Vie pratique

Un reportage sur la volonté européenne d'augmenter son budget de défense au regard des dernières actualités. Les mille et un trucs à avoir sur soi en cas de conflit armé, d’attentat, d’explosions. Les déclarations guerrières des personnalités politiques… L’angoissante actualité quotidienne est entendue, amplifiée, déformée et remâchée par nos petit·es. Comment rattraper le coup, recadrer l’info et apaiser les enfants de tous âges ? Nous vous avons concocté une question de parents version XXL qui ne promeut qu’une chose : la paix… au moins sous votre toit. Mais ne commence-t-elle pas par-là ?
Avant toute chose, Laure Scutnaire, neuropsychologue à l’UCLouvain, rappelle le rôle essentiel des émotions : elles sont naturelles, elles nous permettent de nous protéger des menaces. La peur, l’angoisse, face à l’actu, c’est d’abord une question de survie. « Dans l’histoire de l’humanité, celui qui se protège vit plus longtemps que celui qui fait le fanfaron », souffle la neuropsy. Bien sûr, l’idée ne consiste pas à tomber dans l’extrême inverse. S’informer, oui. À condition de mettre de l’anxiété là où c’est nécessaire. Justement, plongeons dans le champ de bataille...
Crise après crise, angoisse après angoisse
Nos spécialistes rappellent que la montée d’angoisse, qui prend de plus en plus de place dans notre vie à la suite des diverses déclarations guerrières, n’est pas tout à fait inédite. Depuis les différentes crises successives que nous connaissons, elles sont de plus en plus fréquentes. Plus préoccupant encore, elles s’alimentent. Enfant, ado ou adulte, nous ne partons donc pas de zéro. Pour notre experte, ces peurs des enfants face à l’actu sont surtout la partie visible d’un iceberg qui existe, bien immergé dans les tréfonds des eaux froides de l’océan.
En cela, un filtre, à savoir une régulation des écrans, est bien sûr indispensable. Quelques règles de base sont essentielles. On évite d’exposer les moins de 6 ans aux images et autres déclarations de guerre. On vous le répète peut-être à travers tous les numéros du Ligueur, pour quasiment tous les sujets que l’on couvre : les enfants sont des éponges. Ils absorbent toutes formes d’émotions dicibles et indicibles. D’où l’importance de trouver les bons mots. En cela, mieux vaut s’accorder entre parents ou entre adultes sur ce que l’on dit ou non. Et sur la façon dont on communique, dont on discute, dont on analyse les sources.
« C’est bientôt la Troisième Guerre mondiale ? »
Que se passe-t-il dans la tête de nos enfants quand ils posent ce type de questions ? C’est de sécurité émotionnelle dont il est d’abord question. Avec l’idée d’une guerre imminente, ce besoin primaire est entravé. C’est cette insécurité émotionnelle qui génère les angoisses et les peurs. Le rôle du parent face à ça ? Ancrer l’enfant dans son quotidien. « Là, nous sommes en sécurité. Nous avons un toit. De la nourriture. Nous sommes ensemble ».
Souvent, les jeunes sont moins sujets aux angoisses que leurs parents. Avant toute chose, rappelons qu’il ne faut pas être dans l’anticipation ou la projection de la façon dont se sent votre petit·e
Pourquoi ne pas passer par des rituels pour conforter cette sécurité affective. Choisir des histoires dans lesquelles des enfants surmontent des épreuves. Notre spécialiste ès littérature jeunesse, Michel Torrekens, pense à « des livres qui ont une dimension ‘thérapeutique’ » : la série Gaston la licorne d’Aurélie Chien Chow Chine (Hachette) ; Au fil des émotions. Dis ce que tu ressens de Cristina Nunez Pereira et Rafael R. Valcarcel (Gauthier-Languereau) ; La couleur des émotions, un livre tout animé d’Anna Llenas (Quatre Fleuves) ; Mes émotions d’Isabelle Filliozat (Nathan). Notre chroniqueur précise que, « fondamentalement, tous les livres jeunesse aident l’enfant à grandir et à reconnaître des heurts (deuil, chagrin, solitude, séparation, harcèlement, etc.) ou… bonheurs ».
De son côté, la psychologue Mélissa De Conto recommande Calme et attentif comme une grenouille d’Eline Snel (Les Arènes), qui propose des exercices de méditation et de respiration qui créent une chouette complicité entre parent et enfant. Tout cela va avoir un impact sur le calme et la concentration des petit·es.
Comment répondre ?
Comme le recommande notre psy, on part sur les questions des enfants, sans les extrapoler avec nos réflexes d’adultes. Vous connaissez le principe : une question simple, une réponse simple. Souvent, les jeunes sont moins sujets aux angoisses que leurs parents. Avant toute chose, rappelons qu’il ne faut pas être dans l’anticipation ou la projection de la façon dont se sent votre petit·e.
Jaugez. Votre enfant dort bien ? Mange correctement ? Ne fonctionne pas trop mal à l’école ? Pas de comportement hors norme, en un mot. Il n’est peut-être pas nécessaire de tergiverser et mieux vaut alors rester le plus neutre possible dans son questionnement. « Tu as entendu parler de la guerre ? C’est quoi pour toi ? Ça t’inquiète ? ». Vous pouvez même l’aider à évaluer son niveau d’anxiété. « Sur une échelle de 0 à 5, tu te situes comment ? ». Ainsi, vous faites des petits jeux en famille. Et bien sûr, on passe à autre chose.
