Vie pratique

Trois accueils, trois histoires

Ils et elles s’appellent Catherine, Hélène, Benjamin et Tom. Tou·tes ont ouvert la porte de leur foyer pour raconter leur histoire d’accueil familial. Urgence, court ou long terme, ces récits expliquent comment la vie des enfants confiés a été changée.

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À SAVOIR

L’accueil familial est un dispositif basé sur le principe de solidarité citoyenne. Des familles bénévoles proposent d’accueillir un enfant et l’aident à bien grandir. 
Il existe trois types d’accueil familial :

  • urgence (15-45 jours)
  • court terme (3-9 mois)
  • long terme (durée indéterminée - évaluation annuelle)

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► L’accueil d’urgence

On retrouve Catherine à Neupré, sur les hauteurs de Liège. Pour elle et son mari, l’aventure commence il y a deux ans. À la faveur d’une rencontre, un projet de vie vieux de trente ans refait surface. « On s’est mariés en 1990 et l’accueil a été évoqué comme un projet de vie commun. Mon parcours personnel m’a rendue sensible à cette réalité des enfants placés et Adrien avait conscience d’avoir été fort gâté par la vie et l’envie de rendre ».

Un enfant, un album

Tout commence en 2021. Catherine vient de retrouver une amie perdue de vue qui lui parle de son expérience de l’accueil. La dernière en date fut intense avec un petit pleurant sept jours consécutifs. Le récit ne décourage pas Catherine. Avec son mari, elle entreprend les démarches. Raisonnablement, le couple penche pour l’accueil d’urgence. Cette temporalité colle à la personnalité de Catherine qui aime s’investir à fond dans les projets qu’elle mène, mais a aussi besoin de répit pour reprendre son souffle.
Catherine pointe les albums photos alignés dans sa bibliothèque. Un album par enfant accueilli. Des tranches de vie en images. Sa main s’arrête sur l’album d’Anaëlle, la toute première, arrivée chez eux à 10 mois avec un petit baluchon et une lettre de remerciement de sa grand-mère. Pendant deux mois, Catherine et Adrien ouvrent leur nid. Ce qu’ils préfèrent, c’est lui faire connaître les balades dans les bois, les fleurs du jardin, les câlins.

« Je rêve d’un accueil plus flexible où nous pourrions être tout un village autour de l’enfant »
Catherine

famille d'accueil d'urgence

Quand l’accueil touche à sa fin, Catherine glisse le double de l’album photo dans le petit bagage d’Anaëlle, accompagné lui aussi d’une lettre. Quelques lignes pour raconter un peu de ce quotidien partagé. Mettre des mots sur les sourires, exprimer la confiance et la capacité d’adaptation étonnante dont a fait preuve l’enfant. Une manière pour le couple d’injecter du positif dans ce parcours de vie chahuté.
Catherine vient de recevoir le tout dernier album, celui de Sacha arrivé en octobre. « C’est un enfant incroyablement poli, propre, très (trop ?) docile et souriant. Il est arrivé chez nous avec le pouce levé et un grand sourire aux lèvres. Il est d’une facilité déconcertante ». Ce matin, pour la première fois, alors que Catherine demande à Sacha de mettre ses jouets de côté au moment du petit déjeuner, il se met à pleurer. La carapace commencerait-elle à se fissurer ? C’est bon signe. Enfin, il s’autorise à être lui-même.

Donner un maximum de chances

Alors que l’accueil touche à sa fin, Catherine aimerait prolonger. Sacha est arrivé avec un énorme retard de langage. Il parlait de lui à la troisième personne. Le couple ressort les livres du grenier, corrige à tour de bras et, tout à coup, un déclic se fait. En parallèle, Catherine entreprend des démarches pour faire un bilan logopédique. Elle cumule aussi les rendez-vous chez le dentiste et l’ORL pour soigner les caries et l’otite que le petit traîne depuis des mois.
Sacha est bien dans sa famille d’accueil, bien à l’école, les copains de classe et l’instit l’adorent. Alors que toutes les étoiles sont enfin alignées, il devrait partir. Avec d’autres familles proches et l’école, elle aimerait pouvoir l’accompagner jusqu’en juin, au terme de sa première primaire. Pour continuer à le faire progresser et mettre ainsi toutes les chances de son côté.
« On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Ici, on est clairement là-dedans, avec Marie, sa maman d’accueil précédente, nous, l’institutrice, la maman de sa meilleure copine. Nous sommes tout un village autour de lui. Mon carburant, c’est tous ses progrès. S’il repart maintenant, c’est du gâchis. Je rêve d’un accueil plus flexible où nous pourrions être tout un village autour de l’enfant. »

