Crèche et école

Réforme du qualifiant : leur avenir suspendu à un fil

Pour faire des économies, le gouvernement MR-Les Engagés a choisi de couper dans la section technique de qualification (TQ)

Pour faire des économies, le gouvernement MR-Les Engagés a choisi de couper dans la section technique de qualification (TQ). Les élèves de 6e TQ ne pourront plus poursuivre en 7e professionnelle et toutes les sections de 7e technique de qualification disparaîtront.

« Je ne comprends pas cette volonté d’empêcher des élèves de terminer un parcours scolaire cohérent et efficient. Lorsqu’on place une barrière sur un chemin en travaux, on annonce le cul-de-sac au début du chemin et non au moment où les personnes qui ont emprunté ce chemin en pleine confiance ne peuvent plus faire demi-tour ». Olivier Kuntz, directeur de l’Institut technique horticole de Gembloux, dénonce le fait que la ministre change les règles du jeu en cours de route.

Un CESS qui ferme l’accès à la 7e professionnelle

Pour mieux comprendre l’impact des mesures, nous nous sommes rendus à Gembloux pour rencontrer Olivier Kuntz et deux de ses élèves, Thomas et Lou. Thomas est en 6e TQ horticole. Depuis ses 12 ans, il a le projet de poursuivre son cursus avec une 7e professionnelle (7P) en aménagement de parcs et jardins pour reprendre à terme l’entreprise familiale.
En juin, Thomas recevra son CESS (certificat d’enseignement secondaire supérieur). Un diplôme censé lui ouvrir des portes, mais qui lui ferme désormais l’accès à la 7P. « J’ai l’impression d’être manipulé comme un jouet, on me bloque en bout de course ». La 7P était pourtant pleine de promesses. Grâce aux dispenses des cours généraux, Thomas pouvait combiner les cours pratiques et un statut d’étudiant indépendant.
Même topo pour Lou, étudiant en 6e TQ sylviculture qui se voyait déjà en 7P arboriste grimpeur-élagueur. Lou avait même taillé une suite à son parcours avec une seconde 7e en conduite d’engins forestiers organisée à La Reid.
Les élèves qui terminent leur TQ sont désormais orientés vers l’enseignement supérieur, l’enseignement pour adultes (anciennement appelé de promotion sociale) ou les opérateurs de formation régionale comme les centres IFAPME ou Forem. Des alternatives qui ne tiennent, pour le moment, pas la route, comme le détaille Lou.

Des perspectives qui se réduisent

L’ado s’est renseigné, il existe une formation de grimpeur-élagueur à l’IFAPME de Perwez, mais elle s’étale sur deux ans. Côté formation, « je vais me retrouver avec des adultes qui ne connaissent encore rien au secteur. Rien ne garantit que la personne qui me forme en stage dispose d’une formation puisque l’accès à la profession n’est pas protégé ». Sur le plan financier, Lou devra débourser 243€ de minerval et la rémunération du stage ne compensera pas ce qu’il aurait pu gagner en tant qu’étudiant indépendant. Enfin, côté navette, Lou devra emprunter deux bus au lieu d’un seul, sans garantie de correspondance.
Quant à la formation en conducteur d’engins, il n’existe pas d’alternative alors que celle dispensée à La Reid est très réputée. Olivier Kuntz ajoute : « Au terme d’une 7P, l’élève obtient un diplôme et un certificat de qualification. Les attestations délivrées par les centres de formation n’ont pas la même valeur, ni la même reconnaissance administrative et juridique. Cela peut réduire leurs perspectives professionnelles et leur enlever la possibilité d’enseigner dans la filière professionnelle avec un titre requis ».

« Il faut voir le positif : la ministre a réussi à mettre tout le monde d’accord ! C’est la première fois que tous les acteurs s’expriment contre une décision »

Thomas et Lou se sentent contraints de s’orienter vers l’enseignement supérieur. Lou envisage un Bac Agro à Ath. Une « alternative » qui lui coûtera 835€ d’inscription sans compter les frais de logement. Au niveau des connaissances pratiques, il aura de l’avance, mais son bagage théorique sera moins consistant que celui d’un·e élève qui sort du général. « On a rendu l’école obligatoire jusqu’à 18 ans pour servir d’ascenseur social, cette réforme casse l’ascenseur et ferme des portes aux élèves », dénonce Olivier Kuntz.
Autre exemple, avec Léna, qui se retrouve carrément sur une voie de garage. Son CESS en poche, elle s’est inscrite en septembre 2023 à l’institut Félicien Rops en 5e puériculture avec le désir d’exercer ce métier. Le hic ? Puisqu’elle dispose d’un CESS, Léna ne peut plus poursuivre en 7P en septembre prochain. Or, l’accès à la profession est impossible sans cette année supplémentaire. Sylvie Dachelet, directrice de l’Institut technique Félicien Rops à Namur, réclame un report des mesures pour les huit élèves engagées dans la filière en 5 et 6P.
« Je me suis renseignée, il n’y a pas d’alternative en promotion sociale. La Haute école Albert Jacquard organise un Bac petite enfance, mais c’est trois ans. On ne peut pas parler d’alternative, d’autant que sur le marché de l’emploi, elles coûteront plus cher et n’auront pas les mêmes perspectives d’emploi ».

