Loisirs et culture

Un festival qui revendique sa différence

Le TEFF, un festival dont la thématique centrale est le handicap

Atypique, le TEFF l’est à plus d’un titre. Ce festival du film n’a lieu que tous les deux ans. Sa thématique centrale ? Le handicap. La sixième édition s’est tenue à l’automne. Un rendez-vous simplement formidable auquel le Ligueur était associé.

Le mail est arrivé un lundi matin d’octobre. Objet de la demande ? Participer au jury presse du TEFF, The Extraordinary Film Festival. C’est ainsi que pendant plusieurs semaines, profitant des trajets en train domicile-boulot, j’ai visionné 19 heures de courts et de longs métrages consacrés au handicap. Une expérience forte et intense qui s’est clôturée à la mi-novembre par la remise des prix, celui de la presse revenant à Maricarmen, un documentaire dont le personnage central est une violoncelliste aveugle de 52 ans qui vit à Mexico.
L’âme de ce festival, c’est Luc Boland. Fort d’une énergie communicative, il porte, avec son équipe, cet événement à bout de bras. Lui-même papa d’un enfant porteur de handicap, il raconte son festival avec passion. Surtout, il pose un regard juste, posé et pertinent sur les difficultés auxquelles sont confrontées les familles lorsque surgit le handicap.
« La famille est inévitablement présente lorsqu’un film aborde le handicap d’une personne. Mais la plupart du temps, elle est plutôt en filigrane. Il est rare d’avoir des sujets qui sont centrés autour des parents, de la famille. Or, cette année, il y a eu pas mal de films qui abordaient ce sujet. »
C’est le cas de Maricarmen. Dans ce poignant témoignage, la relation entre cette Mexicaine aveugle et sa maman est un des fils rouges. Cette mère a tout fait pour que sa fille soit autonome. Aujourd’hui, c’est le cas, même si pour Maricarmen cette autonomie débouche parfois sur la solitude.
« La vie de famille est nourrie de cette tension entre surprotection et envie de laisser de l’espace libre en fonction du handicap, confirme Luc Boland. Le sujet est extrêmement délicat. Quand on pousse son enfant vers l’autonomie, on se pose des questions. Nous sommes dans le cas avec Lou, notre fils. Il a une amoureuse, il rêve d’une vie à deux, mais d’un autre côté, on est tellement le pivot central de toute sa vie à tous les niveaux, parce que nous sommes ses éducateurs, ses amis... La recherche d’autonomie, c’est aussi compliqué pour les enfants que pour les parents. »

Des pronostics tronqués

Parmi les films présentés, What was it like, une somme de témoignages de parents racontant les premiers jours de confrontation au handicap de l’enfant. « Pour moi, ce film met en lumière cette énorme différence qu’il y a entre le pronostic et le diagnostic, deux termes que même certains médecins confondent. À un point tel que des associations forment les professionnel·le·s à l’annonce du handicap d’un enfant aux parents. Les pronostics, ce ne sont que des statistiques et, pourtant, tous les parents vous le diront, ils sont présentés comme une certitude : votre enfant ne fera pas cela, il sera comme ceci. Mais la réalité déjoue souvent tout cela ».
Pour étayer son propos, Luc Boland puise dans son expérience. « On nous a dit, quand Lou avait 4 mois, qu’il avait de fortes chances d’être débile profond. Aux yeux de nombreux et nombreuses professionnel·le·s, Lou était un enfant perdu, destiné à vivre dans une institution ». Finalement, il en a été tout autrement (voir encadré ci-dessous), Lou a fait mentir les pronostics.
« Plus que de statistiques, les parents ont besoin d’espérance pour pouvoir se battre. Au lieu de ça, ils ne sont pas assez soutenus. Le nombre de fois qu’on juge que les parents sont dans le déni parce qu’ils pensent que leur enfant est capable de faire des choses... Le déni existe, oui, mais, souvent, ce mot est brandi comme une baguette magique par certain·e·s professionnel·le·s pour se dédouaner de leurs obligations ou des moyens qu’ils n’ont pas pour accompagner les parents. »
Luc Boland pousse la réflexion plus loin et pose la question du rôle des pouvoirs publics. « L’objectif ne devrait-il pas être de ramener plus d’équité, d’aider les gens à surmonter les obstacles, les souffrances ? Je trouve ça emblématique, ce handicap qu’on ne veut pas voir. Après les deux Guerres mondiales, la société a été confrontée à un grand nombre de militaires handicapés. On leur a créé des centres, loin des villes, parce qu’il ne fallait pas les mélanger au reste de la société. Résultat, il y a eu de vrais ghettos qui ont longtemps été la norme.
Heureusement, des politiques inclusives commencent à se mettre en place. Les Pays-Bas se sont fort engagés dans cette voie, fermant les grandes institutions excentrées, privilégiant des petites structures dans les quartiers ».