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► L’accueil court terme

Chez Hélène et Benjamin, qui nous accueillent à Remicourt, toujours en province de Liège, le projet d’accueil prend aussi racine au commencement du couple. Nous voici dix-huit ans plus tôt, Hélène, 16 ans, et Benjamin, 18 ans, sont alors animateur et animatrice dans des colonies de vacances pour enfants placés. Hélène est émerveillée par leur résilience. Benjamin poursuit son engagement et offre par la suite du soutien scolaire en parallèle de ses études d’enseignant.
Il y a dix ans, le couple se marie et achète une maison. Dans la foulée naît Florent. À peine les travaux dans la maison terminés, le couple concrétise le projet d’accueil qu’il nourrit depuis toujours. « Nous nous sommes orientés vers le court terme, car notre envie était d’aider plusieurs enfants à des moments T de leur vie, pas d’agrandir notre famille ».
L’aventure de l’accueil commence en juin 2023 avec Lilou, 4 ans et demi. Le premier mois, la petite ne dit rien. Quand on la questionne, elle s’en tient à un oui ou un non. Lilou est anormalement sage et s’apparente plus à un robot qu’à un être humain. « Le plus compliqué, ce n’est pas d’accueillir, c’est d’apprendre à vivre avec un enfant dont on ignore le passé. Accueillir, c’est prendre l’enfant avec son bagage. À 4 ans à peine, Lilou avait déjà été placée dans trois familles d’accueil et on ne savait pas si l’état psychologique de sa maman permettrait une réintégration en famille ».

Offrir une vie de famille

En août, Lilou apprend le décès de son papa. Son comportement change. Elle teste la solidité du cadre familial. C’est presque une bonne nouvelle, estime l’assistante sociale qui la suit au sein du service d’accompagnement. Elle aussi s’autorise à être elle-même après une période « lune de miel ».
Hélène et Benjamin sont aux deux tiers de l’accueil avec Lilou et se disent satisfaits de cette première expérience. « En six mois, on a pu lui offrir une parenthèse ‘sécure’ avec de l’amour, de l’écoute et de la stabilité ». Un cadre qui permet à Lilou de s’ouvrir progressivement. D’oser exprimer des émotions.
« Récemment, elle a pu exprimer quatre ressentis : j’ai peur de rester chez vous, j’ai peur de partir de chez vous, j’ai peur d’aller chez maman, j’ai peur de rester chez maman ». Tout est confus. Embrouillé. Comment pourrait-il en être autrement dans la tête d’une enfant avec un tel parcours de vie ?

Pour Benjamin, la richesse de l’accueil, c’est de pouvoir offrir une vie de famille à un enfant. Les repas, les soirées télé, les jeux de société, l’histoire du soir, les moments de soins, les activités extra-scolaires, quand on est en famille, on peut tout faire. « En institution, l’attention est diluée entre tous les enfants. Même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas offrir autant ».
Point rassurant pour le couple, Hélène et Benjamin peuvent offrir tout ça sans renoncer pour autant à leurs passions. Benjamin continue à faire du foot et du vélo, Hélène de l’équitation. Tout cela en plus de leurs boulots respectifs d’enseignant et de kiné.

Accepter le passé et l’imprévisibilité du futur

Le plus lourd pour le couple, ce sont les visites du mercredi après-midi. « En plus de l’heure trente de rencontre avec sa maman, il faut compter l’équivalent en navette, ça prend toute l’après-midi ». Sans compter que Lilou revient toujours toute excitée. Il faut alors réaffirmer le cadre, car, avec maman, les règles ne sont pas les mêmes.
« L’accueil, ce n’est pas ouvrir sa maison et proposer trois repas par jour. C’est accueillir le passé, gérer le présent et entrevoir le futur d’un enfant », résume Benjamin. Entrevoir le futur reste encore compliqué à ce stade. Si Benjamin et Hélène en ont pris leur parti, ils regrettent cette réalité pour Lilou.
« Ce qui peut arriver de mieux, c’est qu’elle rentre chez sa maman, mais son état psychologique est fragile et on ne peut tirer aucun plan sur la comète, souligne Hélène. On ne peut lui faire aucune promesse, ni répondre précisément à ses questions pour l’avenir. C’est le plus compliqué à gérer. »

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► L’accueil long terme

Tom nous reçoit dans la maison familiale du côté de Jette à Bruxelles. Pour le couple, l’aventure de l’accueil remonte à treize ans. Nous sommes alors en 2010, Dominique et Tom sont le premier couple d’hommes à entreprendre les démarches pour devenir famille d’accueil au sein du service qui finira par les accompagner. « Notre situation a suscité des débats en interne », précise Tom.
Pendant un an, les entretiens se succèdent. Le service d’accompagnement veut vérifier que l’accueil est un projet qui correspond au couple, qui pensait initialement à l’adoption. Il faut aussi sonder les motivations et attentes de chacun. Toutes ces étapes permettent d’y voir clair. Tom et Dominique optent pour l’accueil long terme. « On voulait s’engager auprès d’un enfant sur la durée et fonder une famille ».
Après des semaines de mise en contact, Soline arrive chez Tom et Dominique en avril 2012 à l’âge de 5 ans et demi. Cette entrée en douceur dans la vie de leur fille est à l’image du lien d’attachement qui se tricote progressivement. « Il faut du temps pour que l’enfant s’attache et que l’on sente qu’on l’aime. L’amour n’arrive pas tout à coup à la première rencontre, il se construit. Une des premières preuves, c’est quand l’enfant se blesse et qu’il accourt vers nous ».

