Vie pratique

Dans le cadre de notre dossier sur les familles qui ne planifient rien pour les vacances et qui, comme Ulysse, entreprennent une odyssée à l’arrachée, écoutons ce qu'elles ont à nous dire. Sur le tourisme, la façon de voyager et de notre société.
On en a croisé des typologies de familles voyageuses pour les besoins de ce dossier. Celles qui boycottent les applis de locations estivales, celles tétanisées par leur empreinte carbone, celles qui ne préparent rien par acte militant, celles qui cultivent l’amour de l’impro… Il y en a des raisons d’opter pour une formule à l’arrache, pas vrai ? On en discute avec Mélanie De Groote, qui organise depuis six ans le Relais des voyageurs, soit des rencontres autour de voyages durables, insolites et ingénieux. En un mot, une façon de se projeter dans le tourisme de demain.
La thématique du dossier met en lumière les parents qui n’ont rien dans leur besace à l’heure actuelle. Quels conseils leur adresser ?
Mélanie De Groote : « Pour des vacances à trouver, maintenant, il est clair que la technique à employer, c’est de ne pas viser un spot précis. Soyons honnêtes, ça va être compliqué. L’attitude à adopter, c’est de ne pas avoir d’attentes particulières et de se laisser guider par les opportunités de dernière minute. Je trouve que la plateforme greengo.voyage, l’alternative à airbnb, plus éthique, plus écolo, est super. On y trouve des logements insolites, des tentes, des cabanes, des plans de dernière minute qui peuvent être vraiment insolites. Cela concerne principalement des vacances en France. Mais il y a plein d’autres astuces. Partir sur un principe d’itinérance. Le vélo. La marche. Le camping-car. C’est plus de liberté. Donc, ça demande de moins prévoir et de se laisser guider par l’aventure. Le train ? Génial, mais le frein, c’est que ça coûte un bras. L’astuce, c’est de voyager sur les lignes régulières. Celles sans réservation que l’on prend comme on prendrait un bus. Je me suis déjà rendue à Amsterdam ou à Paris de cette façon, uniquement sur des petites lignes. L’idée, c’est de savourer le déplacement. De voir défiler les paysages. S’arrêter quand on a envie de le faire. De cette façon, les horaires sont plus ‘locaux’. Les trains sont plus petits, vont moins vite, moins loin. C’est donc l’occasion de faire des pauses à des endroits inattendus sans rien réserver, à part les campings peut-être quelques jours à l’avance. À plus grande échelle, c’est pas mal aussi de sortir de la logique des locations de gîte du samedi au samedi qui fait que tout le monde se retrouve sur la route au même moment. »
On revient de plus en plus sur l’idée de ne pas se laisser dicter ses vacances par le marketing ou par des formules commerciales, comment expliquez-vous cet engouement ?
M. D. G. : « Je pense que trop prévoir, c’est le meilleur moyen d’être pressé pour atteindre ses objectifs. J’ai le sentiment qu’il y a clairement une volonté de prendre le temps, de faire du trajet un moyen de vacances. Profiter de chaque instant. Se déplacer. Bouger. Rien que ça, c’est déjà des vacances. Pas juste sortir de l’avion, se rendre à son hôtel et ne plus rien faire. Il y a clairement une plus grande demande. De plus en plus d’opérateurs se dirigent vers des formules plus lentes, plus proches et moins énergivores. Formules qui sont en plus un savant mélange de santé physique et de santé mentale. Aller vers l’autre. Profiter du bon. Passer au-dessus du moins bon. Je pense aussi qu’il y a comme une volonté de reprendre le contrôle. On peut partir trois jours ou trois mois comme ça. Sans avoir décidé de rien au préalable. On va traverser l’Europe sur un coup de tête. On ressent tous les kilomètres dans les jambes, on vit le paysage, on se prend le vent, la pluie, c’est une autre façon de vivre. C’est aussi une façon de se sentir vivant. Parce qu’il y a des moments galères qu’on partage avec les enfants. Pour moi, c’est ça l’image des vacances. »
« En train, par exemple, l’idée, c’est de savourer le déplacement. De voir défiler les paysages. S’arrêter quand on a envie de le faire »
Compromis et responsabilité sociétale
Justement, les enfants, parlons-en. On craint évidemment qu’ils soient victimes de cette soif de liberté de leurs parents et souffrent de cette forme d’insouciance, non ?
