Vie pratique

« Vivons heureux avant la fin du monde »

Alors qu’elle entame la troisième saison de son podcast pour Arte Radio, la réalisatrice Delphine Saltel a réuni dans un livre la matière des deux premières. Mieux comprendre nos modes de fonctionnement familial, parental et conjugal en les dépiautant, tel est son objectif.

« La formule pour essayer de résumer le point commun entre tous les épisodes ressemble à une tautologie : essayer de comprendre pourquoi on fait ce que l’on fait comme on le fait », sourit Delphine Saltel quand on lui demande de pitcher son podcast Vivons heureux avant la fin du monde. « Ce qui est commun à tous les sujets, que ce soit du premier épisode sur la fast fashion à l’épisode sur la viande ou le dernier sur l’alcool, c’est l’entrée en matière : comprendre qu’il y a un problème collectif là où l’on n’a pas l’impression qu’il y en a ».
Pour ce faire, la réalisatrice part de ses propres interrogations. C’est un podcast narratif en « Je ». « C’est une représentation de moi. Ce que je partage avec ce personnage, c’est l’anxiété. J’ai essayé que cette tendance à beaucoup douter me serve à quelque chose, quitte à forcer le trait. Quand on doute, on est tiraillé, dans le dilemme, la contradiction. C’est le moteur qui justifie l’enquête ».
Concernant le choix des sujets, Delphine Saltel a carte blanche. Dans le traitement, à des fins pédagogiques, « et pour rappeler que ces questions collectives concernent des situations individuelles, qu’il y a un lien entre l’intime et le politique », cette ancienne prof de français n’hésite pas à intégrer des passages de sa vie de famille, les réflexions de ses filles jusqu’aux engueulades avec son partenaire. « Ce que j’y mets est sincère, ce sont des situations réelles. Pour la dimension de vulgarisation, l’ancrage dans la vie quotidienne est très important ». C’est une partie du sel de ce podcast : la douce impression que c’est une amie qui partage avec nous le fil de sa réflexion.

J’écoute, donc je pense

Parmi les vingt-cinq épisodes en boîte, ceux qu’elle préfère sont ceux qui traitent de la parentalité et de la conjugalité : « Ce sont ceux qui m’ont coûté le plus, mais qui ne ressemblent pas à ce que je pensais. Par exemple, le sujet sur l’argent dans le couple m’a permis de tomber sur Le genre du capital de Céline Bessière et Sybille Gollac. Un livre salutaire. Les meufs, ça fait vingt ans qu’elles épluchent les statistiques pour arriver à décrypter les inégalités économiques. Grâce à leur travail, il y a un aspect macro et systémique de ce qu’on a sous le nez tous les jours qui apparaît, c’est libérateur. Je suis fière de participer à la démocratisation des outils intellectuels – Le genre du capital fait 500 pages – qui permettent de prendre conscience de ce dans quoi on est pris. Comme des petits outils, des petites armes ».
En mettant en évidence les constructions et les grandes évolutions sociohistoriques, ces enquêtes lui ont permis de mieux comprendre ses propres difficultés : « Comme me le soulignait la sociologue Irène Théry : ‘De nouveaux idéaux posent de nouveaux problèmes’. Associer idéaux et problèmes, c’est une piste pour reconsidérer nos existences. Cela renverse la perception de nos difficultés quotidiennes : on rentre dans ce grand mouvement de fond qui travaille la société ».
Ce podcast permet de lever le nez de notre époque, de mesurer le poids de nos héritages, mais aussi de ces nouveaux idéaux de schéma égalitaire. « Quand on se met bien en tête qu’on est déterminé par ces modèles, que ce n’est pas la faute de l’autre en tant que personne, que le problème vient de ce qu’on construit collectivement comme règle, cela déculpabilise, apaise dans le couple et désamorce les conflits interpersonnels. On se débat dans un système plus grand que nous ». Et soudain, tout fait sens.

EN SAVOIR +

Chaque mois – si c’est possible –, Delphine Saltel explore nos incohérences, nos paradoxes et les solutions possibles. Utilisant sa propre anxiété comme moteur de questionnement, elle « fait appel à la cervelle des autres pour mieux penser », puis nous livre le meilleur de ses entretiens auquel elle mêle ses propres réflexions. Un podcast intimiste, joliment monté, qui aborde des sujets universels avec doute et curiosité.

Décliné en livre

« J’ai hésité avant d’accepter la proposition de l’éditeur. Ce qui m’a donné envie de le faire, c’est de pouvoir rassembler les épisodes que j’avais réalisés au fil des rencontres, un peu dans le désordre. Car je me suis aperçue que chaque épisode faisait sens l’un par rapport à l’autre. En les organisant, cela fonctionne comme une maquette à décomposer de notre modèle familial et conjugal d’aujourd’hui. »
Vivons heureux avant la fin du monde. Couple, famille, sexualité : les nouvelles règles du jeu (Arte Productions)

Où sont les hommes ?

« Le podcast est majoritairement écouté par des femmes. Ce que j’observe à propos de cette ébullition intellectuelle sur les rapports homme-femme, le genre, les inégalités, c’est que ce sont les femmes qui se nourrissent, s’emparent de toutes ces productions documentaires, journalistiques, les essais, les livres… Mais que les hommes, même les mieux intentionnés, ne participent pas assez à ce chantier. »

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