Développement de l'enfant

Votre bébé a peur des visages inconnus

« Habiba est une petite fille curieuse, elle adore scruter les visages qui l’entourent. Depuis plusieurs jours, après quelques minutes d’observation des personnes qui ne lui sont pas trop familières, elle se met à hurler et on la sent en détresse, ce qui est totalement nouveau, s’étonne Safia, sa maman. Mes copines qui ont été mamans avant moi me disent que c’est normal, que ma petite est entrée dans la phase d’angoisse. Et, en effet, dès que je la prends dans mes bras, je me rends compte qu’elle peut continuer sans crainte son observation des personnes qui lui sont étrangères parce qu’elle est en sécurité tout contre moi. »

Quelle surprise pour vous : votre bébé qui était jusque-là si sociable n’entre plus facilement en contact avec tout le monde. Il ne sourit plus à la ronde. Il montre une grande méfiance à l’égard des personnes qu’il ne connaît pas ou pas assez : cela peut être le voisin, la voisine, le jeune homme à la caisse du supermarché ou la dame dans le parc, cela peut être aussi ses grands-parents ou son tonton qu’il ne voit pas souvent. Il est à ce point effrayé devant ces visages trop peu connus ou inconnus qu’il ne se sent rassuré qu’en se blottissant tout contre vous, sa maman, son papa, ou qu’en enfouissant son visage dans votre cou, par exemple. Son tempérament, qui vous est pourtant devenu bien familier, est-il bizarrement en train de changer du tout au tout ? Non, bien sûr.

Hors de vue, un objet continue d’exister

En effet, rien d’anormal à tout cela ! Votre bébé entre, en fait, dans une phase particulière de son développement, un moment fondateur de son évolution. On parle de la peur des inconnus et de l’angoisse des 8 mois. Quelques éléments d’explication avec Reine Vander Linden, psychologue clinicienne.
« C’est un passage inéluctable dans le développement de l’enfant, qui se manifeste avec plus ou moins d’intensité, et ce, dans la deuxième moitié de sa première année de vie (parfois dès 6 mois, parfois plus tard), souligne directement Reine Vander Linden. Ce passage correspond au moment particulier où le bébé découvre que ce qui est dans son champ de vision continue d’exister même après avoir disparu à son regard. Précédemment, un objet ou une personne qui n’étaient pas (ou plus) présents dans son champ visuel n’existaient pas (ou plus). Ainsi, un jouet fort intéressant l’instant d’avant disparaissait de son esprit dès le moment où on le cachait sous une couverture, et il ne se mettait pas à le rechercher. Les choses sont en train de changer. Les traces de souvenirs que le bébé se fabrique en pensée vont le pousser à rechercher le jouet qui lui est "dérobé" par la couverture. Il apprend que l’objet peut être hors de sa vue et que, malgré tout, il existe encore. Il acquiert petit à petit la notion de permanence de l’objet. C’est une découverte capitale : celle d’un monde constant ! »

Une personne inconnue regarde votre bébé avec un peu trop d’insistance : il lui sourit un dixième de seconde, puis, d’un coup, parce qu’il réalise qu’il ne s’agit pas d’un de ses tout proches, son visage se chiffonne et il fond en larmes. Il lui faut alors s’accrocher à vous pour de nouveau oser un tout petit sourire

Les images de maman et de papa dans la tête

Autour de 8 mois (mais, comme on l’a dit, cela peut être un peu avant ou un peu après), parallèlement à la construction de la notion de permanence de l’objet, l’enfant se fabrique des images mentales de sa maman et de son papa, qui sont ses « figures d’attachement » comme on dit dans le jargon psy. C’est-à-dire ? « L’enfant connaît ses parents depuis toujours, rappelle Reine Vander Linden. À 2 mois, et même à 2 semaines, un bébé repère l’odeur de sa mère si on lui présente plusieurs morceaux de coton imbibés de lait maternel : il ne se trompe pas. Il a une connaissance sensorielle de sa maman et de son papa : il connaît et reconnaît leur voix, leur odeur, leur tonus musculaire… Donc, très tôt, il stocke des traces sensorielles de ses parents. Par contre, les traces mentales de ses parents – et donc, les représentations d’eux qu’il garde à l’intérieur de lui – ne sont pas encore fixées dans sa tête. Elles sont en phase de construction autour de 8 mois. On se trouve justement là dans une période sensible : quand la maman ou le papa disparaissent du champ de vision de l’enfant, celui-ci n’a pas encore assez bien fixé leurs images mentales pour pouvoir s’y appuyer et se dire "Ils vont revenir". D’où son grand désarroi quand il ne les voit plus. Ce n’est que quand il aura bien installé les images mentales de ses figures référentes – maman, papa – qu’il pourra s’y appuyer pendant leur absence pour ne pas sentir l’angoisse du vide. Il aura alors amassé suffisamment d’expériences avec ses parents pour être rassuré sur leur retour. »
Un élément bon à savoir encore par rapport à ce processus : ces traces mentales s’installent doucement dans la tête du bébé parce que, désormais, il se vit différent de l’autre, sa maman, son papa. La distinction entre lui et l’autre est clairement posée. « Maintenant qu’il est vraiment différencié, s’il n’est pas en présence d’un de ses parents, il a de quoi être angoissé… »

Pas de forcing avec votre bébé !

