Santé et bien-être

Surpoids, obésité : une affaire de famille

20 % des enfants de moins de 16 ans présentent une surcharge pondérale inquiétante. À surveiller ? Oui, mais surtout, à comprendre, car tout n’est pas question de simple définition. Trop manger serait aussi une stratégie de survie aux émotions…

Sophie a une silhouette de rêve. 58 kilos pour 1m69, « mais ça dépend des jours », sourire et clin d’œil. Une bonne humeur qui disparaît à l’entrée de sa fille de 14 ans. Melody - haussement d’épaules - se dit obèse. « Non, en surpoids, et tu es très jolie », corrige sa maman.
Le surpoids, parlons-en. C’est un signal qu’il faut repérer et stopper de préférence avant la fin de l’adolescence. Surpoids et obésité sont définis par l’OMS comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle qui peut nuire à la santé. Ceci pour la définition officielle.
Les définitions secondaires, Melody les entend depuis la fin du primaire : « ronde mignonne » (les amis, politiquement corrects), « grassouillette » (son Papy, franchement pas délicat) ou « grosse baleine » (les camarades de classe, de préférence dans son dos, au moment de former les équipes au cours de gym). C’est d’ailleurs ce qui a alerté Sophie : « Elle avait tendance à se sentir mal au point de ne pas aller à l’école. De plus en plus régulièrement. Pour avouer, enfin, ne plus vouloir se déshabiller dans les vestiaires, ni s’exhiber en vêtement de sport devant toute la classe ».

Le surpoids et l’obésité, à partir de quand ?

Manger, c’est normal, c’est vital. 80 % de l’énergie fournie par les aliments se transforme en calories qui servent au bon fonctionnement de l’organisme. Malheureusement, malgré les alertes régulièrement relayées dans les médias, nous devenons de plus en plus sédentaires, et nos enfants suivent l’exemple.
Le temps passé derrière les écrans sans bouger et bien souvent en grignotant incite leurs corps à stocker des calories. Et plus ils sont connectés, plus ils sont traqués par les publicités en faveur de la malbouffe. À la longue, manger n’importe quand finit par dérégler les sensations de faim et de satiété : ils mangent de plus en plus, ils prennent du poids.
Mais quand considérer que cela devient problématique ? Il faut surveiller la corpulence et le rebond d’adiposité et ce, dès la petite enfance. Généralement, les cas sont repérés à la visite médicale scolaire ou référencés par les généralistes : étudiez attentivement le carnet de santé de votre enfant, dans lequel sont reportées les courbes de croissance. Si le rebond d’adiposité, est précoce (avant 6 ans), il peut annoncer une obésité future. Il est temps de rechercher les raisons de la modification de l’équilibre subtil entre manger, bouger et prendre soin des besoins affectifs.
Pour Melody, pourtant pesée et mesurée régulièrement afin de déterminer l’évolution de son poids et de sa taille en fonction de son indice de masse corporelle (le fameux IMC, le rapport entre le poids et la taille au carré), personne ne s’est inquiété outre mesure. « Je pensais qu’elle finirait bien par s’allonger », confie Sophie. Les kilos se sont installés petit à petit, et c’est la jeune adolescente elle-même qui a décidé de demander à voir un médecin, après avoir visionné un reportage « qui lui avait fait peur ».

► L’excès de poids est un symptôme 

L’obésité est une pathologie complexe : la soigner demande, de préférence, l’implication de toute la famille. Elle dépend d’une combinaison de facteurs différents et est à l’origine de complications d’ordres psychopathologiques, cutanés, orthopédiques, cardio-respiratoires, métaboliques et endocriniens. Entretien avec Véronique Beauloye, endocrinologue.

Justement, la famille, c’est souvent par ce biais que les patients viennent vous consulter, à l’unité d’endocrinologie pédiatrique de l’UCL ?
Véronique Beauloye : « Oui, nous avons mis sur pied un concept original, la ‘Consultation obésité’, avec ses deux corollaires : manger heureux et bouger libre. Au bout de vingt ans de métier, j’ai la conviction que le salut vient de la prise en charge particulière de chaque enfant : notre approche est intégrée. Nous partons du principe qu’il n’y a pas une obésité, mais des obésités, chaque problématique étant individuelle. Je suis convaincue que le problème de poids s’inscrit dans une systémique familiale et personnelle qui est propre à chaque enfant et son entourage. Partant de ce principe, nous avons développé des consultations multidisciplinaires intégrées et individualisées. Pas de groupes de paroles, pas d’activités physiques dirigées, de cours de cuisine ou de conférences : on reçoit nos patients de façon individuelle, psychologue et médecin côte à côte. Pour certaines familles, réticentes à l’idée de consulter un psy, c’est l’occasion de prendre conscience que l’excès de poids est un symptôme. Elles entrent dans la dynamique et déposent des choses qu’elles n’avaient pas abordées en pré-consultation. Beaucoup de familles arrivent chez moi parce qu’elles sont persuadées que leur enfant a des problèmes de thyroïde, pas pour parler surpoids ! »

