Vie pratique

Signé Sibylle

Au départ, nous sommes partis pour rencontrer la première présentatrice d’un journal télé en langue des signes. À l’arrivée, Sibylle Fonzé nous a ouvert les portes d’un univers méconnu, d’une culture qui a ses codes et ses richesses.

Nous sommes accueillis dans les studios de Télésambre à Charleroi, le média de proximité de Charleroi et de la Botte du Hainaut, qui a créé en avril L'Hebdo signé. Le premier JT signé et sous-titré, réalisé par et pour les sourd·es et les malentendant·es. Une émission diffusée les dimanches à 13h et 18h45, visible ensuite sur le site telesambre.be et partagée sur les différents réseaux. Elle a été saluée en Grande-Bretagne, en Finlande, en Italie… où elle pourrait faire des émules.
Cette émission, Sibylle Fonzé, 34 ans, en est particulièrement fière, bien au-delà de la notoriété qu’elle lui a apportée chez nous et à l’étranger. « Je me suis rendue compte de l’importance qu’elle a eue dès la première vidéo sur Facebook, sourit-elle en signant. Cela prouve qu’il y a cette nécessité au sein de la communauté des sourd·es d’avoir son journal. Malheureusement, on est une minorité face au monde des entendant·es qui focalise tout sur l’oral. Ici, ce sont des prémices ».
Sibylle Fonzé travaille la traduction des séquences en langue des signes, s’enregistre en train de signer les sujets sur une tablette qui lui servira de prompteur durant l’enregistrement du JT. Elle reproduira chaque geste sur le plateau, face caméra. Et pour que le programme soit ouvert à tou·tes, un sous-titrage et une voix off sont ajoutés.
Pour produire L’Hebdo signé, une quinzaine de personnes sont nécessaires, de la présentation à la post-production en passant par le sous-titrage et la voix off. Ce concept qui révolutionne l’accessibilité des programmes est réalisé sur fonds propres par Télésambre et un projet national de ce type viendrait combler un manque. Allo, la RTBF ?

Un monde, une culture

Notre rencontre n’aurait pu se dérouler sans l’aide de Noémie Gerday qui signe nos questions et traduit les réponses de Sibylle Fonzé. Merci à elle qui nous a permis d’entrer dans un monde qui nous est méconnu. Une culture même comme y insiste notre interlocutrice, un mode de pensée qui se révèle parfois dans des détails de la vie quotidienne.
« Si vos parents doivent vous appeler alors que vous êtes à l’étage, me montre-t-elle, ils vont jouer avec la lumière pour attirer votre attention. Vous, les entendant·es, vous pouvez communiquer dans le noir, mais, à l’inverse, nous pouvons communiquer à travers une vitre. Les sourd·es vont se rassembler près des sources lumineuses pour voir ce qu’on se dit. Quand je vais refermer des portes, à table avec mes couverts, je vais peut-être faire plus de bruit que les autres. Je n’ai pas toute la culture musicale, toute la culture qui passe par les médias audios. Je vis dans un monde visuel, un monde du silence. Du coup, la nuit, on dort super bien », ajoute-t-elle en riant. Car, oui, il y a aussi un humour sourd !

Fière d’être sourde

Sibylle Fonzé est née dans une famille sourde. Elle est CODA (child of deaf adults), ses parents, son frère aîné, sa sœur cadette n’entendent pas. Sa langue maternelle est la langue des signes de Belgique francophone (LSFB), mais elle navigue autant dans le monde des sourd·es que dans celui des entendant·es.
« Et comme ma mère est flamande et mon père francophone, indique-t-elle, je suis bilingue en langue des signes, mais davantage francophone car j’ai été scolarisée en français. J’utilise aussi une langue des signes internationale, basée sur l’ASL, l’American Sign Language. Entre sourd·es de différents pays, nous parvenons à communiquer de manière visuelle. Sur internet, cela me permet d’échanger et de partager des vidéos. »

« Je suis fière d’être sourde. Pas besoin de chercher un autre mot qui cacherait ce que je suis. J’ai envie de revendiquer ma langue, ma culture, les richesses de la communauté sourde »

