Développement de l'enfant

Accidents de la route : les garçons en pole position

Marie-Axelle Granié est chercheuse en psychologie sociale à l’université Gustave Eiffel (France). Elle détaille les facteurs qui exposent les jeunes aux accidents de la route et les leviers d’action pour changer la donne.

Votre travail en psychologie sociale porte sur ce que vous appelez la socialisation au risque, expliquez-nous ce concept ?
Marie-Axelle Granié :
« La socialisation est la manière dont une personne apprend à se comporter dans un groupe social. Pour l’enfant, cela commence par la famille et puis l’école. Mais toute personne qui intègre un nouveau groupe va apprendre à se conformer aux normes du groupe.
Ce que j’appelle la socialisation au risque, c’est la part de norme intégrée qui amène une personne à avoir un certain rapport au risque et aux règles. Ce rapport est nourri de ce que la personne observe comme pratiques chez ses parents et proches et de ce qu’elle comprend de ce qu’on attend d’elle comme comportement. »

Intéressons-nous aux 18-24 ans, pourquoi sont-ils en surrisque ?
M.-A. G. :
« Parce qu’ils cumulent deux facteurs. Primo, ils sont débutants et leur manque d’expérience les expose davantage aux accidents. Deuxio, ils sont dans une phase de leur développement qui les amène à tester davantage les limites. Ces deux facteurs cumulés exposent davantage les jeunes aux dangers de la route.
Mais le surrisque est surtout masculin. En France, 80% des tués sont des hommes. Si on se concentre sur les 18-24 ans, pour l’année 2022, 336 garçons ont perdu la vie contre 51 filles, ce qui représente un taux de 87% d’hommes. »

Comment expliquer un tel écart entre les filles et les garçons ?
M.-A. G. :
« Il y a une part qui est d’ordre biologique. Certaines zones du cerveau arrivent plus tardivement à maturité chez le garçon comme celle qui est chargée de contrôler l’impulsivité. L’autre cause est liée à la socialisation au risque perpétuée dans le groupe masculin. Dès le plus jeune âge, les garçons intègrent les attentes sociales pour appartenir au groupe. Prendre des risques, être courageux, ne pas avoir peur, adopter une conduite sportive sont autant de normes véhiculées et assimilées par les garçons. »

« Les parents éduquent très peu leurs garçons au risque. Ils ont aussi un rôle à jouer pour déconstruire les stéréotypes d’invulnérabilité et de compétence »

Sur quels leviers les parents peuvent-ils agir pour changer la donne ?
M.-A. G. :
« Les parents peuvent amener des prises de conscience et que les garçons réalisent que ce qu’ils prennent pour un comportement libre répond en fait à des attentes sociales. Il y a aussi tout un travail de déconstruction des perceptions. La société perçoit les hommes comme naturellement compétents pour la conduite et invulnérables. La prise de risque au volant serait donc le signe qu’ils maîtrisent. Ces stéréotypes collent et desservent le sexe masculin.
De manière tout à fait inconsciente, les parents entretiennent ces stéréotypes. Une expérience réalisée auprès d’enfants de 6 ans en dit long. Filles et garçons reçoivent la même consigne : progresser en équilibre sur une poutre au sol en présence de leurs parents. Alors que les garçons se déplacent seuls, lorsque c’est le tour des filles, les parents approchent et tiennent la main tout le long. Les parents éduquent très peu leurs garçons au risque. Ils ont aussi un rôle à jouer pour déconstruire les stéréotypes d’invulnérabilité et de compétence. Les garçons s’imaginent qu’ils doivent prendre des risques. C’est faux, personne n’attend ça d’eux. »

Quid des acteurs en charge de la sensibilisation, la recherche fournit-elle des directions à prendre ?
M.-A. G. :
« Les actions de prévention aux risques routiers sont très souvent concentrées sur l’apport de connaissances avec cette idée que l’individu commet des erreurs d’appréciation par manque d’information. Cette approche nie l’aspect intentionnel de la prise de risque. Quelqu’un qui roule à 150 km/h sur l’autoroute sait très bien que c’est interdit et dangereux, c’est justement pour ça qu’il le fait. Les actions de prévention doivent taper sur le clou du rapport au risque, pas sur celui du rapport à la connaissance.
C’est un problème transversal à la prévention en général. Ça fait cinquante ans qu’on dit que fumer tue, ça n’empêche pas les gens de fumer. Ce qui prouve que l’information ne suffit pas à changer les comportements. Pour revenir sur le risque routier, le conducteur qui roule à 150 km/h pense pouvoir s’en sortir, c’est là-dessus qu’il faut agir. L’amener à s’interroger sur ce qui motive ses comportements et pratiques. La prise de risque sur la route est liée au sentiment de compétence. Le faible sentiment de compétence des filles les rend plus prudentes. C’est le sentiment de compétence et d’invulnérabilité des garçons qu’il faut baisser. »