Vous insistez sur l’importance de considérer le contexte, la prise de poids serait souvent réactionnelle ?
V. B. :
« Elle intervient souvent dans des contextes particuliers. Un événement de vie douloureux, une difficulté vécue par l’enfant ou l’ado : séparation, maladie d’un parent, difficultés scolaire ou solitude. Et la prévalence de l’obésité à l’adolescence concerne surtout des filles. Nos jeunes patients ont une relation affective avec la nourriture. Ils ont des soucis dont ils ne sont parfois pas conscients et, comme ils compensent, se met en place une sorte de cercle vicieux, de mécanique : chercher dans la nourriture des remèdes, contre l’ennui, par exemple. »

Parfois, les parents ne sont pas clairs, ils utilisent des doubles discours. Ils veulent que leur enfant fasse de l’exercice, mais ils préfèrent le savoir en sécurité à la maison, plutôt qu’à l’extérieur.
V. B. :
« Certains parents traitent encore leurs ados comme des petits, tout en les investissant d’un rôle de parent, ils ont la responsabilité de leurs frères et sœurs, par exemple. Ou alors, ils sont seuls, de longues heures durant. Certains recherchent des compensations dans la nourriture. Parfois, notre travail est de remettre en route des projets pour ces jeunes, les aider à retrouver d’autres plaisirs dans la vie ou d’autres réconforts que la nourriture. La prise en compte multidisciplinaire trouve ici tout son sens : chaque spécialiste s’entretient de son côté avec les membres de la famille. Celle-ci est ensuite orientée vers la diététicienne, avec laquelle elle creuse quelques pistes déjà mises en évidence : c’est le goûter qui peut poser souci ou les quantités qui sont problématiques. Parfois, c’est l’heure du coucher qui est critique. »

Vous ne préconisez pas de faire régime ?
V. B. :
« À la consultation obésité, pas de solutions plaquées, c’est contreproductif. Nous préférons nous baser sur l’expérience des familles, leurs habitudes. Elles sont réinstaurées dans leurs compétences : ce sont elles qui amènent les idées, qui proposent. Parfois, c’est très lent, il faut leur laisser le temps d’intégrer les points que l’on souligne. Il faut faire preuve de beaucoup de patience et d’empathie, nous choisissons de les accompagner sur la durée, les patients sont invités à revenir tous les trois-quatre mois. L’intervention de la diététicienne permet de compléter leurs dossiers, d’affiner les mesures d’accompagnement en fonction des personnes, de croiser les informations. Je leur envoie un petit mot d’encouragement qui résume les points abordés, qui servira jusqu’à la consultation suivante. Si nécessaire, les parents peuvent décider de venir rencontrer la diététicienne ou la psychologue dans l’intervalle. Vous savez, parfois les parents sont démunis : ils n’ont pas bien compris les changements de besoins de l’enfant. Pour certains ados, la nourriture peut devenir un moyen d’exprimer leur autonomie, leur révolte, leur détresse. » 

Longue haleine

Prendre en charge l’obésité et le surpoids, c’est une affaire de famille. Pour revenir en arrière une fois qu’elles se sont installées, il faut un travail de longue haleine, combinant hygiène de vie et acceptation de son corps par l’adolescent. Il peut être salutaire de faire un bilan parental de l’alimentation et inspecter les placards. De quoi est rempli le frigo ? Que posons-nous sur la table ? Partageons-nous des activités pour bouger ensemble ?
Si vous avez des astuces, le Ligueur est curieux de vous lire pour les partager ! Pour Véronique Beauloye, le meilleur conseil à donner, c’est d’être attentif aux besoins de développement de leurs jeunes. « Qu’ils puissent s’épanouir, avec des projets. Leur investissement est un axe idéal de guérison ».



A. K.

En pratique

Organiser la prise en charge

Une obésité qui ne serait pas prise en charge à l’adolescence a toutes les chances de persister à l’âge adulte, entraînant d’autres maladies comme le diabète, des troubles du sommeil ou cardiaques. L’objectif de la prise en charge n’est pas prioritairement de perdre du poids. Chez l’enfant, il s’agira plutôt de le stabiliser ou de ralentir la prise de poids pendant la croissance. Chez l’ado en fin de croissance, on encouragera le fait de ne plus grossir ou de maigrir très progressivement : pas de régime sauvage !
Quelques conseils (valables aussi pour les parents) :

  • Ne pas s’inquiéter si votre enfant est dans une fourchette de poids normal.
  • Faire un bilan énergétique et travailler sur les comportements, les sensations alimentaires : faim et rassasiement.
  • Éviter les collations du matin : le temps de récréation n’est pas un temps de restauration.
  • Éviter les pertes de poids rapides : n’essayez pas de mettre vous-même votre enfant au régime, évitez les plans alimentaires.
  • Inviter votre enfant à manger quand il a faim et qu’il en a envie, lentement et en dégustant.
  • Favoriser l’activité physique.

À lire

Le charme discret de l’intestin. Tout sur un organe malaimé, de Giulia Enders (Actes Sud), qui nous invite à un voyage vertigineux dans le système digestif, à la découverte des avancées de la recherche sur les causes du surpoids, du diabète, des dépressions et des maladies de peau, bref, à la découverte de notre « deuxième cerveau ».

Les infos collectées sont anonymes. Autoriser les cookies nous permet de vous offrir la meilleure expérience sur notre site. Merci.
Cookies