Disparition de toutes les 7e technique de qualification

La réforme a aussi pour effet de fermer toutes les 7e TQ, sections exclusivement destinées aux élèves de 6e TQ pour le même motif qu’ils détiennent le fameux CESS. Françoise Michiels, coordinatrice de l’Ibefe (instance bassin enseignement qualifiant formation emploi de Namur), explique la spécificité de ces filières. « La plupart des 7e TQ du bassin namurois correspondent à des métiers identifiés par le secteur de l’emploi comme étant prioritaires, voire en pénurie. Ces sections ont été créées pour répondre aux besoins de compétences relayés par les employeurs ».
À Félicien Rops, les 7e TQ photographie et technique multimédia vont disparaître. Des sections réputées pour leurs compétences très pointues et prisées, comme l’explique Sylvie Dachelet. « Nos élèves de photo sortent avec une formation en gestion et une licence drone. En multimédia, ils apprennent le montage vidéo et étaient automatiquement embauchés sur leur lieu de stage. Je ne comprends pas qu’on pénalise ces jeunes qui avaient une garantie d’emploi ».
Si, intellectuellement, la directrice comprend la démarche de rationaliser les filières et le besoin de faire des économies, elle s’étonne de la rapidité de la mise en action. « Je grognerais moins si on laissait le temps aux élèves d’achever leur parcours ».

Un mécontentement univoque et exprimé

Élèves, parents, enseignant·es, directions, pouvoirs organisateurs, tous les acteurs dénoncent également la rapidité de la mise en application des mesures et l’absence de concertation. « Il faut voir le positif : la ministre a réussi à mettre tout le monde d’accord ! C’est la première fois que tous les acteurs s’expriment contre une décision », ironise Sylvie Dachelet.
« Cela fait treize ans que je suis chef d’établissement et je n’ai jamais vu des mesures qui entrent en application au cours de la même année scolaire », observe Olivier Kuntz. Le directeur réclame également un délai de deux ans pour permettre aux élèves de terminer leur cursus et que les centres de formation pour adultes s’organisent pour accueillir ce nouveau profil d’élèves.
Même son de cloche de l’Ibefe qui attire l’attention de la ministre sur la rapidité de la mise en œuvre et recommande de reporter son application pour impliquer toutes les parties prenantes. Plus inédit, les six pouvoirs organisateurs ont rédigé un communiqué de presse commun avec un titre sans équivoque : « Manque de concertation et coupes budgétaires : l’enseignement qualifiant en péril ! ».
Aux dernières nouvelles, il semblerait que la ministre ait entendu certaines doléances du secteur, comme nous l’explique Sébastien Schetgen du CPEONS (conseil des Pouvoirs Organisateurs de l'enseignement officiel neutre subventionné). « Pour ce qui concerne les pouvoirs organisateurs de mon réseau, ils ont la possibilité de transférer les 7e TQ dans l’enseignement de promotion sociale en interne. Je ne peux pas garantir que tout sera organisé, mais nous travaillons à trouver un maximum de solutions ». 

L’AVIS DE…

Merlin Gevers, chargé d’études à la Ligue des Familles

« Les acteurs du Pacte étaient d’accord sur le principe d’éviter les doublons entre les formations de l’enseignement secondaire qualifiant, la promotion sociale et la formation professionnelle régionale (IFAPME et Forem). Mais pas sans concertation et encore moins en cours de route.
Le gouvernement a organisé les coupes et fermetures avant d’avoir vérifié l’existence d’alternatives. Un état des lieux est en cours avec une possibilité de renégocier pour les cas où il n’y a pas d’alternative. Tout l’enjeu sera de se mettre d’accord sur ce qu’est une alternative, car, dans la réalité des parents, il y a des critères financiers et géographiques qui entrent en ligne de compte. D’autant que les bourses d’études ne leur sont pas accessibles en promotion sociale ou dans les centres de formation.
La Ligue des familles réclame une période transitoire pour les élèves en cours de cursus, une réelle concertation et une garantie d’assurer des alternatives qui ne soient pas plus chères qu’une 7e avec un accès aux bourses d’études dans l’enseignement pour adultes. »