Développement de l'enfant

Elle a fini par convaincre sa maman. À 17 ans, Maud va se faire tatouer une petite étoile sur l’épaule gauche. Rien d’extravagant, rien qui ne se voie quand elle est habillée, c’était la condition. Pour les ados, se faire tatouer est un acte de passage, un rituel, une marque d’appartenance.
Entrer dans une convention du tatouage, c’est pénétrer un monde caractérisé par le son. Outre les conversations et les rires des participants, la première chose qui frappe, c’est le bruit de fond incessant, le bourdon permanent des dermographes (les machines à tatouer) qui s’apparenterait à l’ambiance d’un cabinet de dentistes stakhanovistes.
Une foule compacte s’y presse, brassant tous les âges, sinuant dans les travées où sont alignés, de part et d’autre, les stands des 350 artistes de tous les continents. Des stars renommées côtoient des tatoueurs de la nouvelle scène, propulsés par internet : côte à côte, ils ont installé des studios éphémères où amateurs éclairés et connaisseurs se pressent pour se faire encrer. On se laisserait presque tenter…
Certains stands sont dédiés uniquement à la vente des encres de toutes les couleurs, d’autres permettent de s’approvisionner en crèmes et baumes en tous genres. Ici, des vêtements et des accessoires, des bijoux qu’on s’offrirait sans hésiter si - petit détail - l’on avait passé le cap du piercing et des écarteurs de lobes.
En matière de tattoos, c’est l’écolage rapide : on découvre tout ce qui se fait en noir, en aquarelles ou en tons éclatants. Des petites marques discrètes aux œuvres plus importantes qui recouvrent le crâne, le bras, la jambe, ou plus monumentales encore, qui prennent tout le dos, voire le corps entier, au cœur des tendances, tout est là.
Phénomène de société
Dans le bourdonnement de ruche, quelques heures durant, je regarde les artistes tracer, ombrer, remplir de couleurs. Chacun rivalise et excelle dans le contrôle de ses aiguilles. Les tables débordent de papier à dessin, de calques, de books dans lesquels les clients cherchent l’inspiration. Je découvre les indispensables de cet univers saturé d’encres : gants de latex, cache-tétons sparadraps et rasoirs jetables, crème hydratante et vaseline, lingettes désinfectantes et rouleaux de film plastique étirable, feutres stériles pour la peau et poubelles pour aiguilles de tatouages. Et pour tous : lampe frontale de rigueur.
Le tatouage est une pratique ancestrale qui touche toutes les sociétés. Rituel, guerrier, symbolique ou esthétique, c’est un art corporel qui marque le passage d’un statut à un autre, un signe d’acceptation, d’appartenance à un groupe. Il a évolué en occident pour devenir celui des marginaux, rebelles, ex-prisonniers, voyous, marins, bref, des « durs ».
Mais, depuis une vingtaine d’année, sa pratique traduit un véritable phénomène de société : on en voit de plus en plus, dans toutes les professions et les sphères sociales. En Belgique, selon le SPF santé, ils sont 500 000 à visiter chaque année les studios des tatoueurs professionnels. Aujourd’hui, ce sont surtout les jeunes qui se font tatouer, témoignant ainsi, selon le sociologue David Le Breton, d’une « intégration des garçons et des filles à la culture de leurs pairs ».
Réfléchir avant d’agir : effacer un tatouage coûte cher, est douloureux et n’est pas toujours satisfaisant à 100 %...
Arborer un tatouage n’est plus considéré comme une transgression : la plupart des stars, du sport au showbiz en passant par la téléréalité exhibent des œuvres plus ou moins réussies. Ils influencent les adolescents en pleine quête identitaire, obsédés par leur look.
Quoi de plus normal ? La pratique demeure une forme d’initiation, même inconsciente, caractérisée par la signification du dessin, le sens d’une phrase, la réputation de « l’officiant » et… la douleur. Un rituel qui flirte avec la mode, mais plus que cela : il laisse une trace indélébile, il marque la différence d’avec les parents et leurs interdits, il signe la mue, l’appropriation de son corps, l’entrée dans sa propre vie.
Le psychiatre Xavier Pommereau évoque ce besoin des ados à « risquer leur peau », mais aussi à se soumettre à la maîtrise du groupe. Se faire encrer, c’est manifester son identité, exprimer ses valeurs, clamer ses choix. Cela peut aussi se révéler thérapeutique, un moyen de clamer et calmer sa douleur, d’inscrire dans sa chair des événements importants, pour se souvenir, célébrer, ne pas oublier.
Mineurs : autorisation parentale exigée
Le rôle essentiel du parent est de poser des limites, contenir les pulsions, sans oublier de soutenir le jeune. Un jeu d’équilibre subtil entre l’intervention en cas d’excès et de laisser-faire bienveillant. David Le Breton évoque cette responsabilité, le devoir de protection qui nous incombe, et la difficulté croissante pour les parents de marquer leur loi.
Le législateur belge n’a rien prévu de très contraignant pour vous aider : votre ado peut se faire tatouer avant l’âge de 18 ans si vous lui en donnez l’autorisation écrite, précise Vinciane Charlier, du Service fédéral chargé de la santé. « À l’heure actuelle, il n’y a pas de limite formelle d’âge, pas d’interdiction. Les mineurs étant toujours légalement sous l’autorité parentale, un tatoueur sérieux refusera toujours de tatouer un ado ou un enfant sans cet accord ».
