Développement de l'enfant

Et si on laissait nos bébés manger avec les doigts ?

À l’ère des panades bien mixées, certains parents naviguent à contre-courant et proposent à leurs enfants de manger directement des morceaux de nourriture mous avec leurs doigts. Bonne idée ou nouvelle mode farfelue ? Le Ligueur s’est renseigné en cuisine.

Exit les cuillères et mixers, les doigts servent de couverts. La diversification menée par l’enfant (ou DME pour les connaisseurs) propose de donner des morceaux de nourriture (surtout des légumes cuits à la vapeur, au début) de la taille du poing de l’enfant qu’il peut attraper et grignoter à sa guise.
Les règles à respecter sont simples : l’enfant doit tenir assis seul, manifester un intérêt pour la nourriture et l’ordre des schémas d’introduction alimentaire doit être respecté. Pas question donc de donner un cookie à un nourrisson de 2 mois, mais bien un brocoli cuit sous forme de petit arbre à un bébé de 6 mois qui en manifesterait l’envie. Dernier principe de la DME : on ne force jamais l’enfant à manger quoi que ce soit, et tant pis s’il se nourrit exclusivement de pommes de terre pendant une semaine.

Pratique pour des multiples

Vu de l’extérieur, la méthode est intrigante et risque d’être salissante. Mais pour les parents adeptes, les avantages sont nombreux. « Mon petit dernier a été diversifié par la DME. À 8 mois et demi, il mange de tout. Ce midi, c’était coquillette, haricots verts, pomme de terre, compote et yaourt au dessert. Le gros avantage, c’est qu’il est autonome. Il a très vite appris à différencier ce qu’il peut manger ou pas. S’il ramasse un caillou par terre, par exemple, il le mettra en bouche et le recrachera très vite, car il sent qu’il ne peut pas le couper en plus petits morceaux. Il est autonome aussi car il mange à sa faim, il sait ce dont son corps a besoin. Un petit pot tout fait ne répond pas plus à ses besoins en féculents ou en protéines. Pour l’instant, il mange beaucoup de féculents. Mais comme il est très tonique, il en a certainement l’utilité », témoigne Géraldine, maman de trois enfants.
« Pour moi, c’est la suite logique de l’allaitement à la demande, explique Gaëlle, maman de jumeaux de 18 mois. Ça a un côté très pratique aussi. Parce que donner à manger à des jumeaux en même temps sans en éborgner un, ce n’est pas simple. Ici, je cuisine la même chose pour toute la famille et on mange tous en même temps. Les jumeaux mangent un peu avec les doigts, un peu avec la fourchette pour faire comme nous et parfois avec la cuillère. »

Une bâche sous les pieds

Évidemment, quand on laisse faire des tout-petits pas encore précis dans leur motricité, il y a parfois autant de morceaux sur le sol que dans les estomacs. « Oui, ils en mettaient partout au début », confirme Gaëlle. Et la jeune maman de raconter, un sourire dans la voix : « La crème au chocolat, par exemple, a été une très mauvaise idée. Mon fils était tout barbouillé et voulait attraper son papa avec ses doigts pleins de chocolat. Ma fille a trempé juste un doigt et puis voulait qu’on le lui frotte. C’est vrai qu’après chaque repas, je lave ma cuisine. Et quand on dîne chez des amis, on prend une toile cirée avec nous à glisser sous les chaises des petits. »
Raconté ainsi, cela paraît plutôt fun. Mais que pensent les pros de cette méthode de diversification ? « On peut laisser à l’enfant le plaisir de découvrir la température, l’odeur, la couleur et la texture de la nourriture. S’il plonge ses deux mains dans son assiette, il ne faut pas en faire un drame. Manger avec les doigts peut même prévenir l’obésité, car les enfants prennent le temps d’examiner ce qu’ils mangent et mangent à leur aise. Néanmoins, je conseille de toujours laisser des couverts à table, à disposition des enfants. Il y a un équilibre à trouver, ne pas bannir les couverts, ni interdire la découverte », répond Marie-José Mozin, une pointure en diététique pédiatrique en Belgique.

