Développement de l'enfant

On le redit, autonomiser son enfant est une sorte de graal de la parentalité. En cela, vous avez toutes et tous sous la main une arme imparable : votre cuisine. Prenez un soupçon de responsabilité, ajoutez-y une grosse dose de confiance, le tout saupoudré de valorisation, de transmission. Vous obtenez alors le meilleur met qu’il soit : des enfants fiers et pleins d’assurance.
Ce n’est pas une idée neuve. Elle nous a souvent été soufflée par différent·es expert·es dans des cadres très précis. Mettre ses enfants aux fourneaux pour les familiariser à la lecture, aux maths. Comme avec les petit·es atteint·es de troubles dyspraxiques, une aubaine pour effectuer des petites manipulations et les conforter dans leurs gestes. Les ingrédients pour faire avancer nos enfants ne manquent pas.
Ici, ce sont des parents qui nous ont mis la puce à l’oreille et ont aiguisé notre appétit insatiable de curiosité : confier les fourneaux de façon régulière, en laissant le champ libre à ses enfants. Par exemple, le mardi, c’est institué, ce sont les enfants qui cuisinent. Une idée toquée ?
De sœurs ennemies à associées
Rémi et Wooty, les parents de Billie, 3 mois, Gaby, 9 ans, et Charly, 12 ans, ont institué ce principe. Une fois dans la semaine et une fois le week-end, leurs deux filles aînées ont la gestion totale du repas.
« Elles font les courses avec nous, élaborent leur menu. Au début, des choses très simples, genre spaghetti bolo vraiment foirés, et puis, plus ça va, plus elles commencent à viser des menus plus équilibrés. La dernière fois, elles nous ont cuisiné une salade avec du gingembre, des herbes, de la feta… des choses que je ne fais jamais, c’était super bon. C’est devenu leur rendez-vous, leur moment à elles. Elles le font avec beaucoup de sérieux, presque comme si elles fomentaient un mauvais coup. D’ailleurs, on n’est jamais vraiment très rassuré pour être tout à fait honnête… », confie le papa rigolard.
L’organisation de la famille ? Le choix des ingrédients est à la charge des filles. Elles choisissent un soir dans la semaine. Le repas hebdomadaire se fait en fonction des activités des enfants, des parents ou des (nombreuses) copines qui viennent dormir. C’est essentiellement quand les potes viennent que les deux sœurs font la popote.
Au-delà des maths ou du français, c'est surtout le partage et le plaisir qui sonnent comme les ingrédients de base de la cuisine
Les conditions imposées par les parents ? Laisser la cuisine dans un état irréprochable. Comme si elles recevaient, Charly et Gaby mettent le couvert, servent, débarrassent, font le ménage et la vaisselle. Ce qui ne les empêche pas de mettre la main à la pâte le reste du temps. Mettre le couvert, aider papa à couper les légumes, dresser la table… Un scandale ? « Mais ouais, ils nous exploitent, ironise Gaby la cadette. Non, sans rire, c’est super. On adore faire ça. Après, il faut qu’on fasse gaffe, papa et maman essaient de nous mettre de plus en plus aux fourneaux. Mais on se laisse pas faire ».
Blague à part, les parents l’envisagent davantage comme une activité fédératrice que comme une tâche en moins à accomplir. « Nos filles ne sont pas à proprement parler des super complices. Elles ne se sont jamais vraiment bien entendues. Mais dès qu’il s’agit d’élaborer tout un menu, parfois entrée-plat-dessert, surtout le week-end, là, elles deviennent de véritables associées ».
Une oasis pour les parents. Un moment de complicité pour la fratrie. Mais existe-t-il d’autres vertus à cette formule qui semble magique ?
Seul·e dans l’aventure du goût
Autre famille, même ambiance. Ici, c’est Solal, 10 ans, élevé seul par Stefania, sa maman, qui porte la toque. Visiblement, le gaillard est un vrai chef. La maman nous livre une biographie express de son commis préféré.
« La table, chez nous, c’est sacré. Les discussions se font autour de la confection de plats de légumes que l’on épluche, de farine que l’on étale, de viandes que l’on découpe. Très tôt, vers 7 ans, mon fils s’est mis à faire des choses simples. Tous les week-ends, œufs brouillés. Puis, petit à petit, des gâteaux, genre quatre-quarts, brioches, foccacia, etc. Très vite, il m’a appuyé. Plus par véritable envie que par altruisme, je dois dire. Il n’est pas du genre à dire ‘Oh maman, t’es morte ce soir, c’est moi qui cuisine’, mais il m’arrive même parfois de pouvoir m’asseoir dans un canapé et lire un bouquin pendant que mon petit homme cuisine. Ça le responsabilise énormément. Vu que l’école ne fonctionne pas toujours super, c’est vraiment son plus. On le voit vibrer de fierté. »
Tiens, voilà qui nous amène à une question intéressante. Par-delà le moment inédit en famille, existe-t-il des vertus dans le fait de mettre nos petit·es aux fourneaux ? Toquons à la porte de Claire Jarret, psychologue que l’on sait adepte du principe de mettre les enfants en mouvement. Alors, les vertus par l’assiette ?
