Développement de l'enfant

Petites filles et petits garçons ont toutes et tous leur héros, masculin, féminin et parfois même animal. Il est la référence, le super-champion des champions, celui sur qui on peut toujours compter. Mais, patatras, parfois l’idole se prend les pieds dans le tapis. Et ça, votre enfant, il n’aime pas, vraiment pas…
Tout a commencé par des petits sanglots. Puis les larmes ont coulé à torrent. Longtemps, Camille, 6 ans, est resté inconsolable malgré le réconfort de son père et de sa mère. La cause de ce mini-drame ? Le Power Ranger rouge, héros d’une de ses séries préférées, venait d’abandonner ses copains, les autres Power Rangers.
Pour ses parents, la - courte - inquiétude a vite laissé place à un questionnement autour de l’équilibre de leur enfant. Hypersensibilité, début d’addiction aux sériés télé, troubles du discernement… plein de pistes ont été envisagées pour trouver une explication rationnelle au comportement de Camille.
« Très souvent à 6 ans, un enfant est encore à la fois dans l’imaginaire et dans la toute-puissance, explique la psychologue Mireille Pauluis. Pour lui, ses héros, qu’ils soient issus d’une série à la télé, d’un film et même d’un livre, sont sans faille et sortent toujours gagnants de leurs aventures. Et puis, il y a aussi une identification à ces idoles qui peut parfois être très forte. Donc, quand il y a échec ou disparition d’un de ces personnages, c’est un vrai choc pour l’enfant ».
Et le choc est d’autant plus grand pour le petit garçon que le fameux Power Ranger rouge est le chef de l’équipe des ninjas des temps modernes en tenue colorée. Et que cela le renvoie inconsciemment à des schémas déjà bien établis. « Le chef, c’est très vraisemblablement l’image paternelle pour Camille, explique Mireille Pauluis. Son échec, le fait qu’il ne soit pas invincible, c’est très perturbant et cela réactive chez l’enfant une angoisse œdipienne. Le héros détruit, c’est la perte d’une figure de sécurité et ça fait mal à ce petit toujours en pleine construction ».
Un parcours initiatique
Autre facteur à prendre en compte dans la réaction du garçonnet de 6 ans, la réactivité d’une autre angoisse, celle de la séparation, présente chez tous les enfants. Il faut remonter au tout petit bébé et à sa sécurité de base qui s’est construite au fil du temps. Cette sécurité de base, c’est le fait d’avoir pu explorer petit à petit le monde sous le regard et les attitudes bienveillantes et encourageantes de ses parents.
Dans le cas de Camille, les causes sont donc multifactorielles. Les deux angoisses - œdipienne et de la séparation - sont ainsi des mini-séismes qu’il n’est pas encore capable de gérer. « Entre 5 et 8 ans, l’enfant est vraiment dans une phase de transition entre la toute-puissance et le fameux âge de raison. À 5-6 ans, c’est encore l’âge de la pensée magique où la différence entre son univers subjectif et la réalité extérieure n’est pas encore très nette. Plus tard, vers 7-8 ans, la pensée critique s’installe peu à peu chez l’enfant et lui permet de faire le distinguo plus facilement entre fiction et réalité, de relativiser les événements qu’il peut voir à la télé, par exemple ».
Cette traversée de 5 à 8 ans va donc être un véritable parcours initiatique pour l’enfant. Au travers des dessins animés, des films, des livres, il va donc voir s’ouvrir devant lui tout un champ de nouveautés. Il va apprendre que sa toute-puissance, cette force qu’il pensait détenir sur le monde des adultes et particulièrement ses parents, n’est pas la solution. C’est en la remettant en cause par ses expériences qu’il va progressivement atteindre ce Graal (du point de vue parental surtout !) qu’est l’âge de raison.
