Vie pratique

À quel moment est-ce que l’on sait si on fait bien ou pas ? Il n’existe pas de diplôme de bon père ou de bonne mère, pas de cadre de référence. Comme si on foulait un sentier que l’on crée au fur et à mesure. Quel improbable et périlleux métier que celui de parent.
► COMPLEXE
Florence*, maman de deux enfants de 9 et 12 ans : « À vouloir briller sur tous les plans, j’ai surtout l’impression de foirer partout »
« J’ai grandi en faisant toujours semblant. J’ai toujours le sentiment de devoir tenir un rang. Pas un mot plus haut que l’autre. Des opinions pondérées. Je renvoie l’image d’une maman pleine de hauteur. En phase avec les opinions et les engagements du moment. Infaillible. Radicale, mais douce. Je m’oblige à briller sur tous les tableaux. J’offre une éducation à mes enfants fondée sur l'écoute de leurs besoins, je leur consacre du temps, j’entretiens leurs relations amicales, je les cultive, je les nourris de façon équilibrée, je les soigne, je les élève avec amour, avec compréhension, avec douceur. Je renvoie une image de mon couple équilibrée. À la fois complice, cool et tolérant. J’ai des engagements militants. Je me tiens informée. Je m’implique. Je m’indigne. Je m’engage à ma hauteur. Tout ça, je le fais avec un sentiment constant d’imposture. De façade. C’est ma fonction, mon masque. À vouloir briller sur tous les plans, j’ai surtout l’impression de foirer partout. En particulier dans les rôles les plus importants pour moi. Celui de mère, de compagne, d’amie. J’en suis arrivée à un point où je ne supporte plus rien. Ni le temps passé avec mes enfants, ni les discussions, ni les débats… Je connais la solution : lâcher du lest. Tomber le masque. Renouer avec l’essentiel… Mais par où commencer ? »
► « Par où commencer ? ». À tendre l’oreille, à discuter avec les parents, c’est une question qui revient sans cesse. Deux vérités semblent les habiter : l’impression de mal faire et la volonté de s’en débarrasser. D’être plus sûrs de soi. Comme moins complexés par ses choix éducatifs. Notre génération de parents serait donc une génération qui doute. Qui complexifie des décisions qu’elle prend. Qui remet son héritage et ses stratégies éducatives en question. Quoi de plus normal, les modes de parentalité n’arrêtent pas de muter. Les enfants et l’époque ne sont pas livrés avec des modes d’emploi. Du coup, nous tâtonnons, nous hésitons, nous nous trompons. En un mot, nous avançons, mais nous sommes un peu perdu·es.
CE QU'EN PENSE L'EXPERTE
Valérie Dubost , psychologue : « Chacun son plan de route »
« Le doute, les complexes, nous pourrions essayer de les envisager autrement que comme un frein. En réalité, ils ont une utilité, ils correspondent à des voyants de notre tableau de bord interne. Ils servent à remettre en question la façon dont on avance avec nos enfants, nos ados. Ces remises en question permettent de réajuster nos modalités éducatives. Bien sûr, il y a une limite. S’arrêter sur le bord du chemin et se remettre en question, oui. Mais attention de ne pas céder à la dévalorisation. Comment ? En les communiquant, ces doutes. Et pourquoi pas à ses enfants ? Sans les paniquer, bien sûr. ‘Bon, j’ai essayé trois fois de te dire de ranger ta chambre. Manifestement, ça ne marche pas. Je fais comment avec toi ?’.
L’idée consisterait à tout extérioriser en canalisant. Vous élaborez ensemble, chacun à sa place. Eux ne doivent pas interférer dans votre rôle de référent. Ce dont les parents souffrent la plupart du temps est un problème de repères. Ils suivent un itinéraire, quoi de plus normal qu’ils aient besoin de s’en remettre à une carte ou à un GPS. Il leur faut des indicateurs pour les orienter. Les épreuves font partie du plan de route. Doutes, frustrations, responsabilités et découragement font partie du voyage. C’est dur, mais que les parents se le répètent quand ils se sentent perdus : ils ont un plan de route. »
► CONSEILS
Lounis, papa de deux enfants de 13 et 17 ans : « On ne fait jamais comme il faut »
« À peine les enfants viennent de naître qu’on nous ensevelit de conseils en tous genres. Ils sont réconfortants, mais tellement contradictoires. Puis, très vite, déboulent les expertises : pédiatres, médecins, puéricultrices, nounous… Pareil, il y a de tout. Nous, très tôt, on a détecté une forme de dyslexie chez mon aînée. On nous a conseillé donc d’aller voir LA personne qui allait nous aider. Sous-entendu que si on ne le faisait pas, notre fille serait condamnée. Puis chacun y allait de son avis. De son expertise. On a une énorme famille, hyper protectrice, mais étouffante avec ses 10 000 jugements.