Choix du motif, emplacement : votre ado évoque ses projets devant vous ? Affolé mais stoïque, conservez l’air digne du parent qui en a vu d’autres : la pire des réactions serait d’interdire sans dialoguer. Mieux vaut débattre, entendre ses arguments, de façon à pousser sa réflexion, lui faire comprendre que vous voulez le protéger.
En ne cédant pas à la première demande, le jeune confronté à une résistance peut mieux évaluer sa propre décision. S’il a moins de 16 ans, c’est non : il grandit encore, la peau bouge, le corps va se modifier, le tatouage aussi. Refus absolu : s’il parle de se tatouer lui-même ou de le faire faire par un vague pote ! Et quand le temps sera venu, vous pourrez ensemble chercher l’adresse d’un tatoueur agréé.
ILS/ELLES EN PARELENT...
Sans regret
« Je trouve ça beau, mais je veux être sûre de mon choix, ce serait bête de regretter dans cinq ans ! »
Léontine, 17 ans
Du tri
« Je veux devenir tatoueur plus tard, je dessine, j’adore. Je suis impatient. J’ai déjà effectué plein de recherches, j’ai beaucoup d’idées, il faut que je trie ! »
Gregory, 17 ans
Beau !
« Juste parce que c’est beau ! J’en ai plusieurs : certains ont un sens, sont liés à des émotions, d’autres non. J’ai commencé à 21 ans, j’ai attendu d’être vraiment sûr. »
Jaïro
EN PRATIQUE
Les conseils de Fred, patron du Studio Perle Noire (Ixelles)
Comment choisir son studio de tatouage ?
Prends le temps : tu vas poser un acte qui va rester à vie ! Dans un bon studio, l’écoute est personnalisée. Demande bien au tatoueur si ton idée est dans ses cordes, étudie son travail. Il faut se sentir à l’aise, poser des questions, exprimer ses doutes. S’il refuse de répondre aux questions de base, sur l’hygiène par exemple, mieux vaut tourner le dos. Pour exercer, il doit être agréé par le SPF Santé. Le matériel doit être stérilisé : vérifier que les emballages sont bien scellés. Les aiguilles sont à usage unique, elles sont jetées dans une poubelle spéciale dès qu’on a terminé de travailler. Si tu as moins de 18 ans, il devrait refuser de te tatouer.
Comment se préparer ?
Je déconseille de faire du sport juste avant une session, car cela congestionne les vaisseaux. Il faudra aussi raser les zones à tatouer, les aiguilles n’aiment pas les poils ! Ensuite, la peau sera désinfectée avant de poser le calque ou de dessiner directement dessus au marqueur. Il vaut mieux éviter les crèmes anesthésiantes : on ne le voit pas à l’œil nu, mais elles font légèrement gonfler la peau, ce qui fera bouger le trait par la suite. Et mieux vaut le rappeler, évite absolument de consommer de l’alcool, de fumer de l’herbe, de prendre des aspirines...
Comment se préparer à la douleur ?
La douleur, c’est subjectif, cela dépend d’une personne à l’autre et des endroits à tatouer. Les zones les plus sensibles sont les côtes, les orteils, l’intérieur du bras… Personnellement, je dirais qu’elle se situe entre la brûlure et les griffures de chat. Mais dès que l’aiguille quitte le corps, on ne la sent plus !
Comment en prendre soin ?
Le tattoo terminé, on applique de la vaseline et on le protège avec un film de cellophane, à garder deux ou trois heures. La vaseline rebouche les pores et le plastique évite que des bactéries s’installent. Tous les jours, il faut le nettoyer et l’hydrater : les soins représentent les trois quarts du résultat. Je conseille vivement d’utiliser des produits reconnus comme le Cicaplast ou le Bépanthol. Je soigne mes propres tattoos avec du beurre de karité auquel j’additionne quelques gouttes d’huile essentielle de lavande pure. Mais attention : il ne faut pas faire n’importe quoi non plus avec les huiles essentielles ! Il y a différentes étapes de cicatrisation, les couches internes prennent plus de temps et dépendent du travail effectué : un mois pour du remplissage, quinze jours pour des lignes fines. Le tatouage est vivant, il va bouger dans la peau pendant un an, il faut éviter de l’exposer au soleil et toujours bien l’hydrater.
Et si ça réagit mal ?
Au moindre doute, retourne chez ton tatoueur sans attendre, cela fait partie du service. Il t’accompagne jusqu’à la cicatrisation totale. Pas question de jouer au petit chimiste : si cela semble grave, ne pas hésiter à consulter un dermatologue.
EN SAVOIR +
- Poser les bonnes questions : avec la Check-list personnelle avant de décider de se faire tatouer du SPF Santé.
- Lire : Le goût du risque à l’adolescence. Le comprendre et l’accompagner, Xavier Pommereau (Albin Michel) et Le corps et l’adolescence, David Le Breton (Yakapa).
- Faire ses classes : jeter un œil sur Ink Master, le meilleur tatoueur, une émission de compétition sur le tatouage au jury impitoyable !
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