Développement de l'enfant

« Tu penses être sur la même longueur d’onde avec le papa. Puis, au fur et à mesure que le bébé grandit, tu vois que lui et toi, vous n’avez pas la même manière d’aborder les choses. Oui, on n’investissait pas pareil avec notre petite Sara. » Comme les parents de Sara (lire le témoignage complet d’Odile, sa maman, ci-dessous), pas mal de couples finissent, de reproche en reproche, d’incompréhension en incompréhension, par exploser…
Des chiffres, d’abord, sur les couples en crise avec un bébé. Une réalité qui n’est pas si rare… Ainsi, si on se réfère à la Banque de Données Médico-Sociales de l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance), constituée à partir des populations d’enfants fréquentant ses structures en Fédération Wallonie-Bruxelles, 6,6 % des petits âgés de 9 mois vivent en garde alternée ou ne voient plus qu’un de leurs parents ; à 30 mois, ils sont 9,9 % à connaître une de ces situations (données 2020-2021, Bilans de santé à 9 et 30 mois, BDMS-ONE).
Des ajustements permanents
Lors de la première année de vie de l’enfant, tant de choses se modifient pour chacun des parents. Les ajustements à faire sont permanents. La fatigue est là. Sûr que la période est stressante. Fonctionner en harmonie est compliqué quand les tâches sont inégalement réparties, que la communication s’enlise ou que la vie sentimentale s’appauvrit. Parfois, le couple conclut une trêve dans l’intérêt du bébé. Parfois, ce n’est pas possible.
Parfois, une dépression postnatale touche la maman plusieurs mois après son accouchement. « L’homme reproche à la femme son désengagement et son débordement chronique, il lui reproche de ne pas être drôle, d’être toujours tendue, de faire un plat de tout… Ces caractéristiques sont typiques d’un état dépressif qui, même s’il est léger, ronge la femme parce qu’elle n’ose pas dire : "C’est dur, je ne me sens pas bien…" Très souvent, le fait de pouvoir nommer cet état dépressif – peut-être avec l’aide d’un professionnel – permet de lui donner un sens et de mieux l’accepter », explique Reine Vander Linden, psychologue clinicienne.
L’enfant, un révélateur de soi-même
On a beau savoir, au fond de soi, qu’un bébé ne répare pas un couple malmené, on a toujours l’espoir que sa venue changera la donne.
Mais pourquoi un couple se délite-t-il soudain, malgré le bébé ? Faire appel à un professionnel de confiance aide à débroussailler ce qui se passe. « C’est parfois inouï comme l’enfant est un révélateur de soi-même, observe Reine Vander Linden. On peut supporter des tas de choses pour soi. Mais, tout d’un coup, on regarde la réalité qu’on vit – qui est-on et comment fonctionne-t-on ? – à travers les yeux de son enfant. Et ce qu’on supportait jusque-là pour soi, on ne le supporte plus une fois que cela concerne l’enfant. Une femme qui a toujours fait passer les besoins de son compagnon, dont elle est très amoureuse, avant les siens peut ne plus accepter cet état de fait parce qu’elle se rend compte que, malgré leur bébé, il continue sa vie comme si de rien n’était. Ou un homme qui était capable d’attendre quand il espérait un peu d’attention de sa femme peut ne pas supporter que son enfant qui pleure doive attendre avant d’être pris dans les bras. »
On a beau savoir, au fond de soi, qu’un bébé ne répare pas un couple malmené, on a toujours l’espoir que sa venue changera la donne
Et puis, on a tous un rêve de la façon dont on veut être parent… et de la façon dont on veut que son conjoint se comporte comme parent. Et quand celui-ci se décale trop de ce rêve, cela entraîne des reproches qui, évidemment, minent le couple.
« Le plus souvent, les questions en jeu sont : qu’est-ce que je donne de moi-même à mon enfant ? Qu’est-ce que je suis prêt(e) à faire pour lui ? Qu’est-ce que je lui donne comme temps ? Suis-je capable de lâcher mon ordinateur s’il pleure, d’interrompre le repas s’il a besoin de moi, d’annuler ma sortie avec des amis s’il est malade et que l’autre parent est occupé ? Bref, suis-je capable de renoncer à certaines choses auxquelles je tiens pour être disponible pour lui et ma femme (ou pour lui et mon homme) ? C’est presque toujours sur ces points-là que le couple achoppe », souligne Reine Vander Linden.
Les femmes, plus que les hommes, ont-elles cette capacité à se dire « Je mets ma vie de côté le temps de m’occuper de mon enfant » ? Peut-être… « Mais certaines, aussi, sont dans une espèce de toute-puissance auprès de leur bébé : "Mais enfin, il a besoin de moi !" Et, au nom de l’enfant, elles justifient leur éloignement, leur absence à l’autre dans le couple. »
C’est quoi le mieux pour le bébé ?