Une petite bombe intérieure à désamorcer
« Dans les contes de fée, les histoires de chevaliers, de superhéros, le personnage principal doit vaincre et il y arrive généralement, parfois avec de l’aide, note Mireille Pauluis. C’est positif pour l’enfant, il voit que pour s’en sortir sans mal, le héros ou l’héroïne a besoin des autres, qu’il n’a pas la solution tout·e seul·e. Cela instille l’idée de la collaboration, de l’entraide, de la force collective, soit tout le contraire de la toute-puissance. Et c’est comme cela qu’il grandit. Tout simplement. »
Pour les parents, le rôle est comme souvent celui de l’accompagnateur, celui qui observe un peu en retrait et dont la présence rassure l’enfant quand des images ou des actions le perturbe un peu. Cette version, c’est celle quand l’histoire se passe bien et surtout se termine bien. Mais quand le héros est défaillant, comme pour Camille et son Power Ranger, que peut faire le parent pour désamorcer la petite bombe intérieure de l’enfant et l’aider à passer à autre chose ?
« La première chose à faire, la plus importante, c’est d’entendre l’angoisse de son enfant, insiste la psychologue. Il faut le faire raconter, être dans une écoute empathique, lui dire : ‘Explique-moi que je comprenne’. Trop souvent, parce que nous sommes pris dans nos problèmes d’adultes, nous ne prenons pas le temps de nous mettre à hauteur de l’enfant et nous évacuons les pleurs d’un ‘Ne t’inquiète pas, ça va passer’. De cette façon, on nie complètement les émotions de l’enfant, on réduit sa réaction à quelque chose de surjoué, de faux. Pourtant, pour l’enfant, c’est une détresse majeure qui est en train d’être vécue, et il n’est pas outillé pour y faire face. »
Écouter et expliquer pour rassurer
Les outils, les parents les ont. Il ne reste donc plus qu’à les utiliser en gardant toujours en tête que les maîtres-mots sont l’attention et le respect de son enfant. On l’a dit, on laisser défiler notre petit·e traumatisé·e, on le laisse parler de ses émotions, sans banaliser sa tristesse, sa peur, ses angoisses.
« Une fois que l’enfant a dit son ressenti, il faut ensuite réfléchir avec lui sur ce qu’il vient de vivre, ajoute Mireille Pauluis. Il faut l’aider à trouver une raison ‘plus raisonnable’, plus pragmatique à la disparition de son héros pour atténuer le traumatisme, pour passer à autre chose sans qu’il ait l’impression qu’il y a encore un vide à combler. »
Mais, attention, il n’est pas question ici de cacher les choses ou de les édulcorer au maximum, cela n’aurait pas de sens pour l’enfant. On pose des mots sur des émotions, on dit la vérité sur des concepts parfois compliqués pour une petite fille ou un petit garçon de 5, 6 ou même 7 ans, comme la mort, la souffrance, l’absence… le tout, toujours à hauteur d’enfant, avec des mots simples. « Cela ne va pas angoisser votre enfant, bien au contraire, précise la psychologue. Un parent qui écoute, qui comprend, qui explique, c’est très rassurant. Pour Camille et tous les autres, cela veut dire : ‘O.K., papa, maman sont toujours là, je suis rassuré·e’. C’est ce filet de sécurité qui va permettre à l’enfant de continuer à explorer le monde, à faire des découvertes, à grandir ».
Romain Brindeau
En pratique
La trousse de secours spéciale émotions
Tout parent est quasi naturellement équipé de tous les outils pour bien réagir face à la détresse de son enfant, dans à peu près n’importe quelle situation. Petit rappel des bonnes pratiques pour sécher les larmes et aider à comprendre avec Mireille Pauluis.
- Un gros câlin. Pourquoi ? Pour produire une bonne grosse dose d’ocytocine qui va combattre l’action du vilain cortisol lié au stress. Un conseil qui vaut pour tous les âges de la vie !
- L’inviter à parler, à exprimer ce qu’il ressent.
- Lui dire que vous comprenez ses émotions et que vous êtes là pour l’aider.
- Chercher ensemble une alternative, une autre explication que son premier ressenti, qui va lui permettre de clore le chapitre.
- Lui dire que vous avez confiance en ses capacités à continuer à explorer le monde.