Ce moment particulier se traduit par de la peur devant les visages étrangers, c’est-à-dire des visages qu’il n’a pas l’habitude de côtoyer au quotidien, « car il commence à pouvoir les comparer mentalement aux traces de souvenirs qu’il se fabrique des visages qui lui sont familiers. Toute personne perçue comme non-maman ou non-papa est susceptible de lui apporter un stress, une insécurité. »

« Les bébés qui entrent à ce moment-là à la crèche sont souvent décrits comme des enfants qui pleurent beaucoup parce qu’effectivement, loin de leurs figures d’attachement, ils éprouvent de la détresse et les puéricultrices ont beau être présentes, attentives, consolantes, cela ne change rien à ce vécu »
Reine Vander Linden

Psychologue

Une personne inconnue regarde votre bébé avec un peu trop d’insistance : il lui sourit un dixième de seconde, puis, d’un coup, parce qu’il réalise qu’il ne s’agit pas d’un de ses tout proches, son visage se chiffonne et il fond en larmes. Il lui faut alors s’accrocher à vous, et donc être pris dans les bras par exemple, pour de nouveau oser un tout petit sourire. Parfois, de manière plus douce, il détourne la tête ou le regard. Vous quittez la pièce où il se trouve et le voilà qui se met à hurler : c’est qu’il n’est pas encore totalement tranquillisé quant à votre retour. « Les pleurs sont effectivement le signe de sa détresse tout à fait spécifique, qui est liée à cette étape de son développement, explique Reine Vander Linden. Il s’agit véritablement de détresse : le bébé est insécurisé dans cette espèce de vide de présence de son parent qui est sa base de sécurité. Ces pleurs de détresse, qui s’apaisent rapidement quand l’enfant rejoint les bras protecteurs de sa maman ou de son papa ou qu’il se retrouve de nouveau à côté de l’un d’eux, n’ont rien à voir avec des caprices. »
« Cette peur des inconnus est à respecter, en ne faisant pas le forcing auprès de l’enfant : cela ne sert à rien de l’obliger à se connecter à ceux qui l’effraient ou à aller dans leurs bras… » Cela passera. Si votre bébé était joyeux et sociable, sûr qu’il le redeviendra. Mais, pour l’heure, il ne l’est pas, c’est comme cela. Vous n’avez pas d’autre choix que d’accepter ce moment qui peut sembler régressif parce que votre petit a de nouveau beaucoup besoin de votre présence…
Cette période sensible n’est évidemment pas idéale pour entreprendre de grands changements dans la vie du bébé ou lui imposer des séparations prolongées. Et donc, si possible, ne partez pas en vacances à ce moment-là en le laissant à d’autres. Et, si vous le pouvez, n’envisagez pas dans ce temps une entrée à la crèche ou un changement de crèche. « Les bébés qui entrent à ce moment-là à la crèche sont souvent décrits comme des enfants qui pleurent beaucoup parce qu’effectivement, loin de leurs figures d’attachement, ils éprouvent de la détresse et les puéricultrices ont beau être présentes, attentives, consolantes, cela ne change rien à ce vécu. »
Vous vous rendez peut-être compte que votre bébé privilégie un objet – un tétra, une peluche, son pouce ou une mèche de cheveux –, c’est son doudou : un peu de maman, un peu de papa avec lui. Il lui offre de la sécurité en leur absence.
Tout ce qu’on vient de vous décrire n’est pas contrôlable par les parents. Cette phase surprend. « Je ne l’ai pas appréhendée, confie une jeune maman, je suis plutôt du style à prendre les choses comme elles viennent. » Elle dure quelques semaines. Ce temps est nécessaire pour que votre bébé retrouve sa sécurité et qu’il recommence à se montrer curieux face à la nouveauté…

ZOOM

Jouer à coucou pour apprivoiser l’absence

Le « coucou bouh ! » est un jeu naturel et spontané auquel tous les parents s’adonnent avec leur bébé depuis qu’il est tout petit. Un jeu qui déclenche beaucoup de rires. Maintenant, il concrétise vraiment l’alternance présence-absence.
« Le jeu du coucou achemine, en effet, l’enfant vers cette question de l’absence-présence en douceur, observe la psychologue en périnatalité Reine Vander Linden. Au cours de la fameuse phase de l’angoisse des 8 mois, la disparition, l’absence du parent produit une réelle sensation désagréable chez le bébé. Avoir joué à "coucou bouh !" bien avant l’arrivée de cette phase lui a permis de déjà dessiner les prémices de cette alternance, il a en quelque sorte déjà acquis une certaine expérience là-dedans : l’autre peut disparaître sans qu’il ne "se volatilise". Et cela va peut-être davantage prendre du sens au moment où la peur est présente parce que ce jeu se concrétise par de toutes petites séquences où l’on disparaît mais où l’on réapparaît très vite. C’est un jeu qui rassure l’enfant sur le fait qu’il n’y a pas de "volatilisation" de l’adulte quand le drap ou la couverture est devant ses yeux… »

LES PARENTS EN PARLENT…

« Il pleurait dès que je m’éloignais… »
« Pendant quinze jours, je ne pouvais plus quitter la pièce où était Nathan sans qu’il ne se mette à pleurer. Il hurlait : je revenais au galop. Cela devenait vraiment insupportable : je ne pouvais même plus aller aux toilettes tranquillement, alors je traînais son relax jusqu’à la porte des toilettes. C’est arrivé brutalement… et c’est reparti comme c’est arrivé ! »
Roxane, maman de Nathan

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