Développement de l'enfant

Dans l’élaboration d'un dossier sur les jeunes et la coronacrise, nous avons découvert avec intérêt le projet de Scan R qui a tendu la plume aux jeunes. Le Ligueur a épinglé trois récits et recontacté les auteur·e·s pour connaître leur état d’esprit six mois plus tard, après une seconde vague de confinement.
En décembre 2020, l’ouvrage Bouches émissaires compile une série de récits dans le cadre du projet Scan-R. « Même l’école me manque », « Si ce n’était qu’un mauvais rêve », « À quoi bon un toit, la tempête est dans mon cœur », des titres évocateurs qui ne laissent aucun doute sur l’impact de la crise du Covid sur ces jeunes. Notre attention s’est portée sur trois récits. Celui de Laure qui propose une réflexion sur le temps. Celui de Florence qui raconte une journée type confinée du côté de Malmedy au sein de sa famille nombreuse de huit personnes. Et, enfin, celui de Sébastien qui rêvait de changer le monde.
Une réflexion sur le temps
« Il existe une infinité de manières de percevoir le temps, de l’apprivoiser, de le dompter, de le gérer. Alors temps perdu, temps gagné ? Ça veut dire quoi ? Et puis cette vision du temps est très binaire. Or, ce dernier s’écoule inexorablement. Donc, puisqu’on ne peut pas le gagner, on ne peut pas le perdre non plus. Qu’il ait été perdu ou gagné, c’est une vision de l’avoir. Or le temps, jusqu’à preuve du contraire, on ne le possède pas. »
Laure, 18 ans
Dix mois plus tard, Laure est en 2e année de médecine, en pleine session d’examens et stressée. Sur une échelle du bien-être de 0 (très mal) à 10 (très bien), elle se situe entre 7 et 8. Nous lui avons demandé ce qui l’aidait à garder le cap. « Le fait d’avoir des parents compréhensifs, d’être dans une relation amoureuse stable et aussi d’être convaincue par mon choix d’études. Et puis, je n’ai pas le temps de me poser trop de questions entre les cours à distance, les TP en présentiel, mon amoureux que je vois tous les soirs, ma famille et les baladins ».
Consciente de sa chance, Laure précise toutefois que le covid l’affecte, qu’elle souffre de ne plus voir ses ami·e·s et qu’elle a moins de joie de vivre. Et quant à sa réflexion sur le temps, elle pose un regard critique. « J’ai l’impression d’être un peu donneuse de leçon en mode, faites ce que je dis et pas ce que je fais. Ce texte, je suis en accord avec lui, mais je ne le mets pas en pratique. Dans les faits, j’essaye toujours de rentabiliser mon temps et mon utilisation des réseaux sociaux où je scrolle à l’infini me rend dingue. »
Huit en confinement ? C’est possible
« Une grande famille demande une certaine organisation. Le pire, quand on se lève tous les huit ensemble, c’est le passage par la salle de bain. À 8h, tout le monde est en bas et déjeune. Après l’épopée de la salle de bain et celle du déjeuner, celle des ordinateurs. Nous sommes encore tous élèves ou étudiant·e·s. Aurélie est au conservatoire, il lui faut un endroit pour répéter et enregistrer. Lisa est en dernière année d’architecture et a besoin d’un ordi rien qu’à elle, d’un endroit calme pour ses appels. Le bureau d’Emma, en 5e secondaire, est trop petit, elle étudie dans le salon. Mathéo occupe la pièce de musique. Baptiste, en 1re année, ne travaille que lorsque maman le lui dit. Et moi, j’ai la chance d’avoir un bureau et un ordi attitré. C’est bien beau tout cela mais comment faire quand on doit tous travailler sur internet et que le Wifi bugue ? »
Florence, 18 ans
Neuf mois plus tard, Florence est étudiante en 2e année et a exclusivement cours à distance. Sur l'échelle du bien-être de 0 à 10, elle se situe à 4. « Ça devient vraiment long, on ne voit pas vers où on va. Le plus compliqué, c’est de mener des études à distance, je vis une vie virtuelle alors que j’ai choisi des études d’éducatrice pour être proche des gens ».
Heureusement, Florence vient de commencer un stage qui lui permet de retrouver un peu de normalité. Autre point positif : le confinement a resserré les liens familiaux. Pourtant, ce n’était pas gagné d’avance avec une fratrie de six, logée à deux par chambre. « Les parents ont revu l’aménagement de la maison, on est passé à l’internet illimité et les grand·e·s en supérieur ont tous leur ordinateur pour travailler dans de bonnes conditions. Et puis, on voit beaucoup plus notre papa qu’en temps normal. Le soir, on décompresse de la situation en famille, on organise des apéros, des débats et même des blind tests, c’est l’avantage quand on est une famille nombreuse ».
Reprendre son histoire et l’Histoire en main
« En écoutant ces nouvelles têtes, virologues, épidémiologistes... je comprends qu’il ne faut justement pas rester là, à attendre de manière passive. Je comprends que nous sommes tous humain·es et que nous avons tous et toutes à décider du monde. Je comprends ma place de citoyen, d’adolescent. Cette crise me change énormément, je ne suis plus le même. Je veux changer le monde, je veux être parmi ceux qui s’occupent du monde de demain. »
Sébastien, 17 ans
Huit mois plus tard, Sébastien pose un regard désabusé après une année scolaire dont il n’aura pu changer. En décembre, ses côtes sont insuffisantes mais l’adolescent garde l’espoir de se « refaire » au second semestre. C’était sans compter sur le Covid. En juin, l’équipe enseignante lui propose deux options : redoubler son année ou se réorienter vers les techniques de qualification. « Je n’ai pas eu le droit de faire mes preuves au second semestre car il n’y a pas eu d’autre évaluation. J’ai dû changer d’école pour me réorienter. La perspective de revivre un échec est terrifiante et je garde un goût amer de cette année passée où mes efforts n’ont pas pu payer ».
Sur l'échelle du bien-être, le jeune homme se situe à 5. « Je n’ai pas vraiment de projet, j’essaye juste de garder mon cap à l’école ». Quant à ses envies de changer le monde, il répond, lucide : « Je suis un sur 8 milliards, qui suis-je pour prétendre changer le monde ? ».
EN SAVOIR +
La photographie a été prise par Arnaud Gustin de la Maison des jeunes de Stavelot qui prépare une exposition photos accompagnée de textes des jeunes de l'association.
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