Développement de l'enfant

L'ENFANT PAS À PAS
Un mois déjà, quatre semaines, une trentaine de jours et autant de nuits interrompues, plus de deux cents tétées, des milliers de conseils déversés dans les oreilles, un temps qu’on ne cerne plus : c’était hier ou il y a des années-lumière ? Comment vit-on comme père, comme mère, après un tremblement de terre ou un réaménagement de son jardin familial ?
A-t-on pris le temps de se raconter mutuellement la naissance ? Ce n’est pas pareil de la vivre depuis une table d’accouchement ou dans un état d’impuissance qu’on peut ressentir face à une femme qui « travaille », gère la douleur, pousse ou se fait « ouvrir le ventre ».
S’est-on permis de s’étonner des transformations chez soi et chez l’autre qu’amène ce petit bout d’homme ? « Tiens, jamais je ne l’aurais imaginé si concerné, il m’étonne, lui qui prend toujours tout du bout des doigts… », « Elle gère vachement, ma femme ! », « Pourquoi cette pointe de mélancolie alors que tout va pour le mieux ? », « J’ai du lait à flots, bizarre alors que pour faire ce bébé rien n’a coulé de source », « C’est terrorisant d’être responsable d’un enfant, je n’aurais jamais cru cela », « C’est magique de pouvoir construire une telle intimité avec un tout-petit, je pensais que cela ne viendrait qu’avec la parole »…
Ose-t-on à présent demander de l’aide, une présence, un relais… dans ces temps où on a les mains occupées et qu’on n’est plus comme avant uniquement responsable de soi mais que de soi dépend la survie d’un petit ?
A-t-on pris le temps de regarder ce bébé et de s’apercevoir qu’il est en belle forme, au lieu de se fatiguer à tourner et retourner les questions sur sa capacité d’être père ou mère, ou sur la qualité de ce qu’on lui offre ?
A-t-on dit à l’entourage que le besoin d’attention ressenti pour soi-même est aussi grand que l’attention que tous accordent au bébé ? On était « point de mire » pendant la grossesse, on se sent si sensible et en demande après la naissance… Et vous, le papa, le remarquez-vous ?
A-t-on réfléchi au fait que cette hypersensibilité, éprouvée comme embarrassante jusqu’à en être encombrante, sert précisément les intérêts de ce petit bout ? Parce qu’il faut se mettre dans sa peau pour sentir ce qu’il ne peut dire, deviner ses besoins, rejoindre son monde émotionnel…
A-t-on resitué à l’échelle du temps d’une vie ce que sont ces quelques terribles semaines dont on a l’impression que jamais elles ne finiront et qui sont saturées d’actes répétitifs (nourrir, changer, bercer, endormir et se remettre sans cesse à la disposition du bébé) ?
S’est-on permis d’être fiers de produire de la vie, de transmettre de la vitalité, d’être un fragment du grand « tissu du vivant » ?