Développement de l'enfant

Au-delà des images, les mots. Le film Tout va s’arranger, consacré à la santé mentale des jeunes, libère la parole lorsqu’il est diffusé. Exemple lors d’une projection débat à Louvain-la-Neuve. Où il est question de besoins d’expression et de reconnaissance.
« Merci. Merci pour ce film. Merci d’avoir mis des mots sur ce qu’on a vécu. Ça me fait du bien de savoir que d’autres jeunes ont eu des passages difficiles aussi ». Les trémolos dans la voix, Rosalie, 20 ans, est la première à prendre la parole après la projection du film Tout va s’arranger (ou pas).
Un jeudi soir, dans l’auditoire Studio 11 de Louvain-la-Neuve, ils sont une centaine d’étudiant·es à avoir répondu présent·es à l’invitation de la faculté de psychologie. Quelques enseignant·es, (grands-)parents et professionnel·les de la santé mentale complètent l’assemblée.
Voir, être touché·e, pour finalement (se) dire
Mettre des mots sur les maux. Donner à voir des jeunes qui vont mal. Tendre le micro aux professionnel·les de la santé. Voilà les mérites du film. Les plus critiques diront qu’on savait déjà tout ça. Tout quoi ? Que des jeunes ont atteint leurs limites. Que ces adultes en devenir ne sont plus capables d’en encaisser davantage. Qu’ils souffrent de troubles anxieux, alimentaires ou de sommeil et décrochent. Pire, qu’ils ont perdu leur élan de vie et ne parviennent plus à se projeter. Comme Luz, 16 ans, qui se souvient encore très bien de ce cours de néerlandais où tout a basculé. Impossible de se concentrer, le plaisir d’apprendre s’est fait la malle. L’adolescente se sent vide. De retour chez elle, elle pleure, lovée dans son lit. Dans le noir de sa chambre, elle se met en mode off.
Livrer un témoignage en sons et en images, c’est là toute la magie du multimédia qui permet de saisir un regard, de ressentir l’émotion d’une voix, de suivre les protagonistes du film et, en définitive, d’entrer en résonance avec elles, avec eux. « C’est vraiment un bon moyen de toucher les jeunes et de lancer un débat. Les étudiant·es se sont identifié·es aux témoignages du film, ce qui facilite leur prise de parole », explique Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé. Le film touche. Émeut. Bouleverse.
Les réactions du public le confirment. Des jeunes prennent la parole spontanément. Pour remercier. Pour dire combien les restrictions ont été dures à vivre. Plus surprenant, plusieurs prennent la parole à ce sujet pour la première fois. Dans l’assemblée, il y a Zoric. L’étudiant en économie à l’ULB vit assez bien le confinement. Il se rapatrie dans son Ardenne natale, loin du bruit et de la pollution de la capitale. Profite de la nature un maximum pour s’adonner à la course à pied.
« Jusqu’au film, le mal-être de certains jeunes restait une incompréhension. Je ne saisissais pas vraiment en quoi le fait de suivre les cours à distance pouvait être si compliqué pour d’autres. Le fait que le film fournisse aussi des chiffres m’a fait prendre en compte l’aspect systémique de ce mal-être et d’en prendre la mesure. »
Face à l’assemblée : deux enseignants de l’UCLouvain, la doyenne de la faculté de psychologie, un acteur de terrain et le réalisateur du film sont présents pour faciliter le débat et répondre aux questions. « Ce que vous avez vécu, les traces qui restent de cette période, c’est quelque chose de l’ordre du covid long », explique Emmanuelle Zech, doyenne de la faculté. Une parole simple qui reconnaît les maux.
Créer une dynamique de groupe qui offre un espace d’écoute active et permet le partage de ressentis
Après l’expression et la reconnaissance, on sent comme une envie d’aller de l’avant. De dépasser le traumatisme. À l’image de l’état d’esprit des troupes, le débat prend une autre tournure. Une jeune fille du fond de la salle interpelle : « Maintenant qu’on sait tout ça, qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça aille mieux ? ».
Céline Douilliez, professeure de psychologie clinique, prend la balle au bond. « J’aime bien cette question pragmatique. Les groupes de parole entre pairs constituent une ressource à exploiter. C’est à la fois un outil facile à mettre en place et qui a fait ses preuves. »
Zoric se montre sceptique. « Écouter, je sais faire, mais je ne me vois pas porter le poids psychologique d’être le confident d’un profond mal-être ». L’enseignante rectifie : il ne s’agit pas de recevoir seul·e la parole de quelqu’un qui va mal, mais bien de créer une dynamique de groupe qui offre un espace d’écoute active et permet le partage de ressentis.
