Loisirs et culture

Il y a mille façons d’être touchéꞏe par une œuvre d’art. Le sentiment qui traverse votre enfant lors de la visite d’un musée pourrait bien vous surprendre. Ouvrez les yeux et pas juste sur l’exposition.
Quand Virginie et Jean-Louis se dirigent vers le Musée de la photographie à Charleroi, il faut bien avouer qu’ils n’y croient pas trop. « J’avais peur car, même pour moi, en tant que maman, ce n’est pas le genre de musée qui m’attire à première vue ». Va-t-il vraiment intéresser Hugo, 5 ans, Lisa, 9 ans, et Naël, 11 ans ? « Nos enfants ont plutôt tendance à jouer à des jeux électroniques le dimanche ». Mais depuis que la petite famille s’est inscrite comme « ambassadrice » pour le réseau de musées Marmaille&Co, elle a la mission de rédiger des comptes-rendus de ses visites. Et aujourd’hui, c’est à Charleroi que ça se passe.
Sur place, c’est la surprise pour les parents. Hugo, passionné par les animaux, les repère à chaque fois que l’un d’entre eux apparaît sur un cliché. Lisa est captivée par les anciens appareils et les photos de classe de l’époque. Quant à l’aîné, il voyage dans le temps en s’attardant sur les légendes des photographies et les dates de décès de leur auteurꞏe.
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« C’est ça qui est marrant avec les enfants, explique la maman. Ils ont une ouverture d’esprit, un niveau de lecture que nous, nous n’avons pas en voyant la photo. Je pensais vraiment qu’ils n’allaient pas apprécier ce musée et, finalement, on est resté deux heures. »
Se laisser surprendre par ses enfants, les découvrir à travers leur vision de l’art, voilà des aspects auxquels on ne pense pas forcément quand on envisage une sortie muséale. Et pourtant, c’est le principal retour que nous font les parents qui se sont aventurés dans les dédales artistiques de notre pays. « Auparavant, je ne serais jamais allée au musée comme celui de la photo avec eux, je me serais dit : ‘Ils vont s’ennuyer’. Mais le fait de les inciter à voir des choses, mine de rien, ils apprécient, ils en redemandent et je n’ai plus peur de prévoir ».
L’émotion que procure un tableau
Ces sorties font du bien à toute la famille, physiquement (« Mes garçons et moi avons une maladie dégénérative des muscles et nous devons bouger »), mais aussi mentalement. « C’est une découverte mutuelle, analyse Marie-Émilie Ricker, responsable de l’agrégation en histoire de l’art à l’UCLouvain. Quand mes étudiants réalisent un livret de visite pour les familles, ils imaginent une collaboration qui doit fonctionner dans les deux sens : ce n’est pas seulement le parent qui apprend à l’enfant, c’est aussi le plus jeune qui prend en charge une activité. Et finalement, c’est une occasion pour les parents de découvrir le petit dans un cadre qui sort de l’ordinaire ».
Comme le jour où Virginie et Jean-Louis se sont rendus au Musée de la Banque nationale. Là encore, qui aurait cru que des vieilles pièces de monnaie et des vieux billets allaient passionner la marmaille ? « Les enfants se sont amusés comme des dingues, raconte la maman, réjouie. Ils nous ont demandé si on avait connu tel ou tel billet. Pour eux, c’était une façon de mieux nous connaître et pour nous, de voir à quoi ils s’intéressaient. Un véritable échange ». « Ce sont des activités de découverte et de partage, embraye Marie-Émilie Ricker. Des moments hors du temps, en dehors de la vie familiale où on peut parler, s’écouter, de manière inattendue et inhabituelle ».

« Apprendre à identifier ses sentiments, à les exprimer et à entendre ceux des autres, c’est une ouverture au monde et à soi-même. C’est un premier pas pour s’approprier plus finement sa vie affective et émotive »
Même expérience pour Jean-Baptiste et Sophie, les parents d’Elsah et Erin, 5 ans. Eux aussi forment une famille ambassadrice pour Marmaille&Co. « On n’est ni l’un ni l’autre experts ou hyper fans d’art ». Et pourtant, le couple semble avoir été touché par le pinceau de Magritte, même après être sorti de l’expérience immersive consacrée au peintre belge à la Boverie à Liège. « Nous nous sommes retrouvés face à un ciel d’un bleu très intense alors qu’une partie du parc était déjà illuminée par un lampadaire », raconte le papa qui a immortalisé l’instant. C’était comme si l’expérience immersive se prolongeait hors des murs du musée. Presque magique.