Ce dernier point est très important. Mélissa De Conto rappelle que, fortes ou légères, les émotions restent temporaires. Il est important de les reconnaître et de leur donner de l’espace, tout en aidant l’enfant à trouver des moyens de la gérer.
Les ados au cœur de l’extrême pollution médiatique
En tant que journaliste, ce n’est jamais plaisant à entendre, mais il faut bien avouer que l’aspect hautement anxiogène et nocif de l’information parfois délivré par la profession n’est pas acceptable. Une info en chasse une autre. Sans hiérarchie, sans égard, sans mise en perspective. Elle prend de plus en plus de place et va de plus en plus vite. Ce à quoi vous devez faire attention, parents – nous y sommes toutes et tous sujets –, c’est à la modalité de l’emprise de l’info dans nos vies. Les notifications sur le smartphone, l’info continue, la litanie radiophonique, les propositions d’émissions spéciales, les podcasts qui reviennent sur l’actu compulsive du jour. Si les innovations pour informer sont épatantes, elles sont également chronophages à l’excès.

« On s’alarme vite aujourd’hui d’un propos ou d’un comportement à l’école, comme si on découvrait que l’adolescence est une période d’émotions intenses. Votre grand·e va à l’école, a des ami·es, se nourrit ? C’est une bonne base. Les angoisses, le bazar autour de lui ou d’elle, qu’il ou elle fasse la gueule et qu’il ou elle ait parfois des points de vue radicaux sur la façon dont la société fonctionne, c’est tout à fait normal »
Et qui tombe là-dedans tête la première ? Nos chers et chères ados. Chez elles, chez eux, la surenchère va bon train. Le point de vigilance pour les parents ? L’entourage de leurs grands enfants. Généralement, vous connaissez bien leur environnement amical. En fonction, mettez des garde-fous. Essayez d’aider votre enfant à prendre du recul. N’hésitez pas à vous aider entre parents. « Roh, Julius revient avec ses idées de complot reptilien qui provoque la Troisième Guerre mondiale. Tu lui dirais quoi, toi ? ».
À éviter, les formules de secours. « Attends, je vais t’aider à comprendre ». Ce qui est intéressant, c’est de créer des bulles de ressources. Rappelez-vous, nous redisent nos intervenant·es, qu’il est normal que les ados soient en crise. « On s’alarme vite aujourd’hui d’un propos ou d’un comportement à l’école, comme si on découvrait que l’adolescence est une période d’émotions intenses. Votre grand·e va à l’école, a des ami·es, se nourrit ? C’est une bonne base. Les angoisses, le bazar autour de lui ou d’elle, qu’il ou elle fasse la gueule et qu’il ou elle ait parfois des points de vue radicaux sur la façon dont la société fonctionne, c’est tout à fait normal », souligne Mélissa De Conto.
Attention de ne pas les rendre plus anxieux, plus anxieuses qu’ils et elles ne le sont. Le traumatisme, c’est la répétition d’un stress chronique qui peut impacter un·e ado comme un enfant de 0-3 ans. La plasticité du cerveau, les connexions neuronales à ces deux périodes distinctes sont pourtant similaires. Le cerveau y est très malléable, ce qui le rend à al fois vulnérable aux expériences négatives et réceptif à des interventions réparatrices.
Le foyer ? Le seul enjeu sécuritaire qui soit
Les déclarations sécuritaires s’intensifient d’un continent à l’autre par plateformes médiatiques interposées. Généralement commanditées par des capitaines d’industrie moribonds qui voient dans cette escalade martiale l'opportunité formidable de générer une économie prospère. Dans ce monde, la seule sécurité qui vaille, c’est celle de l’enfant en son foyer. Que ses besoins de base soient respectés.
On le redit : manger à sa faim, avoir un endroit où dormir, avoir accès à l’éducation, grandir entouré de parents présents qui prennent en compte ses différents ressentis. Soit les bases d’un foyer stable. Tout peut être expliqué avec un langage simple. Votre seul devoir, parents, c’est celui de veiller à cela.
Pour le reste, vous avez le droit de ne pas avoir la réponse juste. D’exprimer vos propres peurs. Vous pouvez partir de vos ressentis et impressions afin de répondre aux angoisses de votre enfant. Voire investiguer ensemble pour partir à la recherche de l’info juste. Comme nous le martelions dans nos colonnes au moment du covid, n’oubliez pas de vous aménager vos propres ressources. De partager des moments de joie, de plaisir. D’éviter les pollutions médiatiques identifiées. Courez, sortez, aérez-vous, multipliez les balades, respirez le parfum des fleurs, souriez aux personnes que vous rencontrez, papotez… tout cela va vous aider à relativiser. N’oubliez jamais ce qui est le plus important pour vous. Un souper en famille ou entre ami·es ? Des parties de jeux endiablées ? Des sorties culturelles avec les mômes ? Faites-les. Et vous choisirez la vie, et vous choisirez la paix, bien plus enviable que tous les conflits entretenus et envenimés derrière nos trop nombreux écrans.
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