Société

Résister face à l’injonction de performance

Face à une nouvelle année qui débute, on est souvent rempli d’espoir. 2025 sera-t-elle une année de changements ?

Face à une nouvelle année qui débute, on est souvent rempli d’espoir. 2025 sera-t-elle une année de changements ? Pouvons-nous être optimistes devant les multiples réformes annoncées par nos nouveaux gouvernements ? Que pouvons-nous espérer de nos deux futures coalitions qui trainent à se mettre en place au fédéral et en Région bruxelloise ?

Soyons honnête. L’avenir ne nous apparaît pas très rose quand on se penche sur l’évolution de la situation politique depuis les dernières élections. Car, là où les gouvernements sont en place, nous sentons poindre très concrètement un projet politique qui vise exclusivement coupes budgétaires et augmentation de l’efficience. Lors de nos rencontres avec les différentꞏes ministres, le message commun était très clair : il faudra faire plus avec moins de moyens. Autrement dit, il faudra être performantꞏe.

Faire plus avec moins

Loin de nous l’idée de dire qu’il ne faut jamais considérer le coût des politiques publiques et leur impact sur le terrain, leur efficacité. Mais viser une optimisation à outrance ouvre la voie à des dégâts considérables.
Concrètement, pour les parents, cela pourrait être le fait d’être confrontés à du surbooking de places en milieux d’accueil, à une flexibilisation du travail en imposant plus d’horaires en soirée et le week-end, plus d’horaires fractionnés. Cela pourrait être devoir composer avec moins de congés familiaux. C’est déjà subir une augmentation du coût de la scolarité d’une école qui devrait pourtant être gratuite suite à l’arrêt de la gratuité des fournitures après la 3e primaire. Les parents qui galèrent déjà au quotidien devront donc faire plus avec (beaucoup) moins.

Madeleine Guyot - Directrice générale de la Ligue des familles
La Ligue des familles, comme toutes les associations, devra donc, elle aussi, faire plus avec moins. Par voie de conséquence, c’est la double peine pour les parents qui risquent d’être moins protégés, moins aidés, moins défendus
Madeleine Guyot

Directrice générale de la Ligue des familles

Pour les associations de terrain, comme la Ligue des familles, qui bénéficient de certaines subventions publiques, ce sera être soumis à des mesures d’impact et d’évaluation, fixées par plus de quantitatif, plus de reporting administratif et moins de qualitatif. Être forcées à faire plus mais en moins bien. Ce sera également moins d’opportunité d’innover et de développer des nouveaux projets suite à la réduction des subventions dans son ensemble aux secteurs associatifs. Ce sera peut-être arrêter certains services et projets pourtant profondément utiles. La Ligue des familles, comme toutes les associations, devra donc faire plus avec moins. Par voie de conséquence, c’est la double peine pour les parents qui risquent d’être moins protégés, moins aidés, moins défendus.

Burn out généralisé

Nous devrions toutes et tous être encore plus performant·es, atteindre nos objectifs avec le moins de moyens possible. Optimisation, efficacité et rendement : bienvenue dans le monde où la performance est devenue l’objectif en soi et s’impose comme rythme de vie. Où la compétition règne en maître du jeu.
Actuellement, à politique inchangée, l’injonction à la performance est déjà bien présente pour les parents. Travailler à temps plein, tout en se battant pour trouver une place en crèche, préparer des repas bio et diversifiés pour les enfants en n’y passant pas trop de temps, car il faut jouer avec eux et combattre l’influence des réseaux sociaux. Il faut aussi courir pour conduire ses enfants dans une multitude d’activités de loisirs et de sport, faire face aux défis de leur scolarité et aux nombreux frais qui en découlent, dans un portefeuille familial où il faudra parfois reporter certains frais de santé, etc. Il faut réussir sa parentalité, dans un pays classé dans le top 3 du burn out parental !
Les parents vivent déjà à plein rendement l’injonction à la performance en permanence. Pour une grande part d’entre eux, ils fonctionnent à du 150% et ce, avec des ressources instables et insuffisantes. Comment vont-ils pouvoir faire encore plus si les politiques publiques les aident encore moins et leur demandent encore plus ?
Olivier Hamant, biologiste et directeur de recherche à l'INRAE, nous enseigne que l’apologie de la performance sur laquelle repose l’ultra-libéralisme construit un écosystème basé sur le burn out des humains. D’après lui, dans un monde instable et où les ressources ne sont pas abondantes, il est nécessaire de repenser notre relation au monde à travers le prisme de la robustesse. La robustesse, c’est la capacité à maintenir un système stable malgré les fluctuations du monde.
Basée sur le monde du vivant, sa réflexion revisite les thèses darwinistes et démontre que pour faire face aux fluctuations auxquelles elle est confrontée, la nature est très peu efficace ou efficiente. Et qu’elle est en fait assez peu dans une logique de compétition. En réalité, il est nécessaire d’être sous-optimal en temps normal. C’est la seule manière de faire face à une fluctuation imprévisible, comme par exemple, l’arrivée d’un pathogène.
Pour illustrer ce concept, facile, pensez à notre température corporelle : notre corps affiche une température régulière d’environ 37°C. Face à un pathogène, la température grimpe à 40°C grâce à l’activité optimum de nos enzymes. Mais cette fièvre doit rester transitoire, sinon les enzymes s’épuisent et se détruisent. Ils ne peuvent rester en mode optimal en permanence, sinon, à terme, on meurt. Notre corps sait répondre à l’urgence car il est en sous-activité en temps normal. Et qu’il peut être performant, de temps en temps. Non pas performant tout le temps. Sinon, c’est le burn out.

Lueur d’espoir

Face à ces injonctions de performance, la Ligue des familles devra trouver une voie de résistance. Pour continuer à protéger les parents, avant le burn out. Pour poursuivre les projets qu’elle considère utiles pour eux. Pour en essayer de nouveaux afin de mieux répondre à l’évolution de leurs besoins. Elle ne devra pas être performante, elle devra être robuste. C’est-à-dire qu’elle devra maintenir son système stable malgré les fluctuations politiques et budgétaires. Est-ce possible ?
La chance de la Ligue des familles est de jouir d’un écosystème financier qui repose sur une diversification de ses ressources. En effet, si l’association bénéficie en grande partie de subventions publiques, elle peut également compter sur une bonne part de rentrées financières propres, issues notamment de ses affiliations. De vos affiliations, chères lectrices et chers lecteurs du Ligueur.
Grâce à vous, la Ligue des familles peut se positionner de manière suffisamment indépendante et garder sa liberté de parole face aux responsables politiques, à tous les niveaux de pouvoir. Grâce à vous, elle peut aussi maintenir des projets profondément nécessaires mais qui perdront peut-être leur valeur face aux fluctuations politiques. Grâce à vous, elle peut tester, essayer de nouveaux services sans attendre trop des financements publics.
Plus que jamais, nous avons besoin de vous, pour toujours mieux vous défendre. Et résister.