Le Frère

Parmi les films traitant directement de la famille, il y a Le frère. Ce documentaire mêle images réelles et séquences d’animation où Kaïs devient héros de manga avec le reste de la fratrie.
« Leur histoire est incroyable, raconte Luc Boland. Au départ, cette famille est installée confortablement au Maroc. Le père est responsable des écuries royales. Puis arrive Kaïs, frappé par une abominable maladie dégénérative, avec une mort certaine à la clé. Les soins étant inexistants au Maroc, ils lâchent tout pour aller en France afin que Kaïs soit mieux suivi.
Ils auraient pu vivre dans une forme de ‘simple’ repli sur eux-mêmes. Mais ils ont été plus loin dans leur démarche. Depuis la France, ils ont lancé un festival, un peu à l’image du nôtre, le Handifilm de Rabat. Ensuite, ils ont créé une association, toujours sur Rabat, dont le but est de fournir du matériel pour lutter contre la pathologie de Kaïs et d’autres maladies. Cette famille vit le handicap du matin au soir. Elle est dans le sacrifice complet.
Ce sacrifice absolu interroge d’ailleurs sur les répercussions du handicap au sein de la fratrie qui fait preuve d’une solidarité hallucinante. Comment permettre aux frères et aux sœurs de s’épanouir sans devoir porter aussi le poids du handicap ? Je ne pense pas que c’est aux parents à dire à leur enfant : ‘Quand on ne sera plus là, c’est toi qui va prendre le relais’. C’est une charge émotionnelle terrible. On en revient au manque d’approche structurelle et d’accompagnement du handicap, notamment en Belgique. C’est très difficile de ne pas culpabiliser dans ce contexte. »

L'HISTOIRE...

... de Lou

« Lou est né en août 98. On a vite remarqué qu’il ne voyait pas. On nous a rassurés, on nous a dit qu’on était des parents trop inquiets, que c’était un simple retard, que sa vue se développerait dans les trois semaines. Après, il a eu une soif inextinguible, on a dit c’était le lait maternel qui était trop pauvre. Mais Lou avait soif tous les quarts d’heure ! Il mouillait ses langes tout le temps. Il a fallu plus de trois mois pour que nos constats soient pris en considération et qu’un médecin pense à faire une IRM (ndlr : imagerie par résonance magnétique). Celle-ci a révélé qu’il avait une malformation congénitale au cerveau avec une insuffisance de la post hypophyse qui faisait que ses reins ne retenaient pas l’eau. Tout ce qu’il buvait ressortait immédiatement, médicalement c’était évidemment très dangereux, il pouvait se retrouver en état de déshydratation grave.
Au fur et à mesure, on a constaté que Lou vivait essentiellement dans son hémisphère droit. Il était dans l’émotionnel, le créatif, le récréatif et pas du tout dans le rationnel de l’hémisphère gauche. Il avait beaucoup de difficultés à gérer ses émotions. On est parti dans cette aventure-là avec une incompétence tant de nous, que de l’ensemble des professionnel·le·s qui estimaient que Lou avait une déficience mentale trop sévère où rien n’était possible.
Nous l’avons accompagné avec bienveillance. C’était pour nous la seule voie, tandis que certain·e·s professionnel·le·s devenaient agressifs, agressives face aux réactions de Lou. Aujourd’hui, vingt-trois ans plus tard, Lou gère vachement bien ses émotions. Il a développé dans son hémisphère droit un talent musical de dingue, qui est propre à son syndrome. Il compose, chante et joue. Il a ainsi participé à la saison 9 de The Voice. »

À retrouver ici, la rencontre avec Luc Boland : « Un père fier et engagé pour changer le regard sur le handicap »

... d''un festival

« J’ai traversé deux dépressions. Une quand Lou avait 1 an, je n’avais pas eu le temps d’atterrir. Puis une autre quand il avait 5 ans. Pour sortir de cette phase, je me suis lancé dans une espèce de catharsis. J’ai réalisé un documentaire qui s’appelait Lettre à Lou. Avec ma caméra, j’avais filmé Lou à tout bout de champ. Ses premiers pas. Sa réaction à une tempête de vent qui lui fouette le visage… J’avais des choses en main pour raconter son histoire. 
Chaque fois que ce film est passé en télévision (RTL, France 5…), j’ai reçu plus de 1 200 mails. J’ai été invité dans des festivals dont certains étaient centrés sur le handicap. Là, j’ai découvert des œuvres incroyables qui ont remis en question ma perception sur tel ou tel handicap. Et j’ai pensé : c’est terrible tous ces films qui n’arriveront jamais en Belgique, via le cinéma ou la télévision. Et donc, on m’a dit : ‘Pourquoi tu ne fais pas ça en Belgique ?’. Cela a été une révélation, que c’était un super outil pour amener une réflexion de fond. J’ai fait une édition ‘zéro’ un soir devant les pouvoirs publics en disant : ‘Est-ce que vous m’accompagnez dans cette aventure ?’. C’est comme ça que le festival est né. »