Crèche et école

Pour nos grands, il y a les Erasmus et autres échanges linguistiques. Et pour nos petits ? Comment et quand peut-on débuter l’apprentissage d’une nouvelle langue dans notre pays multilingue ? Entre les cours du soir, les écoles à immersion ou le bilinguisme à la maison, le Ligueur a passé différentes solutions à la loupe avec un spécialiste des langues, Philippe Hiligsmann, professeur en linguistique à l’Université catholique de Louvain.
À quel âge peut-on commencer l’apprentissage d’une seconde langue dans un pays comme la Belgique ?
Philippe Hiligsmann : « Toutes les études sur le sujet montrent que plus jeune on commence à apprendre une autre langue, mieux c’est. Si un des parent est anglophone ou néerlandophone et l’autre francophone, l’enfant commencera dès sa naissance l’acquisition de la langue de ses deux parents. Si bien sûr les parents respectent la règle un parent = une langue. Et ce principe doit être maintenu systématiquement avec l’enfant. Un parent peut entendre des réponses de l’enfant dans une autre langue, mais il lui parlera toujours avec sa langue maternelle. C’est un système qui marche très bien. »
Pour les couples qui n’ont pas cette richesse linguistique, l’enseignement en immersion qui propose certaines heures ou certains jours en français et d’autres en néerlandais, anglais ou allemand selon la langue choisie vous paraît-il efficace ?
P. H. : « L’enseignement en immersion est un bon moyen d’apprentissage. À condition que l’école ait un véritable projet pédagogique et une équipe soudée autour des aspects linguistiques. L’immersion est une filière d’enseignement qui demande pas mal d’énergie et de temps de la part des élèves mais aussi de la part des parents. Il ne faut pas non plus attendre de l’immersion ce qu’elle ne peut pas offrir. Les enfants ou ados n’en sortiront pas d’office bilingue.
Par contre, les bienfaits de l’immersion sont prouvés. Différentes études, dont un projet de recherche en cours à l’UCL avec l’UNamur, se penchent sur les acquis des élèves immergés en les comparant à ceux d’élèves suivant un enseignement traditionnel. Et l’on constate que les élèves immergés sont plus réceptifs à la deuxième langue que les élèves ‘classiques’. Les compétences réceptives, c'est-à-dire la compréhension à la lecture et à l’audition des élèves immergés sont proches de celles d’un natif. Ces élèves qui sortent d’une école en immersion ont un grand avantage au niveau de l’input. Leurs compétences productives, qui leur permettent de s’exprimer à l’écrit et à l’oral, sont par contre plus proches de celles des élèves ‘traditionnels’ que des néerlandophones (si c’est la seconde langue choisie). »
Certains craignent qu’un enseignement en immersion empêche un enfant d’avoir une bonne orthographe dans les deux langues…
P. H. : « C’est complètement faux. C’est un cliché qu’on entend effectivement partout. L’immersion ne conduit pas à un retard dans la langue maternelle ni dans l’autre langue. Pour vérifier cela, il faut comparer des élèves de l’immersion et des élèves du système classique à trois moments différents de leur scolarité. Au début de leur scolarité, les élèves immergés ont bien un petit retard par rapport aux autres. Mais à la fin du processus, le retard est comblé et les élèves de l’école en immersion ont une toute aussi bonne orthographe que les autres, voire meilleure. Avec l’énorme avantage pour eux de maîtriser une seconde langue. Ces élèves apprendront beaucoup plus vite une troisième langue par la suite. »
Vous prôneriez l’immersion pour tous les élèves ?
P. H. : « Non, l’immersion n’est pas pour autant généralisable. Il faudrait trouver les enseignants natifs pour tous ces cours et l’immersion doit vraiment être un projet d’école réfléchi et bien mis en place. »
Les élèves wallons des écoles secondaires choisissent davantage les cours d’anglais. Vous privilégiez une langue par rapport à une autre ?
P. H. : « En tant que prof de néerlandais, mon choix est clair : je plaide pour le néerlandais. Parce que, dans notre pays, c’est la langue du voisin, celle qui permet de mieux connaître l’autre, sa communauté et les différences entre francophones et Flamands. Et puis aussi parce que le néerlandais est plus facile à apprendre que l’anglais. De toute façon, l’enfant sera certainement déjà baigné dans l’anglais par la musique ou le cinéma. »
Et pourquoi ne pas mettre son enfant francophone dans une école complètement néerlandophone ?
P. H. : « Là, on parlera de ‘submersion’ de l’enfant dans une autre langue. Ça peut très bien fonctionner pour certains enfants. Mais on constate des décrochages scolaires fréquents lorsqu’un enfant va dans une école dont la langue n’est pas la sienne. Surtout si ça se passe à partir du secondaire. Psychologiquement, c’est compliqué pour un élève d’arriver dans un milieu totalement différent du sien et dans lequel sa langue maternelle n’est utile que pour un seul cours, le cours de langue étrangère. Un autre souci, c’est que l’enfant ainsi ‘submergé’ ne bénéficie à l’école d’aucun cours de soutien linguistique sur la maîtrise de la langue. Il risque d’être trop vite dépassé par la matière ou le travail. Ceux qui s’en sortent bénéficient d’un bon soutien et sont bien intégrés dans leur nouvelle école… »
Pour les plus grands, suivre des cours de langue suivis en dehors de l’école ou des stages linguistiques pendant l’été, est-ce efficace ?
P. H. : « Ça peut être intéressant, mais ça dépend de l’objectif. Si l’objectif de ces cours est d’atteindre le bilinguisme, eh bien, ce n’est pas en deux coups de cuillère que ce sera possible ! Ça demande du temps et de l’énergie. Un stage d’été peut aussi être utile, mais pas sur le long terme. Une langue doit se pratiquer toute l’année. Un stage en plus de l’immersion scolaire, c’est très bien. »