Développement de l'enfant

On a tout à fait conscience que l’on aborde un sujet éminemment complexe. Un qui divise. Celui de la question du trouble du genre. Des petits garçons enfermés dans des corps de petites filles ou l’inverse. C’est le cas d’Achille, 6 ans, le fils de Diego. Plutôt que de laisser la parole à un seul expert, trop clivant ou trop prudent, nous avons décidé de céder la place au récit quotidien qu’un papa vit avec son fils, mal dans son genre. Il raconte avec simplicité et détermination.
Diego a hésité à nous raconter l’histoire de son fils. On lui a laissé un peu de temps. Il a consulté sa compagne, qui lui a donné son feu vert à condition de s’effacer complètement et de ne pas être mis sous le feu des projecteurs. Tout au long du récit, il n’aura de cesse de répéter qu’il s’agit d’une histoire privée. Qu’il a peur pour son fils et qu’il ne comprend pas pourquoi les autres s’en mêlent.
Tout commence à la crèche. Achille a 2 ans et demi. Ses parents sont convoqués par les puéricultrices. Elles annoncent qu’« il y a un problème ». Pour certaines activités, les filles sont d’un côté, les garçons de l’autre. Achille, lui, se range systématiquement avec les copines. « Expliquez-lui qu’il est un garçon, insistent les puéricultrices, c’est votre rôle »…
« Garçon, c’est chouette aussi, non ? »
« Non, on n’explique pas, poursuit Diego gentiment. Il est trop jeune. Ça ne me semble pas opportun. On l’observe. On voit qu’il aime les princesses, les élastiques, il chipe des petites pinces aux copines ». Entrée en maternelle, Achille se rue sur les déguisements les plus girly. À ce moment de sa vie, ses parents ne sont pas dupes : « Quand on discute, il est très conscient d’être un garçon. Mais on sent très nettement qu’il se sent fille ».
Alors, que fait-on dans ce cas ? On se renseigne d’abord. Les parents d’Achille se rendent compte que c’est assez fréquent. Un pédopsychiatre les éclaire : entre 2 et 4 ans, il arrive qu’un enfant ait des perturbations du genre. Diego est honnête : avec sa compagne, ils espèrent que ça passera. Pourquoi ? « Tu sais que ça va être plus compliqué pour ton enfant ».
Mais Achille se montre très déterminé. Progressivement, il gagne du terrain. Il se déguise tous les soirs avec des robes très brillantes, très roses, très pailletées, si possible avec plein de strass… Ses parents tentent parfois de lui faire essayer des costumes de prince, de pirate, de super-héros de toutes sortes, mais rien n’y fait. Il n’est copain qu’avec les petites filles et ne joue qu’avec elles.
Pour son troisième anniversaire, pas un petit invité, juste huit copines qui considèrent Achille comme une des leurs. « Pourtant, il joue avec elles comme un ‘petit garçon’. Il les embête, il court après, il les poursuit. S’il joue avec des poupées, il les jette dans les escaliers ». Autant de signes qui brouillent les pistes, mais qui, très vite, sont rattrapés par la fascination qu’Achille éprouve pour ses copines, leurs robes, leurs cheveux, leurs jeux, leur univers. Il veut en être.
Des déguisements, on passe aux serre-tête, puis aux chaussures. « Les pires trucs, en plus, s’amuse Diego. Même si j’avais eu une fille, j’aurai refusé de lui acheter ces horreurs. Mais le problème, c’est qu’un garçon qui vous demande son quinzième T-shirt Batman, vous refusez légitimement. Avec Achille, on a peur de le brimer dans la quête de son identité. On est toujours balancés entre ce qui le construit et la lubie passagère. Et on a peur d’engendrer des frustrations ».
On en arrive aux robes et aux collants. Cette fois, ce n’est plus pour se déguiser, mais bien pour s’habiller. Une fois qu’il les a, il veut sortir avec. Il procède étape par étape. Il développe une stratégie inconsciente. Quand ses parents lui disent : « Tu sais, garçon, c’est chouette aussi », il répond de but en blanc : « Mais pourquoi vous me dites ça ? Vous savez que je suis comme ça ».
Son désir d’être une fille est plus fort que tout. Encore récemment, il a fait pipi accroupi dans un parc, quitte à s’en mettre partout. Hors de question de le faire debout. Et tant pis si c’est moins pratique. Tant pis si les parents se fâchent fort. Diego constate qu’Achille, son zizi, ça l’embête. D’ailleurs, plusieurs fois, il a expliqué qu’il n’avait pas envie d’en avoir un. Trop encombrant. Comment accompagne-t-on cette torsion de l’identité sexuelle ?
« Le monsieur qui va m’aider à me transformer »
Diego et sa compagne comprennent qu’il s’agit d’une problématique qui ne va pas s’atténuer comme ça. Ils n’hésitent pas à faire appel à un psy, spécialiste du sujet. Là encore, Diego se montre très déterminé. « Si on fait appel à lui, c’est plus pour nous que pour Achille. Ce n’est pas pour le ‘guérir’, mais pour pouvoir l’accomapgner. Pour nous, la frontière entre le caprice et une réelle quête d’identité est très dure à percevoir. On a besoin d’appuis, de repères ».