Quand la séparation est inévitable, on se demande ce qui est le mieux pour son enfant, en ce qui concerne la garde notamment. « Il n’y a pas de mieux pour un petit de 10 mois-1 an, avance Reine Vander Linden. S’il a deux parents, c’est qu’il a besoin de ses deux parents. Mais si les parents se partagent l’enfant, il aura une existence faite de discontinuité. Or, pour un tout petit enfant, la continuité est indispensable. Il en a besoin pour la construction de lui-même, pour comprendre que le monde est fiable et qu’il n’est pas fait de morceaux par-ci et de morceaux par-là. S’il ne voit pas un de ses parents pendant deux jours, il manifeste de l’inquiétude : il ne faut pas aller au-delà de deux jours d’absence… En fait, il n’y a pas de recettes : les parents doivent composer leur propre formule. Une maman qui s’est toujours occupée seule de son petit peut être soulagée de le confier au papa, tellement elle est à bout après la séparation. Une autre peut, au contraire, reprendre son souffle, vouloir se charger complètement de son bébé, tout en étant consciente qu’elle a besoin de moments rien que pour elle. »
En ce qui concerne cette question, les hommes peuvent percevoir une injustice par rapport aux femmes. Elles ont eu trois mois de congé de maternité et ont pu allaiter leur bébé si elles le voulaient ; avec cette expérience, elles ont un avantage certain sur eux. « L’enfant a de la présence maternelle continue pendant trois mois, ce qu’il n’a pas avec son papa. À attention parentale égale, il va s’accrocher à la personne qui est le plus fréquemment présente pour lui. »
Quand le couple explose, un rêve profond s’effondre. « Ce n’est pas seulement "On ne vit plus ensemble", c’est aussi "Je ne pourrai plus offrir à mon enfant l’ambiance de famille que je voulais créer". Tout le monde rêve, je crois, d’une famille complète », dit Reine Vander Linden. Cela peut entraîner des émotions difficiles… « Ce qui m’a freiné dans ma décision de rompre : notre vie à trois, raconte Pierre, un jeune papa séparé. Cette vie à trois, le trio, voir grandir son enfant avec la personne avec qui on a désiré faire un enfant : c’est tout cela qu’il était difficile de lâcher. Se dire par exemple que les prochaines vacances, on allait les vivre séparément… Alors, j’ai voulu encore essayer un peu, faire un effort, car il y avait toujours des moments de qualité. Mais, un jour, j’ai réalisé que ces moments se réduisaient à côté de tout le négatif… »
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Un bébé a besoin de continuité et de fiabilité
Par rapport à son parent, un enfant a besoin de continuité et de fiabilité. C’est-à-dire ?
« Pour un bébé de 10 mois-1 an, la continuité est indispensable. Quand il ne voit pas son parent pendant deux jours, ses repères se floutent, explique Reine Vander Linden, psychologue en périnatalité. Et avoir des parents fiables, c’est "retrouver toujours mon papa et ma maman, savoir que je peux compter sur eux et que, si je ne suis pas bien, si je ressens de l’insécurité, je peux trouver du réconfort auprès d’eux". »
Deux ou trois autres éléments d’explication.
« Le parent qui donne de la continuité et de la fiabilité à son enfant est en état d’intérêt pour ce qui se passe ici et maintenant pour lui. Parfois, il peut lâcher un peu sa vigilance, mais un petit enfant a tout le temps besoin de sentir que son parent est disponible pour le protéger et le consoler. Il a peur de quelque chose, cela peut le mettre dans un état de stress, son parent doit pouvoir lire et sentir ce qu’il vit et le rassurer.
Le papa et la maman peuvent être physiquement près de l’enfant, mais s’ils sont tout le temps en train de se disputer ou si l’un d’eux est par exemple alcoolisé, cela crée de l’inquiétude pour lui.
Ce qui compte pour l’enfant, c’est de pouvoir faire l’expérience de solliciter puis de sentir la présence et l’attention de son parent au moment où il est en situation de détresse, de peur ou de besoin tout simplement.
La notion d’amour est quelque chose de très personnel. Chaque parent a sa façon de donner de la tendresse et de l’amour à son enfant. Certains parents très fiables et très attentifs ne vont pas beaucoup embrasser leur enfant, par exemple.
La continuité et la fiabilité ne s’offrent que dans la présence : on ne peut pas être parent deux jours par mois, même si on est un chouette parent ! »
LES PARENTS EN PARLENT…
Pas sur la même longueur d’onde
« Tu penses être sur la même longueur d’onde avec le papa. Puis, au fur et à mesure que le bébé grandit, tu vois que lui et toi, vous n’avez pas la même manière d’aborder les choses. Oui, on n’investissait pas pareil avec notre petite Sara. Un exemple : avant le coucher, il ne profitait pas du câlin du soir pour être à fond avec elle, il bâclait ce moment, ça m’ennuyait… Il me faisait aussi sans cesse des reproches : j’étais trop fusionnelle avec ma fille, il se sentait exclu. Il me reprochait mon manque d’attention pour lui. J’avais beau lui dire que, désormais, 90 % de mon temps était consacré à notre bébé, que j’étais fatiguée, il ne comprenait pas. Avant la naissance de Sara déjà, cela n’allait plus trop entre nous. On a cru que son arrivée allait produire un déclic, mais non ! Il faut vraiment que le couple aille bien pour passer ce cap de l’arrivée d’un enfant. Car s’il est déjà capotant, la naissance risque de tout bousculer encore plus. Nous nous sommes séparés aux 10 mois de Sara. Jusque-là, elle était la plupart du temps avec moi. Mais je voulais que le papa puisse la voir autant qu’il le souhaitait. Cela n’a pas été possible. Émotionnellement, cela devenait trop compliqué pour lui. C’est comme ça : au début, tu es de bonne volonté, tu mords sur ta chique, tu fais un effort, après, tu fais avec. »
Odile, maman de Sara
Ne pas culpabiliser
« Après le départ du papa de Noah, j’ai été voir une psy. Cela m’a aidée pour ne pas me sentir une mauvaise personne à cause des limites que je lui imposais. Pour ne pas me culpabiliser d’avoir fait un enfant avec cet homme que j’ai aimé mais avec qui la vie était devenue impossible. Pour ne pas me voir comme une mauvaise mère parce que je prenais enfin du temps pour moi. »
Emma, maman de Noah
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