nocturnes de leur bébé ? Ne passent-ils pas au second rang dans les préoccupations de leur compagne ? Est-ce parce qu’ils ont (plus ou moins) vite repris le travail qu’on les imagine tout aussi vite installés dans un train-train ?
Quel modèle pour les papas ?
« Face à la fatigue et aux éventuelles demandes et plaintes de leur femme, les papas se retrouvent souvent dans une impuissance à bien faire ou à faire comme elle, elle le souhaite, observe Reine Vander Linden, psychologue clinicienne. En somme, ils pourraient très bien se débrouiller seuls avec le bébé, mais ils doivent, en plus, répondre aux attentes de la maman ! Ils ont beau être des papas engagés, cela ne change pas grand-chose à ce qu’ils vivent. Il n’est pas rare qu’ils se voient reprocher leur manière de s’y prendre avec le bébé. Parce que les mamans ont leur façon bien à elles de faire et de vouloir que leur compagnon fasse. Cette impuissance leur rappelle peut-être celle qui a été éprouvée au moment de l’accouchement, elle peut les renvoyer à cette incapacité d’aider véritablement leur femme, de soulager ses douleurs… Dur, dur d’éprouver cette impuissance, alors que leur envie d’agir se fait sentir et que leurs "Que faire ?" et leurs "Comment faire ?" sont en bute avec les exigences de leur compagne qui, elle aussi, cherche à "faire" au mieux. » Même plusieurs mois après l’accouchement, il reste précieux, si ce n’est pas déjà fait, de se raconter mutuellement cet événement et tout ce qu’il a produit de nouveau et de surprenant.
Nombreux sont aussi les papas qui manquent de modèles, ce qui ne les aide pas. « Ils ne peuvent, dès lors, pas s’appuyer sur ce qu’un père transmet au quotidien dans la vie d’un enfant, reconnaît Reine Vander Linden. Au-delà de l’enthousiasme des premiers temps, j’observe qu’une réelle panique peut s’installer, agitée par les questions "Comment inventer mon modèle à moi ?", "Comment éviter ce qui a foiré dans le lien, ou le non-lien, entre mon propre père et moi ?". »
Parler au sein du couple de ses émotions, de ses envies, de ses attentes, ça rapproche. Le faire avec (auto)dérision, cela allège
Aujourd’hui, l’engagement des pères dans la période postnatale est plus que jamais attendu. Et ce, malgré de nombreux obstacles : congé de paternité insuffisant, manque de confiance des professionnelles de la naissance (ce sont majoritairement des femmes) à l’égard des papas, exigences sociétales importantes concernant le bien-être des enfants – souvent portées de façon excessive par les mamans…

Une palette d’émotions : de la tristesse à la colère…
« Je ne suis pas à la hauteur », « Je vois bien que ma compagne n’est pas aussi heureuse que ce qu’on aurait pu imaginer », « Je me sens impuissant et cette sensation devient lourde pour moi »… Tristesse, inquiétudes, mouvements d’angoisse, irritabilité, colère… À côté des grandes joies liées à la nouvelle vie de famille, le papa peut avoir du vague à l’âme. Lui aussi se lève la nuit parce que le bébé appelle. Lui aussi subit les effets de la fatigue. Il court, dès lors, plus le risque d’être de mauvaise humeur et irritable. La maman a peut-être recommencé à travailler, sa fatigue reste grande et la vie sexuelle du couple est mise sur pause. Ou, au contraire, elle n’a pas encore repris le travail, elle demeure encore fort dans sa bulle fusionnelle avec le bébé et… même résultat : la vie sexuelle du couple est à l’arrêt. « Et moi, là-dedans ? », peut alors se demander le papa. « À ce sujet, j’aime bien les propos du pédopsychiatre Daniel Stern : la naissance d’un bébé désexualise pendant un moment la mère, et parfois même le couple, dit Reine Vander Linden. Quand ce n’est que la mère, cela peut être difficile, frustrant et même effrayant pour l’homme de se dire : "Est-ce qu’un jour je vais retrouver ma compagne sexuelle ?" » Parler au sein du couple de ses émotions, de ses envies, de ses attentes, ça rapproche. Le faire avec (auto)dérision, cela allège.
Au cours de la grossesse, à la maternité, puis en post-partum, les mères bénéficient d’un suivi organisé : avec le gynécologue, les sages-femmes, la kiné, le pédiatre… De quels relais disposent les papas pour parler de leurs chamboulements émotionnels ? « Chez eux, les creux de la vague se manifestent souvent par des plaintes somatiques : grosse fatigue, maux de dos, maux de tête… Dans le meilleur des cas, ils vont consulter leur médecin traitant. Mais il faut encore que le lien soit fait entre leur nouveau statut de papa et leur plainte somatique, explique Reine Vander Linden. On pourrait d’ailleurs dire la même chose pour les femmes : si le pédiatre du bébé ne se soucie pas de leur demander comment elles vont, qui va le faire ? Souvent, quand le bébé a 4 mois, elles ne voient plus leur gynéco, la sage-femme a disparu… Le généraliste peut-être, s’il a eu l’info de la grossesse et de la naissance. » Et là, il ne faut pas hésiter à demander au gynéco d'envoyer son rapport au médecin traitant.