Puis arrivent toutes les pressions liées au parcours scolaire. Vers quoi l’orienter, ce qui sera le mieux pour elle ? Tout ça dans une société qui porte un regard encore dur sur des ados qui ont des difficultés de langage. Là encore, chacun a une solution miracle. Cette différence ne fait que ressortir ce que tous les parents doivent traverser, je pense : une multiplication d’avis. Qui renvoient tous à l’idée qu’on ne fait jamais comme il faut. »
► « On ne fait jamais comme il faut ». En voilà une autre forme de pression sociale. Souvent, les expert·es nous ont répété dans nos pages qu’être parent, c’est apprendre à devenir sourd·e. À se fermer aux différentes ordonnances et à écouter sa propre voix. À se fier à son bon sens, à son expertise. À l’image de ce que nous dit Lounis, nombreux sont les parents à confier combien sont pesants tous ces conseils. Tantôt perçus comme omniprésents, tantôt comme injonctifs.
CE QU'EN PENSE L'EXPERTE
Valérie Dubost, psychologue : « Le mot conseil est devenu un gros mot »
« Il faut bien différencier l’échange constructif qui permet de voir les choses sous un nouvel angle, de l’intrusion. En réalité, tout dépend de la manière dont les choses sont amenées. Une tantine, un·e passant·e ou un·e professionnel·le qui impose son opinion sans se soucier du ressenti du parent, c’est généralement peu recevable. La règle d’or, c’est de s’écouter. On dit trop peu aux parents qu’ils ont énormément de ressources en eux. Rien n’empêche de désamorcer tout ce flot incessant de conseils par un simple ‘Tu sais, ce qui est applicable à un enfant ne l’est pas à l’autre‘ ou de façon plus transparente encore, ‘Et ce que tu me dis, tu le tiens d’où, ça a réellement marché ? Parce que tu ne crois pas qu’on a chacun besoin de vivre ses propres expériences pour faire ses propres choix, sans devoir être guidé, mis en garde ou jugé ?’. Après, ça ne reste qu’un conseil de plus ! »
ZOOM
► Confiance
Dans son enquête sur les pressions sociales, Yapaka nous apprend que 1 parent sur 3 ne se sent pas assez en confiance pour confier son enfant à un proche. La même proportion exprime une méfiance vis-à-vis des institutions éducatives.
« Je me sens responsable de l’éducation de mes enfants et ne délègue pas facilement », « J’ai peur qu’on ne respecte pas mes choix. Peur qu’on laisse mon bébé de côté, qu’on s’occupe mal de lui, voire qu’on lui fasse du mal », témoignent deux parents dans l’enquête. Pourtant, la majorité de ces mêmes parents est d’accord avec l’affirmation : « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Comment expliquer ce paradoxe ? Nous avons posé la question à Gérard Neyrand, sociologue et auteur du livre La parentalité aujourd’hui fragilisée (Yapaka, coll. Temps d’arrêt).
« La confiance est mise à mal sur le terrain parental. Le parent qui cherche des réponses se retrouve face à des discours contradictoires. On observe aussi un hiatus entre les idéaux de certains parents et l’école ou les autres acteurs du monde de l’enfance. Dans les milieux populaires, on peut même parler de méfiance à l’égard des expert·es et des institutions. Les parents issus de ces milieux peuvent souffrir d’un complexe d’infériorité, ils n’osent pas faire appel à une aide extérieure de peur d’être jugés ou de se voir retirer la garde de leur enfant. »
Autre élément pointé par l’enquête de Yapaka : la fragilisation du contexte social et la précarisation des familles, deux facteurs qui isolent encore davantage les parents. D’autres parents subissent de plein fouet les exigences du « parent parfait », ce qui sème aussi en eux le doute que d’autres acteurs puissent tenir ce standing si compliqué à tenir. Il y a un paradoxe qui veut que les parents se sentent le devoir d’être de plus en plus parfaits, mais doivent le faire de plus en plus seuls.
► Ce qui peut soutenir les parents ?
La parole se libère. Des parents mettent des mots sur leurs difficultés. Des initiatives de soutien à la parentalité voient le jour comme les espaces rencontre parents-enfants. Pour Gérard Neyrand, ce genre d’espace est précieux. « Ces lieux participent à mettre en confiance les parents qui ne se sentent pas soumis au jugement. Dans ces espaces, les professionnel·les sont vraiment dédié·es à l’accueil et dans une attitude de proximité ».
Dans la foulée de l’enquête, Yapaka a eu aussi à cœur de mettre en avant les ressources et la créativité des parents face aux difficultés. Une série de capsules vidéo partagent des témoignages de parents qui s’expriment sur ce qui leur a permis de garder ou sortir la tête hors de l’eau. Elles sont à retrouver sur yapaka.be sous l’onglet #cequimaaidé.
► À (re)lire
Nés dans les années 80, dans la mouvance des maisons vertes créées par Françoise Dolto en France, les lieux de rencontre enfants et parents ont essaimé partout à Bruxelles et en Wallonie. Aujourd’hui, l’ONE en recense près de deux cents.
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