Après 4 mois et avant 6 mois

Manger avec les doigts ne serait donc pas forcément une mauvaise idée. Par contre, laisser l’enfant choisir quand il a envie de goûter autre chose que du lait (maternel ou de croissance) plaît beaucoup moins à cette spécialiste.
« Les pédiatres nutritionnistes de la société européenne de gastrologie pédiatrique ont défini un moment indiqué pour commencer la diversification alimentaire. Cette fenêtre se situe entre les 4 et 6 mois du bébé. Avant, c’est beaucoup trop tôt. Et après, on augmente les risques d’allergies ou d’intolérances (au gluten, par exemple). Dans cette fenêtre, à partir du moment où la diversification a été décidée par le pédiatre, on peut laisser un espace de liberté. C’est important de faire confiance au pédiatre, car lui seul peut évaluer si l’enfant est prêt à la diversification : il vérifie si l’enfant tient bien sa tête, s’il ne risque pas d’être sujet à une fausse déglutition », précise-t-elle.
Lorrie Quarta, autre diététicienne pédiatrique, applaudit l’écoute de l’enfant prônée par la DME en ne le forçant pas à finir son assiette. Mais elle tique sur le choix des aliments laissés au bébé. « La qualité nutritionnelle des premiers repas est primordiale. En début de vie, un enfant a besoin de beaucoup d’énergie. S’il ne se nourrit que de légumes ou de protéines, une malnutrition peut vite arriver. D’où l’importance de privilégier l’allaitement maternel qui apporte, à côté des repas, tout ce qui est nécessaire à l’enfant. Les premiers repas de bébé doivent être composés de pommes de terre et légumes cuits, de préférence à la vapeur, accompagnés de matière grasse crue : 2 à 3 cuillères à café d’huile végétale à alterner avec du beurre, de temps en temps. »
Elle trouve également que la cuillère est plus adaptée à la morphologie d’un tout-petit. « À 4 mois, le bébé n’a plus le réflexe d’extrusion, il va commencer à creuser la langue et peut donc accepter la petite cuillère. Par contre, il n’acquiert les mouvements masticatoires que vers 9 mois. Avant cela, il n’est pas prêt », estime-t-elle.



E. W.

En pratique

Quelques conseils pour manger avec les doigts sans cata…

  • Commencer la diversification entre 4 et 6 mois, après avis du pédiatre, conseille Marie-José Mozin, diététicienne pédiatrique (www.cede-nutrition.org).
  • Allaiter ou donner de l’eau à l’enfant avant et après le repas, conseille une maman. Comme ça, si un morceau passe mal, il ressort plus facilement.
  • Ne pas proposer de trop grandes quantités pour éviter que l’enfant ne jette trop par terre. Le servir avec parcimonie, un peu à la fois, mais à volonté tant que l’enfant en demande. Un conseil de Solenne, maman et administratrice d’un groupe Facebook dédié à la DME.
  • Participer à un atelier délivré par la Croix-Rouge sur la réanimation pédiatrique. Si on sait comment réagir, en cas d’étouffement par exemple, on est moins anxieux.

COUP DE GUEULE

On fuit la tétine filet 

À l’autre extrême des parents qui laissent manger leurs enfants uniquement avec les doigts, il y a ceux qui se laissent tenter par des gadgets pas toujours utiles.
Sont pointées du doigt les tétines filets et les « tuttes » à réservoir, appelées aussi sucettes d’alimentation ou machouillettes. Vendues comme un super-moyen de présenter de la nourriture à un bébé sans risque d’étouffement, c’est une source de caries dentaires. Côté diététique aussi, on s’insurge : « C’est un apport calorique en plus, tout à fait inutile, nous répond la diététicienne Lorrie Quarta, et ça entretient le grignotage entre le repas ». Beurk !

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