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REPORTAGE

Attention, fragile

Un mardi matin à Profondeville. Une quinzaine d’élèves de rhéto participent à une activité de sensibilisation sur la sécurité routière au collège de Burnot. Tous et toutes ont reçu un œuf. Leur mission ? Le conserver intact jusqu’à la fin de la journée. Une manière pour l’Agence wallonne pour la Sécurité routière (AWSR) de leur faire prendre conscience de leur fragilité en tant qu’usagers de la route.
Après un quiz interactif pour tester le niveau de connaissances, il est temps de passer à la pratique. Direction la cour de récréation pour une mise en situation sur les angles morts. Un élève joue le rôle du conducteur, les autres reçoivent un cône. « Tu me vois, là », demande un premier positionné à gauche du véhicule. Le conducteur répond par la négative. Le cône est laissé sur place pour visualiser l’angle mort. Les élèves défilent et les cônes s’additionnent. Une quinzaine dessinent des sillons à gauche et à droite du véhicule. De quoi prendre la mesure de ce que recouvre le terme angle mort.  

Les 18-24 ans particulièrement menacées

Si l’AWSR investit dans ce projet de sensibilisation, c’est parce que les 18-24 ans sont surreprésentés dans les accidents de la route. En Wallonie, un·e jeune perd la vie sur les routes toutes les deux semaines. En tant que conductrice, cette tranche d’âge court deux fois plus de risques d’être impliquée dans un accident.
Manque d’expérience, vitesse inadaptée, distraction, conduite sous influence sont les quatre facteurs qui sont à l’origine des accidents impliquant les jeunes. Mais l’Agence wallonne précise que c’est plus globalement leur rapport à la prise de risque qui est en cause.

« Traverser quand le feu est rouge, on le fait sous la pression du groupe alors que si on était seul·e, on respecterait le Code de la route » Zohra

« Les rhétos sont à un moment charnière de leur vie, ils seront prochainement conducteurs. C’est un momentum intéressant pour leur faire prendre conscience de leur vulnérabilité et les informer sur les grands facteurs à risque », explique une représentante de l’agence. Pour l’AWSR, c’est aussi une manière de décliner les brevets piéton et cycliste à la réalité de la fin de secondaire.
La matinée touche à sa fin. C’est le moment de prendre le pouls auprès des jeunes. L’un tient son œuf précieusement dans la paume de sa main, un autre s’amuse à le faire tourner. Entre le quiz, les vidéos et la mise en situation, qu’est-ce qui les a le plus marqué·es ?
« L’effet de groupe, répond Zohra. Traverser quand le feu est rouge, on le fait sous la pression du groupe alors que si on était seul·e, on respecterait le Code de la route ». Elliott a, quant à lui, été marqué par la distance de freinage : « En une seconde, le véhicule parcourt treize mètres. La distance de freinage est beaucoup plus importante qu’on le croit ». Maxime ne se rendait pas compte qu’il était aussi vulnérable en tant qu’usager de la route. Et Iris de compléter : « Tout le monde est en danger ».
Au total, une trentaine de classes de rhétoricien·nes auront l’opportunité de participer à une journée de sensibilisation. Une phase-test qui permettra à l’AWSR de peaufiner sa formule pour les formations à venir.

EN CHIFFRES

32% de victimes en moins en dix ans

Entre 2013 et 2022, le nombre de blessé·es ou tué·es chez les 18-24 ans est passé de 3 186 à 2 164, soit une diminution de 32%, rapporte l’Agence wallonne pour la Sécurité routière. Si l’on se concentre sur les tué·es, ils ont diminué de moitié sur la même période, passant de 56 à 27 pour cette tranche d’âges.

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