Développement de l'enfant

0-3 ans : démêler le vrai du faux sur la nocivité des écrans

Avant 3 ans, il n’y a pas de bon écran, dit le slogan. Martelé, celui-ci n’est pourtant entendu que par 13,5% des parents. Derrière l’adage visiblement boudé se joue un véritable enjeu de santé publique pour les enfants.

Depuis cinq ans, des professionnel·les de la petite enfance sonnent l’alerte. De plus en plus d’enfants entre 0 et 3 ans présentent des symptômes interpellants : intérêt centré sur les écrans, retard de langage, repli sur soi, absence d’interactions, désintérêt pour les jeux, comportement agressif, instabilité de l’attention, agitation, maladresse... Ces signes sont observés chez les enfants de toutes classes sociales confondues, mais sont particulièrement présents chez ceux issus de milieux précarisés.
Les chiffres manquent pour estimer l’importance du phénomène, regrette Daniel Marcelli, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, qui parle d’observations massives, régulières et répétées. Certain·es professionnel·les attribuent ces signes au spectre de l’autisme. Le sujet fait polémique.

Écran et autisme 

Dans un article scientifique, Yehezkel Ben-Ari, spécialiste des processus de maturation cérébrale, révoque ce lien entre écran et autisme et affirme que les troubles du spectre de l’autisme naissent in utero. Impossible dès lors de les attribuer aux écrans. Nous l’avons contacté pour obtenir des précisions.
« La grossesse et l’accouchement sont des étapes décisives dans le trouble du spectre autistique. On sait maintenant que ce sont davantage des facteurs environnementaux comme la pollution, les pesticides, le stress, les inflammations qui sont en cause dans le diagnostic de l’autisme que des facteurs génétiques. Face à ces attaques, la maman va déclencher une réponse immunitaire qui va induire une réaction immunitaire aussi chez le bébé, ce qui n’est jamais souhaitable étant donné que le cerveau du fœtus ou du nouveau-né n’est pas encore mature. »
Selon le spécialiste, la nocivité des écrans tient surtout dans le fait qu’ils empêchent les contacts avec les proches à un âge où les interactions sociales sont cruciales dans le développement de l’enfant.
Daniel Marcelli a consacré plusieurs publications au sujet et propose plutôtde parler d’un syndrome d’exposition précoce et excessive aux écrans (EPEE). Un phénomène relativement récent que le psychiatre attribue à l’envahissement croissant des écrans dans nos vies. Les écrans étant à la fois plus nomades et diversifiés qu’avant. Exit le gros poste de télévision, place aux ordinateurs, tablettes, smartphones et consoles de jeu. Comptez en moyenne cinq écrans et appareils connectés par famille. Combinez cette multiplication avec les progrès technologiques qui permettent un accès à internet partout et tout le temps, vous obtenez ainsi l’ampleur de l’envahissement. Transport, file d’attente, restaurant, les écrans sont partout. Pour occuper, pour distraire, pour apaiser, pour jouer, ils sont devenus de vrais compagnons de vie.

Avec quels effets ?

Si l’exposition aux écrans ne peut pas être tenue responsable d’un trouble du spectre autistique, elle comporte toutefois son lot d’effets. Les périodes de 8 à 10 mois et de 2 à 3 ans du jeune enfant sont particulièrement cruciales pour son développement. C’est le fameux stade sensori-moteur où l’enfant découvre avec ses cinq sens.
Daniel Marcelli détaille les effets d’une exposition précoce et excessive aux écrans. « Un premier signe, c’est la non-apparition du langage bébé (que l’on appelle aussi le mamanais), puis l’absence des premiers mots et un retard de langage qui va croissant avec, chez certains enfants, une absence complète de langage à 2 ans. Un autre élément visible, c’est le désintérêt pour les jouets matériels, que ce soient des cubes, des livres, de la musique. L’intérêt est concentré sur l’écran. Troisième élément, l’isolement, qui contraste avec la tendance naturelle de l’enfant à aller vers l’autre vers l’âge de 18 mois, quand il sait marcher ».