« Accueillir un enfant, c’est prendre tout son bagage »

Quand Soline pose ses valises chez eux, elle est déjà passée par trois milieux de vie. Chez sa maman d’abord, à qui la garde est retirée pour négligence. Chez sa tante maternelle, quittée ensuite pour la même raison. Finalement en institution pendant deux ans. « Elle n’était pas prête à vivre en famille, il fallait qu’elle apprenne des règles de vie et l’autonomie. Quand elle est arrivée chez nous, l’enjeu, c’était vraiment de la stimuler intellectuellement. Il a fallu apprendre à un enfant de 5 ans des choses qui sont normalement acquises à 2 ou 3 ans ».
Deux ans plus tard, Matéo rejoint la famille à l’âge de 3 ans et demi. Lui aussi a déjà bien bourlingué. Retiré à 1 an d’un environnement familial maltraitant, il reste ensuite six mois en hôpital, faute de place ailleurs, puis encore deux ans en institution avant d’arriver chez Tom et Dominique.
Le petit garçon est de nature joyeuse et s’adapte vite à la famille. Les papas sentent tout de même un besoin d’affection immense chez l’enfant qui a grandi jusqu’ici sans figure de référence. Il présente aussi des signes d’anxiété face au bruit et aux espaces fermés. « Accueillir un enfant, c’est prendre tout son bagage. Pour Matéo, avoir un cadre familial sécurisant a déjà fait beaucoup, mais on l’a aussi aidé dans son hyperactivité avec des séances de kiné ».

L’enfant a accès à son histoire

L’accueil long terme pose davantage la question de la coparentalité entre parents biologiques et parents accueillants et de la place accordée à chaque parent. Soline continue à voir tous les deux mois sa maman, qui ne comprend pas pourquoi la garde de sa fille lui a été retirée. Matéo ne voit plus sa maman depuis ses 5 ans et son papa depuis qu’il est en prison. Il est très lucide sur sa situation et parvient même à faire de l’humour en expliquant à ses copains et copines d’école qu’il a trois papas dont un est en prison.
Après neuf et douze ans d’accueil – Soline a aujourd’hui 17 ans et Matéo, 12 ans -, Tom dresse un bilan plus que positif. « Sans nous, Soline n’aurait jamais accroché avec l’école. Son retard se serait accentué. Elle aurait certainement reproduit le modèle familial. Nous lui avons offert une vie de famille, un réseau, une structure autour d’elle sur laquelle compter. Les angoisses de Matéo ont quasiment disparu, c’est aujourd’hui un ado bien dans sa peau qui fait du sport, fréquente les mouvements de jeunesse et peut compter sur un bon réseau de copains et copines ».
Les familles d’accueil long terme partagent une même épée de Damoclès au-dessus de leur tête : la peur que leur enfant leur soit un jour retiré. Une peur qui s’est apaisée au fil des ans, mais qui se réveille encore dans des moments de stress. Même si, rationnellement, Tom sait que la probabilité que ses enfants réintègrent leur milieu familial est infime. Le papa ne regrette pas d’avoir opté pour l’accueil familial. Il estime que ce lien avec les parents a aussi du bon dans la construction identitaire de l’enfant. « Cette possibilité d’avoir accès à son histoire et à ses parents, de comprendre pourquoi il ou elle a été placé·e, ça peut faire beaucoup. Les réponses ne sont pas nécessairement faciles, mais elles sont là ».

VÉCU

Qu’est-ce que l’accueil leur a apporté ?

Ces témoignages ne laissent aucun doute. L’accueil familial change la vie d’un enfant. Mais à l’inverse, en quoi le fait d’être devenu famille d’accueil a changé leur vie à eux ?

  • « Accomplir un projet de vie me met dans un état de plénitude. Faire de l’accueil me permet de m’investir dans un projet positif, d’injecter mon énergie du côté de la vie plutôt que de me morfondre sur l’état du monde. »
    Catherine, maman d’accueil d’urgence
  • « Cette expérience nous montre en miroir ce que pourrait être la vie si on avait eu moins de chance. C’est une manière d’incarner les valeurs de solidarité et de partage qui nous sont chères et de les inculquer à notre fils. »
    Benjamin, papa d’accueil court terme
  • « L’accueil, c’est un défi qu’on s’est fixé de relever. C’est valorisant de constater qu’on peut apporter à un enfant sans se négliger pour autant. Au quotidien, ça nous apporte de la joie. Je peux dire que l’accueil a enrichi ma vie. »
    Hélène, maman d’accueil court terme
  • « Avec un enfant à soi, tout paraît naturel. Avec l’accueil, tu mesures réellement à quel point tu apportes à un enfant. Il y a vraiment un avant et un après l’accueil. C’est très valorisant. »
    Tom, papa d’accueil long terme

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