Retrouver un sens à la vie
Olivier Luminet met sur la table une autre proposition. « Les liens sociaux sont importants pour la santé mentale et notre bien-être. Le covid a porté un coup à notre sociabilité. On pensait qu’avec la levée des restrictions, les choses allaient revenir naturellement, mais ce n’est pas si évident. Refaire groupe et se retrouver en vrai nous réancre dans le réel. Se sentir appartenir à un groupe, c’est exister. Tout cela redonne du sens ».
Du sens. Quatre lettres qui valent leur pesant d’or dans la balance psychologique des jeunes. « Moi, ce qui m’a aidé, c’est de refaire des projets », entame une jeune fille. Plus précisément, partir en camp Horizons l’été de sa 5e secondaire. Rosalie embraye, elle aussi a profité d’une échappée belle : une année sabbatique après sa rhéto pour s’investir comme volontaire dans des projets de woofing (voyager et découvrir le monde en travaillant dans des fermes biologiques) en Suède, en Finlande, puis aux États-Unis. Le contact avec la nature et les autres volontaires est salutaire. Au fil des semaines, Rosalie se libère de son mal-être. Au détour de conversations, elle réalise que les gens se confient facilement à elle. L’idée d’entreprendre des études de psychologie germe. Retrouver un sens à sa vie. Se projeter à nouveau dans des objectifs. Des vœux formulés qui font écho à ceux d’Annabelle, une des participantes du film.

TROIS QUESTIONS À…
Pierre Schonbrodt, réalisateur du film Tout va s’arranger (ou pas)
Depuis octobre, votre film tourne dans les écoles, associations, communes. Quel est le retour qui vous a le plus marqué ?
P. S. : « J’ai du mal à isoler un retour en particulier. C’est plutôt l’effet que produit le film qui me marque. Systématiquement, le débat tourne en séance de thérapie collective. En vingt ans de métier, je n’ai jamais eu de tels retours. Il manquait un petit push dans le dos des personnes en souffrance pour oser se dire. Maintenant le film existe, c’est une manière de sortir de la honte, de normaliser tous ces gens qui vont mal. Il est urgent de libérer la parole autour de la santé mentale. »
Qu’est-ce que ce film vous a appris et que vous auriez envie de partager avec nos lecteurs et lectrices ?
P. S. : « Au contact des jeunes, j’ai réalisé à quel point leur niveau de conscience était aigu. C’est peut-être ça qui les met à mal. J’ai recueilli des témoignages de jeunes qui ont des questionnements existentiels vertigineux. Quand je repense à ma jeunesse, j’étais beaucoup plus tourné sur le fait de profiter de la vie.
La jeunesse d’aujourd’hui est à la croisée des chemins, avec une école qui ne parvient plus à s’adresser à eux, des conflits mondiaux qui pèsent, des défis climatiques qui inquiètent. On les réduit trop souvent à leur consommation d’écran. Discuter autant avec les jeunes m’a fait prendre conscience de la portée de leur réflexion et de leur degré de désillusion.
J’ai envie de partager mon mea culpa avec vos lecteurs et lectrices. Je suis papa d’un garçon de 19 ans. Au moment du confinement, mon fils trainait des pieds. Je me souviens lui avoir fait la morale en disant qu’il y avait pire que de se retrouver à quatre dans une maison confortable. J’ai banalisé sa souffrance. Il a fallu que j’entame ce documentaire avec ma casquette de journaliste pour mesurer à quel point ce qu’on leur retirait était précieux et irremplaçable. Ce film, c’est une manière de se mettre en retrait, de se montrer à l’écoute des jeunes (et du mien à présent) pour favoriser le dialogue. »
Comment peut-on se procurer le film ?
P. S. : « Notre intention initiale était de donner un accès libre, mais les projections suscitent tellement d’émotions qu’on se demande si c’est une bonne idée de le lâcher sans aucune forme d’encadrement. Pour le moment, le film est mis à disposition gratuitement sur demande pour autant qu’il y ait une attention à ce qu’il y ait des professionnel·les pour encadrer le débat qui suit. »
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