EN PRATIQUE
Se connecter entre papas
Les femmes qui deviennent mamans ont un besoin fou de parler de leur nouvelle identité de mère, d’en discuter entre elles. Pour cela, elles ont notamment les séances de kiné postnatale et, bien sûr, il y a le téléphone et les réseaux sociaux.
« Pourquoi cela serait-il différent pour les hommes qui deviennent papas ? demande Reine Vander Linden. Certains d’entre eux sont désireux d’avoir un espace où s’exprimer entre hommes. Un papa ne confie pas les mêmes choses en présence d’autres pères et devant sa femme. Il ne va pas dire devant elle : "Ma femme attend trop de moi, elle est chiante, cela me rend malade." Ou alors, s’il le fait, c’est soit en hurlant, soit en sachant qu’ils sont capables d’aborder sans heurt la question à deux. »
Et la psychologue en périnatalité de continuer : « Souvent, les nouveaux papas ont l’impression que les pères d’à côté gèrent mieux qu’eux, qu’ils sont plus connectés à leur femme, qu’ils sont plus connectés à leur bébé. Et qu’eux sont à côté de la plaque : nuls et mauvais. Être entre hommes permet d’être sur la même longueur d’onde, d’oser davantage dire ce qu’on éprouve. »
Mais comment se connecter entre papas ? « Il y en a bien l’un ou l’autre prêt à ouvrir son salon dans ce but… »
LES PARENTS EN PARLENT…
Morose, tendu, irritable
« Depuis deux semaines, le papa d’Arthur n’est pas drôle : je le trouve morose, tendu, irritable, négatif. J’ai repris le boulot, cela me fait du bien. Je me disais qu’on allait pouvoir davantage se retrouver en couple, lui et moi. Mais non, il n’est pas dispo. Il est crevé et il semble complètement égaré dans ses pensées. Il se replie sur lui-même. Il ne dit rien. Il a du vague à l’âme. J’ai l’impression qu’il déprime. Comme s’il faisait la dépression du post-partum à ma place ! J’avoue : moi non plus, je n’ai pas toujours été en forme depuis la naissance d’Arthur, il y a eu des jours où j’étais épuisée, un peu déprimée. Mais là, j’ai repris le boulot, je me sens bien et, paf, c’est lui qui est mal. À la maison, c’est un peu tendu entre nous pour le moment… »
Elsa, maman d’Arthur
Dialogue et remise en question
« La fatigue est énorme. Pour la maman, mais aussi pour le papa. Parce que je suis là en support de la maman. Moi aussi, je me réveille les nuits ! De plus, je risque tout le temps de mal faire les choses avec notre bébé… du point de vue de la maman. La fatigue s’accumulant, cela crée des disputes dans le couple. Et donc, en plus de la fatigue physique, il y a l’usure émotionnelle. Ma place de papa, je la façonne à coup d’énervements, de larmes, de crises… et de dialogue. Il nous a fallu atteindre des situations extrêmes (avec menaces de séparation) avant de pouvoir aborder les choses de façon intelligente. Il faut pouvoir assez vite nommer les choses et en reparler. Discuter est important, mais pour que cela ne parte pas en cacahuètes, la façon de discuter compte. Et donc, dialoguer de manière non violente, avec diplomatie, avec humilité aussi. Accepter de se remettre en question. Cela demande de la maturité de part et d’autre. Je comprends que des couples ne résistent pas à tant d’usure. Aujourd’hui, les reproches restent nombreux. Mais je les prends avec plus de distance. C’est un travail au quotidien. »
Rémy, papa d’Olivia
Papa tiraillé
« J’ai hérité du vieux modèle du père qui part travailler et laisse sa femme veiller sur la maisonnée. Un modèle contre lequel je me bats. Je suis tiraillé entre la nécessité d’aller gagner des sous pour ma famille et mon envie de m’occuper de mes enfants, Mila et Félix. À la naissance de mon aînée, j’étais travailleur indépendant. Souvent présent à la maison, mais obnubilé par mon boulot. Je débute tout bientôt dans un poste de direction. Il va falloir trouver un nouvel équilibre. Mais, au moins, le boulot ne me poursuivra plus en permanence. Ce parcours explique pourquoi je plaide pour un congé de paternité obligatoire, plus long et rémunéré à 100 % quel que soit le statut du travailleur. »
Tristan, papa de Mila et de Félix
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