La jeune femme est également appareillée et parle français, mais au prix d’efforts importants, car elle n’oralise pas facilement. Elle privilégie le plus souvent la langue des signes. « Enfant, en rentrant de l’école, se souvient-elle, je retirais mes appareils car ils sont imparfaits. Mon grand frère, lui, avait des maux de tête en les portant et les a abandonnés. Il a mis d’autres stratégies en place ».
Même si la technologie devenait miraculeuse, Sibylle Fonzé n’y aurait pas nécessairement recours : « Je suis fière d’être sourde, insiste-t-elle à grand renfort de gestes et d’expressions. Pas besoin de chercher un autre mot qui cacherait ce que je suis. Ma famille est sourde, je suis allée dans une école d’enfants sourds. J’ai envie de revendiquer ma langue, ma culture, les richesses de la communauté sourde. Il y a des médecins qui déconseillent aux parents d’apprendre la langue des signes à leurs enfants parce qu’ils n’apprendront jamais à parler. Il faut au contraire arriver à communiquer et partager cette richesse de la langue des signes. Ce monde fait partie de moi et je fais partie de ce monde. Il y a des problèmes d’accessibilité à améliorer, mais ma vie me convient. Je peux nager, plonger, conduire une voiture, etc. Par contre, les parents entendants ont plus de mal à accepter la surdité de leur enfant. Le plus compliqué, c’est lorsqu’il y a des enfants sourds et entendants dans une même fratrie ».

Sortir de sa bulle

L’école joue un rôle important dans le rapprochement entre le monde des entendant·es et celui des sourd·es. Au début de sa scolarité, Sibylle Fonzé est allée dans une école spécialisée, puis a été inscrite dans une école en intégration avec des interprètes. Un défi au début, car elle était perdue dans cet univers d’entendant·es et a dû faire des efforts pour sortir de sa bulle.
« J’étais entourée de milliers d’élèves entendant·es qui parlaient, parlaient, exprime-t-elle en appuyant son souvenir d’un geste. Impossible d’accéder à tout ça. Heureusement, nous étions trois enfants sourds et nous nous soutenions. »
Malgré ces difficultés, elle croit aux bienfaits de l’enseignement en intégration. Elle-même accompagne désormais des classes à l’Institut Sainte-Marie de Namur, une école pionnière en la matière, avec un binôme entendant. Dans le même but, elle travaille comme assistante au Laboratoire de langue des signes de Belgique francophone (LSFB Lab) de l’Université de Namur. Outre des recherches en linguistique, celui-ci s’occupe de la formation continuée des professeur·es bilingues et est chargé officiellement de la traduction, voire de l'adaptation, pour les élèves sourd·es ou malentendant·es, des épreuves externes (CEB, CE1D) impliquant l'oralité.
« Il y a une valeur ajoutée pour une école d’offrir un enseignement bilingue, signe-t-elle avec conviction. La langue des signes n’est pas une langue pauvre, elle a plein de richesses. Mes parents ne parlent pas une langue pauvre, ils n’ont pas une culture pauvre et je veux le faire savoir aux générations futures. Du temps de mes parents, il n’existait quasi rien. La situation s’est heureusement améliorée depuis. »

Un combat pour l’accessibilité

C’est ainsi que sur le site de Sigra, la section enfants de l’asbl LSFB entièrement constituée de bénévoles, vous pouvez découvrir des vidéos de contes signés et adressés à la communauté sourde de Belgique auxquels contribue Sibylle Fonzé. Car si les enfants sourds savent lire, ils n’accèdent pas nécessairement à 100% à la langue française et toutes ses subtilités. Les moyens financiers manquent cependant pour accentuer les efforts en faveur du monde sourd qui reste invisibilisé.
« On ne pense pas souvent à nous, regrette-t-elle d’une expression significative. Cela fait de nombreuses années que les sourd·es se battent pour plus d’accessibilité, de sous-titrages. Par exemple, au début de la pandémie covid, c’est nous qui avons dû attirer l’attention sur l’absence d’interprétation pendant les premières conférences de presse du gouvernement. Quand je conduis, quand je suis dans les transports, vous ne pouvez pas deviner que je suis sourde, quand je vais faire mes courses, la caissière se fige quand elle découvre que je suis sourde, mais il n’y a pas de raison. Ne vous inquiétez pas, on peut se débrouiller, faire des petits mimes. Même si, parfois, c’est lourd au quotidien. Si les entendant·es apprenaient la langue des signes, nous pourrions nous rapprocher. Nos cultures pourraient se rapprocher. Tout le monde devrait apprendre tout petit la langue des signes. »

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