Crèche et école

En Fédération Wallonie-Bruxelles, on ne redouble plus, on maintient. Est-ce que ça change grand-chose ? Après un tour de table auprès d’experts et de profs, on pense que oui.
Au chapitre redoublement, premier changement et non des moindres. Depuis cette rentrée, on ne parle plus de redoublement, mais de maintien. Une simple question de vocabulaire ? Oui. Mais qui traduit une volonté de faire différemment. Un maintien dans une classe ne se fait plus théoriquement sur base de notes, de ressenti ou même parfois d’humeur, comme ça a été parfois le cas par le passé. Désormais, on ne peut plus mettre un·e élève en maintien sans avoir au préalable rempli le DAccE. Il se remplit dans trois temps durant l’année scolaire, en novembre, en mars et en juillet.
« C’est génial sur le papier. Mais… »
D’un pur point de vue théorique, pas de géant. En effet, comme l’équipe de Caroline Désir, ministre de l’Éducation, l’a garanti, on sent une vraie cohérence. Laurent Divers, chargé de mission à la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), pour toutes les questions liées au soutien aux élèves en difficulté, jadis directeur d’établissement scolaire, laisse échapper une pointe d’exaltation : « Tout commence à s’imbriquer correctement. Avec la question du tronc commun et des nouveaux référentiels, on colle davantage aux apprentissages. Concrètement, un élève dont on repère les difficultés dès les premiers mois est suivi. On note les remarques dans le DAccE et on ne le lâche pas. Des modules comme l’Accompagnement Personnalisé (AP) qui se généralisent aujourd’hui en P1-P2 avec quatre heures par semaine et en P3-P4 avec deux heures par semaine, vont permettre petit à petit de mettre en place des actions ciblées ».
Une vraie systémique du Pacte. Qui nécessite une synergie totale à l’école. Mais même les profs les plus motivé·es que l’on a rencontré·es, ne cachent pas une certaine inquiétude. Ainsi Lisette*, enseignante en P1-P2 : « Je suis résolument et absolument contre le maintien. Je mettrai tout en œuvre pour y pallier. Pour ce faire, on nous demande malheureusement beaucoup. Remplir le DAccE, O.K. Travailler en silo, O.K. Se former aux différentes réalités, O.K. Alimenter les plateformes numériques, ok. Remplir le journal de classe, ok. Multiplier les relations numériques avec les parents, O.K. Suivre et respecter le programme à la lettre, O.K. Mais c’est quand même beaucoup. Le tout, dans un contexte de pénurie d’enseignant·es. On manque de bras. On manque de temps. On manque de moyens. Alors, sur le papier, c’est génial. Mais il faut se donner les moyens de faire en sorte que ça réussisse ».
Depuis toutes ces années, les pièces que constituent le vaste puzzle qu’est le Pacte pour un enseignement d’excellence sont délicates à assembler. Mais voilà, pas de chance, une donnée inattendue vient entraver le bon déroulement : les profs viennent à manquer. Pour Laurent Divers, une des solutions peut consister à faire rentrer d’autres compétences à l’école. « Le principe de l’AP, ça peut être autre chose qu’un binôme de profs. Dans quelques établissements des logopèdes interviennent. Ailleurs, dans d’autres pays comme l’Angleterre, le métier d’assistant·e existe. Je pense que ça va prendre petit à petit ici ».
Recourir ou pourrir ?
Une appréhension revient dans les discussions, bien résumée par une source : « On craint fortement que les premiers bilans soient rédigés de façon collective et stéréotypée dans certains établissements, pour permettre de maintenir l’élève plus facilement ensuite ». L’occasion pour Laurent Divers de présenter le nouveau recours possible auquel les parents ont le droit.
« Une école propose de maintenir l’enfant dans la même classe. De la P1 à la P4, le parent peut contester. La chambre de recours est toute nouvelle, elle n'existait pas pour le primaire. Avant toute chose, on va se référer au DAccE pour voir si l’école a bien fait le job. Ensuite, si la famille refuse le maintien, c’est parti pour le recours. Pour les élèves les plus fragiles au niveau de l’accompagnement familial, les parents peuvent mobiliser qui ils veulent pour les soutenir dans le processus. Ils peuvent se faire aider par des proches, voire même d’un·e avocat·e. La Chambre est composée de la direction de l’établissement, mais également des CPMS pour garantir plus d’impartialité ».
