Loisirs et culture

Elisa Sartori : lire peut faire souffrir

« Je vous le dis tout net : ce livre est une revanche sur tous ces bouquins qu'on m'a offerts dans la vie. La vie pure et dure d'une dyslexique qui n'a pas réussi à lire décemment avant ses 10 ans. »

Ces lignes ouvrent le petit livre publié par Elisa Sartori, L’art de ne pas lire (tout public à partir de 12 ans). Celui-ci inaugure la collection Les baladeurs, de la maison d’édition belge CotCotCot. Et elle ajoute : « Un livre est-il le meilleur des cadeaux ? Qu’en faire lorsqu’il est cause de souffrance et de malentendus ? ». Au Ligueur, nous aimons vous parler de livres jeunesse, promouvoir la lecture. Mais quand une autrice-illustratrice jeunesse nous dit qu’elle peut faire souffrir, nous sommes interpellés. Ni une, ni deux, nous retrouvons l’artiste chez elle, à Ixelles.

L’art de ne pas lire

Rencontrer Elisa Sartori, c’est rencontrer un petit bout d’Italie. Son français coloré, sa gestuelle, son sourire parlent pour elle. Née en Italie, venue chez nous à 22 ans, l’écrivaine belge (elle insiste sur le qualificatif) égratigne avec ce pamphlet le sacro-saint livre, mais fait la part belle à cette « grande forme en mouvement » qu'est la lecture. Et propose plusieurs solutions pour le moins inattendues…
Son titre est une chouette main tendue à ceux et celles pour qui la lecture n’est pas une évidence, dont les dyslexiques. Elisa Sartori reconnaît sa chance. « Ma mère est enseignante et a remarqué très vite que j’étais différente de ma sœur aînée qui a parlé tôt. Moi, j’ai commencé à parler vers 3 ans. J’étais communicative, j’arrivais à me faire comprendre sans les mots. Mais l’entrée à l’école primaire a été une vraie catastrophe ».
Il a fallu du temps pour mettre le mot dyslexie et la petite Elisa ne lira qu’à 10 ans. « Je suis encore dyslexique, mais, avec l’aide de ma mère, j’ai mis en place tous des petits escamotages (comme elle dit) pour m’en sortir ». Malgré son intelligence, son travail, sa détermination et le soutien de sa famille, sa vie scolaire en Italie est rude. « J’ai souvent été traitée de feignante. C’était douloureux de ne pas être crue quand je disais que j’étais dyslexique ».
Heureusement, sa famille l’encourage, parle de ses difficultés, en rit parfois. Même si la dyslexie a aussi perturbé leur relation. « À un moment, j’ai détesté ma mère parce qu’elle était toujours sur mon dos. Je ne pouvais plus la voir, car je l’associais à ce qui me faisait mal. C’est dur d’avoir besoin d’aide. Aujourd’hui, je la remercie bien sûr ». Sa mère et sa sœur ont depuis ouvert une école de devoirs avec une approche spécifique de la dyslexie, « pour sauver les rapports de famille ».

« J’ai appris à vivre avec mes échecs et mes rythmes. C’était très dur, mais j’ai pris sur moi »
Elisa Sartori

Quelques succès vont aussi l’aider à renforcer son caractère et sa confiance en elle : être choisie comme cheffe scoute alors qu’à l’école elle était toujours dernière, travailler dès ses 16 ans comme serveuse, réussir sa licence de maître-nageuse, etc. Inscrite dans une école d’art à Venise, elle rêve d’un Erasmus, mais ses capacités linguistiques ne le lui permettent pas. Elle décide de réaliser son propre Erasmus et arrive à Bruxelles pour travailler et poursuivre sa formation artistique. « J’ai appris à vivre avec mes échecs et mes rythmes. C’était très dur, mais j’ai pris sur moi. Pour arriver à t’en sortir, tu deviens très maline », dit-elle avec fierté.

Je connais peu de mots

Ses débuts artistiques sont fulgurants. Son livre accordéon, Je connais peu de mots (CotCotCot, 2021), remporte le Prix de la première œuvre en littérature jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce leporello se déplie en huit volets et se lit recto verso à l’infini. Un objet d’art, hybride, autant pour adulte que pour jeune, où elle approche l’insécurité langagière dans une autobiographie fictionnelle.
« J’ai essayé d’écrire le livre que j’aurais voulu lire petite, qui ne m’aurait pas fait peur, avec peu de mots, des blancs et des illustrations », explique Elisa Sartori. Un vrai bonheur… de lecture, léger, drôle, intelligent.
​L’activité artistique d’Elisa Sartori s’est déployée ces derniers temps. Récemment, elle a illustré le texte À hauteur d'enfant de Lisette Lombé (CotCotCot, 2023) avec son collectif de street art 10emeARTE. Collectif cocréé avec Almudena Pano, car « j’aime m’entourer et échanger à propos de mes livres avec ma mère, ma sœur, mon éditrice, mes copines de l’Académie... ». Les œuvres de 10emeARTE ornent des murs de la capitale, de Mons, de Dinant, etc. Elle a écrit récemment le texte de l'album Les polis Topilins (Thierry Magnier, 2023), illustré par Nina Neuray. Elle anime aussi des ateliers La plume au bout de la langue, coordonnés par la Direction de la langue française, qui invitent élèves et apprenant·es à s’approprier la langue de manière ludique et créative. 

EN SAVOIR +

  • En ligne : Elisa Sartori lit Je connais peu de mots
  • ​Expo : J’ai déjà réussi à te dire tout ça. Exposition itinérante conçue par Elisa Sartori et Dina Melnikova à partir de Je connais peu de mots. Bibliothèques, centres culturels, écoles peuvent l’emprunter gratuitement. À Liège, du 11 mars au 26 avril, à la Haute École Charlemagne (Contact : 0474/72 86 75).
  • Atelier créatif : le 13 mars, avec 10emeARTE dans le cadre de Tournai, Ville en Poésie.
  • Et pour la suivre : 10emearte.be ou sur Instagram : elisa.sartori.autrice

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