M. D. G. : « Moins les enfants que les adolescent·es. Nous sommes toujours partis comme ça avec les miens et, à chaque fois, ça nous a terriblement rapproché·es. Il suffit d’écouter les différents témoignages des familles qui sont parties ainsi, pour peu qu’elles aient été un tant soit peu respectueuses des rythmes des petit·es, ça a été une sacrée aventure. Les désaccords arrivent plus tard. Non, les ados n’ont pas toujours envie des fameuses vacances écolos qui font tant rêver les parents. Chez moi, cette année, il a fallu négocier pour arriver au compromis que chacun va prendre sa tente. Ce qui n’arrange pas nos affaires en matière de logistique. Le mot d’ordre : ne pas forcer, ça peut les dégoûter à jamais. On constate également que, faute d’arrangement entre parents et enfants, les parents partent passer des vacances pour eux pendant que les enfants sont en camp ou chez les grands-parents, par exemple. »
Ce type de vacances sans plan d’avance, c’est le futur ?
M. D. G. : « Je ne sais pas. Mais je constate qu’on en revient au train de nuit. Au déplacement à vélo. À l’essentiel, quoi. On remarque aussi que de plus en plus de monde aménage son propre véhicule. Ce qui permet de dormir partout. Pas comme avec un camping-car où on est hyper limité. Certains prestataires belges sont vraiment calés, je pense à Captain Atlas ou Blacksheep-van.com. Il y a un super festival à Gembloux aussi organisé par quatre gamins qui voyagent comme ça (lefestivan.be).
Le covid a changé la donne, on a redécouvert qu’on n’avait pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour avoir l’impression d’être en vacances. S’ajoute à cela le fait que les gens sont touchés financièrement. On a quand même la sensation que prendre l’avion, c’est une façon de dire merde au monde demain. D’ailleurs, pour lutter contre le réchauffement climatique et anticiper l'épuisement des ressources énergétiques, l'ingénieur Jean-Marc Jancovici plaide pour instaurer des quotas de vols. Selon lui, il faudrait limiter chaque personne à quatre trajets en avion sur toute une vie. Mais après, je comprends que ce soit tentant. J’ai envie d’aller à Fès au Maroc ? Ça me coûte 50 euros depuis Charleroi. C’est imbattable. Mais la responsabilité sociétale ? »
QUE RETENIR ?
Envies, batteries et boîte à souvenirs
Une manière de lutter contre un principe très mercantile et consumériste des vacances, le fait de ne rien prévoir à l’avance ? Les sites marchands autour des locations déstabilisent l’équilibre des villes et participent à un phénomène de gentrification qui fait que, partout en Europe, des familles ne peuvent plus se loger chez elles. Le tourisme de masse a un effet désastreux sur la biodiversité, des territoires entiers sont menacés. Face à ça, une petite masse décroissante vient réinventer une façon de faire du tourisme. Loin des stations cartes postales, des images d’Épinal magnifiées sur les réseaux sociaux.
Il se joue comme une lutte désorganisée, certes, ou, plutôt, pourrait-on même parler de lutte née d’une forme de désorganisation. Qui ne convient pas à tout le monde. Nous-mêmes, rédacteur et rédactrice de ce dossier, ne partageons pas la même vision des choses. Si Clémentine Rasquin a planifié ses vacances en décembre, Yves-Marie Vilain-Lepage ne sait toujours pas où il se posera dans quelques semaines avec filles, femme et chienne.
Que retenir alors ? Peu importe l’ivresse que procure le grand frisson de l’improvisation ou, à l’inverse, le confort d’une organisation aux petits oignons, une seule chose compte : que chacun et chacune passe les vacances dont il ou elle a envie, que les parents rechargent leurs batteries et que les enfants remplissent le plus possible leur jolie petite boîte à souvenirs.
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