Vie pratique

« Placer son enfant, ce n’est pas l’abandonner »

C’est un point de vue qu’on a moins l’habitude de lire, celui du parent dont l’enfant est placé en famille d’accueil.

Jessica parle pour la première fois de son parcours de vie. Un itinéraire de polytoxicomane qui commence à 12 ans. À l’âge où d’autres entrent dans l’adolescence, Jessica plonge dans le cannabis. Une manière d’échapper à un beau-père qu’elle qualifie d’atroce. En façade, la famille donne le change, mais dans l’intimité du foyer, c’est moins rose. « Tout me paraissait plus supportable quand j’avais fumé un petit joint ». À 16 ans, Jessica quitte la maison, décroche de l’école et s’accroche à son addiction. Crescendo, les drogues se font plus dures.
« Ma vie, ça a toujours été les montagnes russes. Je me stabilise et puis je replonge dans les addictions », résume la presque quadragénaire. Une instabilité difficilement compatible avec son statut de maman. Si Jessica tient bon la barre jusqu’aux 7 ans de son aîné, une dépression lui fait perdre pied à l’arrivée de son deuxième enfant. Tous deux seront placés chez leur grand-mère maternelle.
Jessica remonte la pente, s’accroche, retrouve un compagnon et tombe enceinte d’un troisième enfant. Fière de son abstinence, elle espère offrir à cette petite fille une vie de famille. Mais elle sombre à nouveau. « Je n’en suis pas fière, c’est plus fort que moi. J’ai cru que j’allais m’en sortir toute seule, mais une addiction a toujours été remplacée par une autre ».

Se séparer pour un mieux après

Après la crise, une éclaircie. Jessica décroche une place en maison maternelle où elle vit avec Estelle, sa petite dernière. Pour mieux chuter ensuite. Elle retombe dans la boisson et la consommation de drogue alors qu’elle est enceinte pour la quatrième fois. L’état de la maman se dégrade. En juin, elle est hospitalisée. « C’était terrible, j’ai conduit Estelle à l’école en lui expliquant que je devais aller à l’hôpital pour me soigner. Je n’ai pas pu lui dire où elle allait aller ».
La maison maternelle introduit une demande de placement en urgence auprès du SAJ pour Estelle et le bébé à venir. Faute de place en famille d’accueil, Estelle est confiée à un service résidentiel d’urgence au sein duquel elle passera l’été.
Le 4 août, Jessica donne naissance à un petit garçon. Son cœur est tiraillé. Doit-elle le garder ? Saura-t-elle l’assumer ? « En discutant avec la psychologue, j’ai pris conscience que s’il partait à l’adoption, ce serait comme un abandon car s’il n’en faisait pas la demande à sa majorité, il n’aurait jamais aucune information sur moi. Je ne voulais pas qu’il grandisse avec plein de questions ».

Famille d'accueil, témoignage d'un emaman

Une possibilité d’accueil familial se dessine pour Bryan, le temps que Jessica termine sa cure. À l’hôpital, la maman entreprend un travail de fond. Fin août, Jessica a rendez-vous avec le SAJ et une intervenante sociale du service d’accompagnement en accueil familial. En apprenant que Bryan part le jour même, Jessica craque. Elle n’a pas pu lui dire au revoir lors de sa dernière visite à l’hôpital. Exceptionnellement, on lui accorde cette faveur. « J’ai pu lui expliquer qu’il allait partir en famille d’accueil, que c’était pour un mieux, qu’on allait se retrouver, que je l’aimais et que j’étais fière de lui ».

Des indicateurs positifs

Depuis sa sortie d’hôpital, Jessica a retrouvé une nouvelle maison maternelle, récupéré la garde de Bryan et d’Estelle, qu’elle a inscrite dans l’école la plus proche. Elle est suivie par une psychologue et un psychiatre spécialisé dans les addictions. « J’essaye vraiment de mettre toutes les chances de mon côté pour ne pas replonger. Pour la première fois, je prends soin de moi. Et on sait que quand une maman va bien, les enfants vont bien aussi ».
Chloé Leblanc, l’intervenante sociale qui suit Bryan, opine du chef. « Jessica a mis énormément de choses en place. Le fait qu’elle soit en maison maternelle nous rassure aussi. Pendant son hospitalisation, elle a continué de rendre visite à Bryan à l’hôpital. J’ai pu observer un lien très positif entre eux. C’est une maman très adéquate, elle respecte les émotions et rythmes de son bébé. Elle lui parle beaucoup. Pour nous, ce sont des indicateurs positifs ».
Si la maman devait partager un message aux lecteurs et lectrices du Ligueur, qu’aurait-elle envie de leur dire ? « Placer son enfant, ce n’est pas l’abandonner. Placer son enfant, c’est octroyer sa confiance à une famille d’accueil et aux services d’accompagnement. Ce soutien m’a permis de me soigner pour aller mieux et je leur en suis infiniment reconnaissante ».

COMPRENDRE

Chez les mères, la toxicomanie se hisse comme première cause dans les raisons d’un placement en famille d’accueil  (contre l’alcoolisme pour les pères). Cette réalité é été mise en évidence par Stéphanie Chartier, chercheuse à l’ULiège. Elle a identifié quatre types de problèmes chez les parents qui sont à l’origine du placement des enfants : la toxicomanie, les limites intellectuelles, les troubles psychiatriques et l’alcoolisme.
Avec quelles conséquences pour les enfants ? Un enfant sur deux placé en famille d’accueil a été victime de négligence. Un enfant sur trois a été témoin de violences conjugales et un enfant sur dix a subi des maltraitances.

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