Les écrans empêchent les contacts avec les proches à un âge où les interactions sociales sont cruciales dans le développement de l’enfant

Voilà les premiers symptômes qui caractérisent les enfants surexposés aux écrans. Plus tard, d’autres impacts viendront compléter le tableau. Le fait que l’écran ne stimule que la vision et l’audition entraîne également un mauvais développement du tonus musculaire et du toucher, par exemple.
Quid de l’attention ? À ce niveau, la situation est paradoxale, estime Daniel Marcelli. Face à un écran, l’enfant fait preuve d’une grande concentration, mais cette capacité chute dès lors qu’il n’y est plus. « Les écrans provoquent un déséquilibre de l’organisation de l’attention, avec, d’un côté, une hyperstimulation de l’attention superficielle et, de l’autre, une carence importante de l’attention profonde ». On retrouve chez les enfants surexposés aux écrans une incapacité à s’intéresser à un objet immobile, tandis que l’écran captive par le bombardement d’images qu’il envoie. « L’enfant est enfermé dans une bulle. Aimanté par l’écran, il ne peut s’en détourner pour penser, imaginer, rêver, faire une pause… ».

« L’écran, c’est l’arbre qui cache la forêt »

Olivier Duris, psychologue clinicien spécialisé sur la question des écrans, n’est pas favorable à assimiler ces symptômes à un syndrome. Un risque, selon lui, d’occulter tout un pan de la problématique. « L’écran, c’est l’arbre qui cache la forêt. Les études démontrent que c’est un élément parmi d’autres et qu’il faut s’intéresser à l’environnement de l’enfant au sens large. Cela appelle tout un tas de questions comme de quel espace dispose-t-il pour jouer, a-t-il accès à des jouets, à un espace extérieur, à des activités extrascolaires, à un parent disponible pour lui ? ». Le psychologue invite à sortir du prisme familial pour envisager la question sous l’angle sociétal. La question des écrans devenant aussi un enjeu de santé publique.

POUR ALLER + LOIN

Écrans avant 3 ans : de nombreuses recommandations…

Le programme 3-6-9-12 développé par le psychiatre Serge Tisseron plaide pour une utilisation raisonnée des écrans. Il stipule qu’avant 3 ans, il n’y a pas de bons écrans. Ces recommandations sont aussi partagées par le Conseil Supérieur de la Santé qui préconise de ne pas exposer les enfants aux écrans avant l’âge de 2 ans. À partir de cet âge, l’OMS conseille de limiter l’utilisation des écrans à une heure par jour maximum, d’adapter les programmes à l’âge de l’enfant et de l’accompagner dans l’usage des écrans. Des messages largement relayés par les milieux d’accueil, écoles, consultations ONE, salles d’attente des professionnel·les de la santé et campagnes de sensibilisation. Qu’en est-il du suivi de ces recommandations par les parents ?

… Mais peu suivies

Pour la Belgique, les chiffres manquent. En France, l’étude longitudinale d’envergure nationale Elfe, initiée en 2011, a permis d’objectiver la donne avec les résultats d’une enquête de 2022 sur les écrans menée auprès d’une cohorte de 13 117 enfants. Cette dernière révèle que seuls 13,5% des foyers suivent les recommandations de ne pas exposer les enfants aux écrans avant l’âge de 2 ans.
Jonathan Bernard, chercheur à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), précise que les recommandations sont moins bien suivies chez les parents séparés, les mères âgées de moins de 40 ans, les parents disposant d’un faible niveau d’études et les parents d’origine étrangère. À caractéristiques familiales identiques, les parents ayant eux-mêmes un attrait pour les écrans adhèrent moins aux recommandations. 
Une étude menée dans plusieurs hôpitaux de la banlieue parisienne l’été 2020 auprès de 170 parents d’enfants âgés de 12 à 36 mois apporte des compléments d’information. Celle-ci révèle que les enfants sont exposés aux écrans à partir de l’âge de 1 an. L’écran principal est la télévision, suivi du smartphone avec YouTube, Gulli et Netflix comme sites les plus consultés. Un tiers des enfants choisissent seuls les contenus qu’ils regardent et la majorité (66%) le fait sans aucune surveillance parentale. Les écrans sont utilisés dans 25% des cas pendant les repas et dans 12% des cas avant le coucher. Les parents déclarent mettre leur enfant devant un écran pour faire autre chose (40%), les calmer (38%), développer leur conscience (39%), apprendre une langue (20,5%), discuter en famille (25%), les aider à manger (16%) et jouer (16%).

► Les chiffres communiqués sont repris de l’étude longitudinale française Elfe 2022 Exposition des enfants aux écrans de Jonathan Bernard, chercheur à l’Inserm, et de l’analyse quantitative et qualitative Temps d’écran des tout-petits en banlieue parisienne, réalisée par des pédiatres et médecins, dont Sylvie Dieu Osika, membre de COSE (collectif surexposition aux écrans), et publiée en 2023.

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