Développement de l'enfant

« Trois bisous à la puéricultrice, rien pour moi ! »

« Trois bisous à la puéricultrice, rien pour moi ! »

« Avant, lorsque j’allais chercher Alessia à la crèche, elle se jetait dans mes bras. Maintenant, elle fait vraiment la chipie ! Elle est d’accord pour donner trois bisous à sa puéricultrice, mais moi, je n’ai droit à rien comme bonjour. Je sais, je ne dois pas le prendre pour moi. N’empêche, c’est dur… J’espère que ce petit jeu va vite lui passer », confie Coline, la maman d’Alessia, 23 mois.

D’autres parents d’un petit bout de bientôt 2 ans se livrent sur ce thème inépuisable de la crèche. « Quand on dépose Arthus à la crèche, il court à la rencontre de ses puéricultrices. Il a un chouette lien avec elles. Moi aussi, je les trouve super. Je parle beaucoup avec elles. Puis, quand on va le rechercher, il court vers nous, il est hyper-content de nous retrouver. Cette bonne ambiance, cette confiance partagée nous facilitent la vie. C’est très déculpabilisant, parce qu’on est contraints de mettre Arthus à la crèche vu qu’on travaille tous les deux, son père et moi ! », raconte Charlotte. « Max passe trois jours par semaine à la crèche, c’est gai de voir à quel point il s’y amuse et que cela lui fait du bien », se réjouit Tarik. « J’ai le sentiment de bien profiter de mes enfants. Quand je suis là avec eux, je suis là ! Je ne me sens pas en compète avec leur gardienne », assure pour sa part Géraldine.
Le fait d’avoir suffisamment confiance en vous, de faire confiance à votre loulou (non, il ne mélange pas ce que vous faites pour lui en continu et ce que font les professionnelles qui vous relaient) et d’être en confiance avec ses puéricultrices (en discutant avec elles, vous voyez bien qu’une position de maman ou de papa, ce n’est pas une position de puéricultrice) facilite les séparations d’avec votre petit. Ça aide aussi à ne pas vous sentir en rivalité avec ses puéricultrices. Mais, parfois, comme le dit, un peu agacée, la maman d’Alessia, les séparations et retrouvailles vous déstabilisent. Comment décrypter cela ?

Il teste son pouvoir sur vous

« À 21-23 mois, l’enfant se rend compte de l’effet de ses comportements sur autrui. Particulièrement sur ses parents car c’est le lien qu’il connaît le mieux, explique Reine Vander Linden, psychologue clinicienne. Il utilise des petites stratégies pour voir quels effets il produit sur eux. Il peut en jouer à la crèche en faisant semblant de ne pas voir son parent arriver, en s’enfuyant quand celui-ci l’appelle… Il est dans la provocation, dans le jeu. Il teste son pouvoir. »
Et Reine Vander Linden d’ajouter : « Le parent doit remettre ce type de comportement à sa juste place. Car, s’il l’interprète mal, s’il le prend au premier degré, s’il le comprend comme une attitude de mise à distance, de rejet ou d’inattention à son égard, il risque d’en souffrir. » Il va se faire un film dans la tête… on est alors parti pour la gloire ! « Cette souffrance va intriguer l’enfant. Et plus il va sentir du trouble chez son parent, plus il va rejouer son scénario pour tenter d’analyser, de comprendre ce qu’il produit. »

Les vannes s’ouvrent avec vous

La scène des retrouvailles « loupées » à la crèche vous interpelle ? Pour l’avoir (trop) vécue, certains parents se questionnent : « Mais enfin, est-ce que mon enfant m’aime ? » Des émotions enfouies peuvent se réveiller en eux, alors qu’ils sont insécurisés. Ils peuvent être très sensibles aux histoires de séparation et, parce qu’ils le sont, se montrer très sensibles aux provocs de leur petit coquin. « Cela vaut alors la peine de se pencher sur les séparations difficiles qui ont marqué sa vie, propose la psychologue. Et, éventuellement, d’en dire quelque chose à son enfant – "Dans mon histoire, j’ai eu peur de…" – pour qu’il comprenne qu’on est sensible à cette question. » Plus tard, à l’école maternelle, les « D’ailleurs, Madame a dit… » pourront ébranler pareillement les parents dans leurs facettes plus fragiles.
Étrange… Retrouvant vos bras en fin d’après-midi, votre enfant éclate en sanglots, alors que – les puéricultrices sont formelles – il a été super toute la journée à la crèche. « C’est parce qu’il est de nouveau sur son terrain de sécurité, avec son parent, qu’il se permet à ce moment-là d’ouvrir les vannes, de lâcher toute la tension de la journée, commente Reine Vander Linden. Encore une fois, si c’est mal interprété, le parent se dit : "C’est toujours pour moi, les pleurs et grincements de dents !" Mais c’est logique que pleurs et grincements de dents soient réservés à ceux auprès de qui l’enfant a le plus de garanties de sécurité. Il sait qu’inconditionnellement, ils ne le lâcheront pas et qu’il sera consolé. »

PENSEZ-Y

Des bulles d’air

« Se séparer, c’est s’offrir des bulles d’air bienfaisantes dans la relation, estime la psychologue Reine Vander Linden. Quand on est tout le temps collés l’un à l’autre, on ne sait plus se regarder avec réalisme et distance, et on finit par ne plus rien avoir à échanger. Permettre à un enfant de profiter d’une heure ou d’une journée loin de ses parents, c’est lui offrir une expérience particulière en dehors d’eux. Pareil pour les parents. Ils peuvent alors ensuite en partager quelque chose. C’est vrai entre enfants et parents, comme c’est vrai dans les couples ! »

LES PARENTS EN PARLENT…

La crèche, ce n’est pas la maison
« J’ai l’impression que Dounia fait bien la distinction entre les puéricultrices et nous, ses parents. Depuis le début, son comportement est différent à la maison et à la crèche. Elle est plus difficile à la maison, elle tire plus sur la corde avec nous, elle franchit plus les limites… Ne dit-on pas qu’un enfant est toujours meilleur en déplacement ? »
Gilles, papa de Dounia, 23 mois