« On l’entend beaucoup dans les recommandations de thérapeutes. Il y a tout un aspect qui permet aux enfants de s’essayer seuls à la mise en pratique de ce qu’ils apprennent à l’école. Multiplier par deux la quantité d’ingrédients, par exemple. Se lancer dans la lecture de la recette. Comprendre aussi le fonctionnement de l’énergie. Mais au-delà de ça, je crois fermement que la cuisine, le goût, c’est un apprentissage. On sait qu’un enfant doit manger dix fois du brocoli, par exemple, pour commencer à l’apprécier. Mais lorsque ce sont les enfants qui se lancent seuls en cuisine, il arrive qu’ils soient beaucoup plus curieux. La recette dit qu’il faut des poireaux, eh bien, on ne va pas rechigner à en mettre et à en manger. L’enfant se lance donc de son propre chef dans l’aventure du goût. Et je pense que c’est une forme de curiosité que l’on conserve toute sa vie. »
Aux parents navrés de ne composer leurs menus que de pâtes ou de patates pour éviter le rapport de force à chaque repas, voilà une bonne solution pour éveiller le palais capricieux de vos chérubins. Au fait, comment s’y met-on ? On ne va peut-être pas les faire attaquer un soufflé au Grand-Marnier tout de suite.
Petit commis deviendra chef quatre étoiles
On retrouve notre famille de départ. Charly, l’aînée, dont les parents jurent avec toute l’objectivité qu’il se doit que leur fille est un cordon bleu, nous explique comment elle a enfilé son premier tablier. « En tout cas, on ne peut pas dire que parents m’aient donné le bon exemple ! Ils ne font que décongeler des plats préparés. Non, j’ai commencé avec Babushka (sa grand-mère). Le mercredi, c’était gâteaux. Un jour, on a fait des financiers. Je me suis dit que c’était trop bon. Et qu’il fallait que j’en fasse à papa et maman. On a refait la recette avec ma sœur et on s’est trop régalés ».
Rémi de poursuivre : « Elles étaient hyper fières de leur succès. Illico, elles ont lancé : ‘Tous les mercredis, on vous fera un dessert’. Puis le dessert est devenu menu. Et l’habitude a perduré. Certains soirs, on rentre tard, on sait qu’elles peuvent se débrouiller. Parfois, on a un petit mot : elles nous ont laissé une assiette qu’on a juste à faire réchauffer. Le monde à l’envers. Après, en cas d’absence, on demande quand même aux voisin·es de vérifier que la maison n’est pas en feu… ».
On relate ce témoignage à Claire Jarret qui appuie sur un élément important. « Comme chez Solal et Stefania, le moment-clé qui va décider les enfants à prendre en charge les repas, c’est la reconnaissance des aîné·es. Pas uniquement des parents, mais aussi des ami·es, de la famille, qui vont valider les compétences de l’enfant. Il ou elle va avancer avec confiance. Si le premier gratin a brûlé, si les pâtes sont collantes ou simplement si le parent fait la grimace, il est fort probable qu’il n’y ait pas de suite. Et puis, il faut marquer une continuité. Les enfants adorent la tarte aux champignons de papa ? Alors on la fait ensemble, on montre les gestes, les petits trucs qui la rendent unique et, une fois bien maîtrisée, on les laisse partir seuls là-dedans ».
Enfin, on demande sa recette à Samia de Cookidz qui anime des ateliers de cuisine avec les enfants. Quels sont ses trucs pour laisser les enfants seuls aux fourneaux ? « Je pars du principe qu’il faut utiliser le moins de machines possibles au début. Se lancer dans des wraps, par exemple. Ensuite, on attaque avec des classiques, comme des omelettes. D’abord une simple pour le déjeuner. Qui va devenir de plus en plus élaborée. Puis accompagnée d’une salade, d’un coleslaw. C’est un cheminement. L’enfant doit se sentir suffisamment assuré. Bien sûr, dès qu’il y a des couteaux, des fours, des plaques, des robots, des appareils… le parent doit être à côté. Je n’ai jamais eu vent d’accidents jusqu’ici, je ne voudrai pas que ça commence ».
Tou·tes à table, donc, et rappelez-vous : la simple omelette du petit déjeuner qui manque un peu de sel est peut-être le début d’une odyssée gastronomique extraordinaire… qui vous mènera un jour au soufflé au Grand-Marnier.