Le retard moyen chez un élève de 5e secondaire est de 55% en Fédération Wallonie-Bruxelles
Notre intervenant rappelle que pour se faire accompagner, les services d'action en milieu ouvert (AMO), notamment Service droits des Jeunes, sont d’une efficacité remarquable pour guider les familles ou les personnes qui les accompagnent. N’oublions pas que certaines écoles prennent aussi la décision d’orienter tel ou telle élève sans que les parents aient l’impression d’avoir leur mot à dire. Pour cela, idem, la décision peut être dédite. « C’est important, souligne Laurent Divers. La fausse croyance comme quoi défier l’école peut être préjudiciable pour son enfant est encore vivace ». Tout cela étant dit, on ne peut pas passer outre la vraie question que tout cet ensemble de changement souligne : est-ce vraiment utile de redoubler, pardon, de maintenir ?
Pour ou contre le redoub... euh le maintien ?
On ne tranchera évidemment pas la question en quelques lignes. Chez les chercheurs, le débat fait rage.
De son côté, le sociologue de l'UCLouvain Hugues Draelants en appelle à la « prudence quant à toute recommandation scientifique trop tranchée en faveur ou en défaveur du redoublement ». Son idée consiste à dire qu’il n’y a pas de raison de vouloir l’interdire s’il peut parfois être bénéfique. Un maintien, peut-être du temps supplémentaire accordé à un élève.
À l’opposé, Benoît Galand, docteur en psychologie et professeur en Sciences de l'éducation de l'UCLouvain, dont la formule choc, sans équivoque, a fait le tour de la constellation scolaire : « Si le redoublement était un médicament, il serait interdit, car il n'a pas fait la preuve de ses bénéfices et s'accompagne régulièrement d'effets secondaires négatifs ».
Rappelons en effet que là où les autres pays ont en moyenne 12% de leurs élèves de 15 ans ont connu un ou plusieurs redoublements dans leur parcours, c’est autour de 40% en FWB. Le retard moyen chez un élève de 5e secondaire est de 55%. Et - attachez votre ceinture - le chiffre cumule à 85% dans les filières professionnelles. En commentant ces chiffres, Laurent Divers complète le propos de Benoît Galand : « Le maintien est un antibiotique à spectre large qui tue tout sur son passage ».
Cependant, il existe bien sûr des élèves pour qui un maintien s’est montré bénéfique. Les arguments sont souvent les mêmes, tant chez Laurent Divers que les profs interrogés : « Un élève était dans une classe horrible qui le tirait vers le bas, il se retrouve dans un super groupe - Il/elle ne foutait rien, le redoublement lui a mis un vrai coup de pied au derrière ».
Autre chose ?
Côté enseignant·es interrogé·es, on sent comme une volonté d’essayer autre chose. Valérie, enseignante en P3-P4, déplore un certain manque d’imagination. « Je pense que c’est toujours une solution de facilité. J’ai l’impression qu’on ne veut pas innover et qu’on se sert de cet argument pour faire peur aux élèves. Pour les ‘maintenir’ dans une sorte de pression. D’ailleurs, il existe plein d’établissements à pédagogie active où l’on s’est débarrassé de cette question. Ça n’empêche pas ces écoles d’obtenir de bons scores au CEB ».
Un moyen de pression, le redoublement ? Laurent Divers abonde : « Je crois que ça assoit l’autorité d’un établissement. Et que ça permet de trier, de classer, en effet ». Thomas*, enseignant de P5-P6, interroge : « Si j’ai suivi un élève pendant un an et que je le sais en échec, quelle est la meilleure solution pour lui permettre de surmonter ses difficultés scolaires ? Je suis d’accord que ce n’est pas forcément un maintien. Mais, quoi qu’il en soit, on ne peut pas laisser l’élève passer dans la classe supérieure avec ses difficultés, ses lacunes qui vont mettre la suite de sa scolarité en péril. Il s’engage à rattraper le retard pendant l’été ? On met en place un groupe de soutien après les cours ? C’est vrai qu’on manque clairement d’imagination. Mais la réalité, c’est d’abord ça : on ne laisse pas un enfant en galère année après année, ça n’entraîne rien de bon pour lui ».
Trouver autre chose. Peut-être que l’AP, le travail collaboratif et toute la synergie autour des référentiels va permettre à l’école de trouver petit à petit des solutions créatives ? Pour l’heure, rangeons nous derrière les observations de Laurent Divers : « Un redoublement, ce n’est pas anodin. Ça ne peut pas être pris à la légère. Chaque parent devrait pouvoir dire au personnel enseignant : ‘N’hésitez pas à faire autrement’. Des lacunes de l’élève, oui, il y’en a. Mais c’est justement la mission de l’école d’y pallier. On ne doit pas envisager le maintien comme une fatalité. Soyez attentifs, attentives. Battez-vous contre ça et dites-vous bien que rares sont les cas où le maintien est véritablement efficace. Le bien-être de l’enfant est de plus en plus au centre des débats. C’est une première victoire. Mais on doit aller plus loin ».
*Prénom modifié à la demande des témoins
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