C’est aussi à l’évocation des consultations qu’Achille leur lâche tout naturellement à propos du psy : « Donc, c’est le monsieur qui va m’aider à me transformer en fille ». Comment le vit-on en tant que parent, ce type de projection ? Diego s’y prépare progressivement. « Il est encore très jeune. On avance petit pas par petit pas. Je dirais même que l’on profite de la situation tant qu’elle n’est pas encore trop complexe. Parce qu’un gamin résolument déterminé à changer d’identité sexuelle, ça passe par la prise d’hormones, dès l’âge de 10-12 ans. Avant la puberté. Donc, on ne se projette pas. Jamais. Le moins possible. On ne veut pas lui voler son enfance ».
Et si, à un moment, l’irréversible devenait la seule solution ? Le papa prend un long instant de réflexion. Puis, très catégorique, il répond : « On l’accompagnera. On fera toujours tout ce qu’il faut pour l’accompagner ». Pas de projection non plus, parce que l’avenir fait un peu peur. Pour le moment, tout se passe bien en maternelle. L’innocence prime. Achille et ses copines y coulent des jours heureux.
Mais après ? Diego confie que la plus grosse difficulté, c’est l’autre. Son regard. Son jugement. Les parents d’Achille craignent d’abord l’école primaire, puis le secondaire et son virage adolescent.
« L’intolérance nous effraie. Je me rappelle que, dans ma petite école de campagne très tranquille, un copain efféminé se faisait harceler et traiter de pédé. Je n’y participais pas. Mais je ne le défendais pas non plus. Je sais que les années que s’apprêtent à vivre Achille vont être très dures. Comme elles le sont pour chaque élève différent. »
Pour le moment, le regard extérieur, Achille s’en contrefiche. C’est sa plus grande force.
Pour avoir fait quelques pas avec lui une après-midi où il portait une robe, on voit bien qu’il en indigne certains. Parfois même montré du doigt. Il ne les voit pas.
On apprend à être indifférent dans ce genre de cas ? Diego confirme. Les regards obliques, lui non plus ne les voit plus. Il conseille à d’autres parents qui pourraient vivre ce genre de situation de ne se laisser influencer par rien. Aucun avis. Aucune recommandation. Ils n’ont aucune justification à donner. Il faut apprendre à dépasser les « Oh, Achille est ainsi parce que ses parents voulaient une fille » ou encore les « Ils ont beaucoup d’amis homosexuels, alors ça ne leur fait pas peur ».
Diego explique qu’il n’entend pas ce genre de remarques. Il s’en fout complètement. Il ne veut pas se nourrir de colère. Il passe son chemin. Il explique qu’il n’y a rien de honteux. Ni dans l’attitude de son fils. Ni dans celle des parents. Tout cela émane d’un besoin profond chez l’enfant. Il ne sert donc à rien de se demander en tant que parent ce que l’on a fait de mal. La seule chose à faire est d’écouter. Observer et accompagner au mieux son enfant. Être avec lui. Être fier. L’enfant doit sentir que l’on est fier de lui.
« Et je suis fier, moi, de la conviction profonde d’Achille. Mes craintes liées à la puberté, je les garde pour moi. Je le protégerai. Ce que j’espère le plus, c’est qu’il soit le plus épanoui possible. Que son orientation ne lui gâche pas la vie. J’espère qu’il sera le plus heureux possible. Comme tous les parents. Il faut bien répéter aux autres, dans cette situation ou non, que nous demeurons avant tout des parents. Avec les mêmes craintes et les mêmes aspirations que quiconque. »
Yves-Marie Vilain-Lepage
En pratique
Où s’adresser ?
Le premier conseil des spécialistes qui travaillent sur les troubles du genre, tout comme les parents d’Achille ont pu le faire : toujours bien observer son enfant. Longtemps. Et ne jamais l’étiqueter à la hâte. Il existe des endroits pour accompagner les parents et répondre à toutes leurs craintes.
► Infotransgenre.be : la plateforme d’information transgenre fourmille de précieux conseils. Elle a listé tous les spécialistes du pays, par spécialité, prompts à aider les parents à réagir et à trouver des réponses aux nombreuses questions qu’ils se posent.
► Genres pluriels : des témoignages, des conseils, des informations. Le seul bémol est que cette association n’est ouverte qu’une fois par mois et pas évidente à joindre.
► Tels quels : toutes les infos pour un public concerné de près ou de loin par la diversité.
À lire
► À partir de 8 ans : Georges d’Alex Gino, l’école des loisirs. La petite Melissa est une petite fille, née dans le mauvais corps. Celui d'un garçon. Elle est la seule à savoir qu'elle est en vérité une fille. Comment avancer ? C’est justement tout le sujet du livre. Qui verse parfois dans un sexisme un peu rampant. Dommage, vu le sujet…
► Pour les ados : Le garçon oublié de Jean-Noël Sciarini, l’école des loisirs (Médium). Ici, il est question d’aborder la transsexualité par le changement du corps adolescent. Ce qui arrive à Toni est merveilleusement décrit, comme si le corps avait choisi un camp à l’encontre de son esprit. Comment surmonter les épreuves ? Par de très belles choses. Dont l’amour, bien sûr.
► Pour la fratrie : Cette fille c’était mon frère, de Julie Anne Peters, Milan. Un changement d’identité vient chambouler pas mal de choses dans la famille. On parle souvent du rapport parent-enfant, on oublie souvent les frères et sœurs. Ce livre l’aborde très bien. Sur fond de secret, de partage et de complicité.