Une émotion sur laquelle la petite famille s’est laissée porter dans la suite du parcours muséal proposé par la Boverie. « On voit que ça travaille dans leur tête, raconte le papa. On a eu la chance d’y être en fin de journée. Il n’y avait plus personne dans la salle. Les filles se sont mises à danser car il y avait de la musique, elles faisaient des poses en lien avec ce qu’elles voyaient. On les a laissées libres de se coucher, de regarder. On a constaté qu’elles réagissaient à certaines choses plus qu’à d’autres ».
Mission accomplie pour la responsable de l’agrégation en histoire de l’art à l’UCLouvain. « Une œuvre d’art demande de s’ouvrir à l’autre, d’exprimer des émotions, ce dont on parle rarement dans la vie de tous les jours, détaille Marie-Émilie Ricker. C’est l’occasion unique d’apprendre à identifier les sentiments, les siens et ceux des autres, à nommer, partager et en discuter ».
Se retrouver face à un tableau, c’est en effet être confrontéꞏe à une palette d’émotions et de sentiments. La violence d’une scène de guerre. La nostalgie d’un baiser. La sérénité d’un champ de fleurs. La détresse d’un cri. Autant d’occasions de réagir et de verbaliser les émotions ressenties.
Pour Marie-Émilie Ricker, c’est un apprentissage essentiel qui n’est pas ou très peu développé dans la vie scolaire classique. « Apprendre à identifier ses sentiments, à les exprimer et à entendre ceux des autres, c’est une ouverture au monde et à soi-même. C’est un premier pas pour s’approprier plus finement sa vie affective et émotive ». Un apprentissage qui se fait tant du côté des enfants que des parents.
EN SAVOIR +
Marmaille&Co, késako ?
Marmaille&Co, c’est un réseau et un label de plus de 60 musées basés en Wallonie et à Bruxelles. « Ils s’engagent à proposer tout au long de l’année des activités et outils destinés aux familles de manière très spécifique, explique Aurielle Marlier, chargée de communication. On a envie d’encourager le musée en famille. On sort du côté stage ».
Voilà pourquoi le principe des familles ambassadrices a été créé. Elles ont pour mission d’aller visiter les musées. C’est ainsi que Sophie et Jean-Baptiste ont créé leur compte Facebook et Instagram « So Jibs & the kids » où se partagent leurs expériences.
« De base, tout musée qui rejoint le réseau s’engage à proposer un outil pérenne, une façon ludique de visiter un musée, disponible 365 jours par an, continue Aurielle Marlier. À côté de cela, on lance plusieurs fois pendant l’année, principalement aux périodes de vacances scolaires, des grandes actions : des ateliers créatifs, des jeux dans le musée, des visites guidées mais sous un angle bien spécifique. L’activité vise toujours un public familial avec des enfants entre 6 et 12 ans environ. »
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ILS ET ELLES EN PARLENT...
Convivialité
« Les visites contées bilingues français et français langue des signes captivent les enfants. La mise en scène se fait en duo d’interprètes qui s’expriment en même temps, qui racontent la même histoire. Cela forme une chorégraphie devant les tableaux. En général, les ‘promenades contées et signées au musée’ sont de très bons moments pour les familles et permettent aux parents de découvrir un aspect de la personnalité de leur enfant. Et pour nous, ça permet de multiplier les portes d’entrée pour que les musées soient un endroit convivial et puissent ouvrir l’enfant à cet autre monde. »
Marie-Suzanne Gilleman, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles
Inversion des rôles
« Souvent, j’entends les parents, dans la première salle, qui lisent toutes les informations et les enfants écoutent. Ensuite, les rôles s’inversent. Les enfants découvrent par eux-mêmes grâce à de petits jeux qui leur sont destinés. Ils appellent leurs parents, leur montrent ce qu’ils ont trouvé. Par exemple, les animations sur les écrans : les bonhommes bougent, il y a du sang, ça provoque des réactions tant chez les enfants que chez les parents. »
Michal Bauwens, Mudia (Musée didactique d'art) à Redu
Ouverture
« La préhistoire, c’est le début de l’histoire de l’humanité. Cet éloignement dans le temps permet un beau recul d’analyse. On se demande : ‘Qu’a-t-on de différent mais qu’a-t-on encore en commun ?’. On est presque sur l’idée qu’on est une seule et même humanité sur une seule et même planète. Et en même temps, nous sommes tous différents dans nos manières de faire car nous nous sommes retrouvés face à des matières, des matériaux différents et nous nous y sommes adaptés. Les enfants comprennent que l’environnement autour de l’humain va avoir une influence sur son évolution. La grille d’analyse devient alors plus ouverte et on n’est plus binaire. »
Marie Wera, Préhistomuseum à Flémalle
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