Vie pratique

Évoquer la lame agite. Faites le test. Parlez circoncision lors d’un dîner entre amis, juste pour voir. J’ai abordé la question, et j’ai été servie ! Totalement en faveur ou farouchement contre, parce que c’est la coutume ou pour raisons médicales, consentants mais secrètement coupables : pour les parents, le débat se complique lorsqu’il s’agit de leur enfant.
Avant d’aller plus loin, dépassionnons le débat. En Belgique, l’Inami estime que plus de 25 000 petits garçons sont circoncis à l’hôpital chaque année, un chiffre en hausse, parallèlement à l’augmentation du nombre des naissances. Comme en atteste sa racine latine circumcisio (couper autour), l’opération consiste en l’ablation totale ou partielle, chez l’homme, de la peau du prépuce, qui recouvre ou dépasse le gland du pénis. Attestée depuis des millénaires, elle est pratiquée dans le monde entier pour raisons religieuses, culturelles ou traditionnelles, thérapeutiques, hygiéniques, prophylactiques et même, de plus en plus, simplement esthétiques.
Transmission, appartenance au groupe : dans la religion juive, la circoncision est obligatoire et pratiquée de façon rituelle le huitième jour après la naissance, par un chirurgien spécialisé, le Mohel. Elle a lieu plus tard pour la grande majorité des musulmans, entre 5 et 8 ans. Elle n’est pas inscrite dans le Coran mais relève de la tradition, la sunnah, et marque l’appartenance à la communauté des croyants. Rite de passage, elle est largement pratiquée en Afrique sub-saharienne, et par mesure d’hygiène préventive aux États-Unis et dans d’autres régions du monde.
L’intervention chirurgicale se fait sous anesthésie générale, régionale ou locale, selon les indications du médecin. Quand elle est réalisée pour raison médicale, on parle de posthectomie, l’ablation du prépuce en cas de phimosis (impossibilité ou difficulté à décalotter le prépuce sur le gland du pénis) lorsque d’autres traitements n’ont pas fonctionné, ou de paraphimosis (impossibilité de replacer le prépuce, qui s’accompagne de douleurs sévères).
D’autres enjeux de la circoncision
La société évolue, et bien que soient reconnues et défendues les libertés religieuses et culturelles, des voix de plus en plus nombreuses questionnent cette pratique. Le Conseil de l’Europe a assimilé la circoncision à une violation des droits de l’enfant. L’association française Droit au corps s’inscrit dans la lignée du mouvement intactiviste né aux États-Unis, qui estime que chaque être humain a le droit à l’intégrité physique, donc génitale, et qui milite contre la circoncision non consentie, considérée comme une mutilation sexuelle.
Des parents de plusieurs pays remettent en question la tradition, y compris en Israël et dans les pays musulmans. Fabienne Richard, directrice du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines (GAMS- Belgique), raconte que l’association fait face depuis quelques années à des interpellations accrues d’hommes souffrant des conséquences de leur circoncision.
« Chez nous, il n’existe pas encore d’associations de soutien pour ces personnes. Ils ont parfois gardé le silence de longues années. Certaines interventions ont des conséquences douloureuses. Des études indiquent que le prépuce a un rôle physiologique de protection et une fonction dans la sexualité, étant une zone très innervée. Il faut les écouter, ne pas évacuer leur douleur d’un revers de la main. »
La société évolue, et bien que soient reconnues et défendues les libertés religieuses et culturelles, des voix de plus en plus nombreuses questionnent cette pratique
Éthique et remboursement
Le Comité consultatif de bioéthique a rendu, en mai 2017, ses conclusions. Saisi par le comité d’éthique médicale des hôpitaux Iris-Sud, il devait déterminer s’il était justifiable de cautionner la circoncision en la pratiquant à l’hôpital en dehors de toute indication médicale, par mesure préventive, si elle pouvait continuer à être prise en charge par la sécurité sociale et enfin, si la loi pouvait traiter différemment la circoncision masculine et l’excision féminine, qui est interdite.
« Il y a divergences de perception sur ces questions, dans le monde et au sein du Comité, explique Robert Rubens, co-président de la Commission restreinte qui a auditionné les experts de tous bords. Nous avons considéré le problème sous tous les angles. Les États-Unis y sont favorables, estimant qu’elle permet d’éviter des infections futures. En Europe, nous sommes plus circonspects quant à la prévention : les risques d’infection ne justifient pas cette intervention. Dans les régions à forte prévalence du VIH, l’OMS et ONUsida la préconisent afin de réduire les risques de contamination : elle n’a pas de raison d’être en Europe, et le préservatif reste le meilleur moyen de lutter contre la propagation du virus. Restent les questions culturelles, anthropologiques et religieuses, sur lesquelles nous nous sommes penchés avec attention. En conclusion, le Comité a estimé que les mutuelles ne devraient pas intervenir pour les circoncisions qui ne sont pas justifiées médicalement. »
Un débat qui se poursuivra peut-être, mais quelles que soient les convictions et croyances de leurs parents, les petits garçons peuvent toujours être circoncis à l’hôpital, avec toutes les garanties d’hygiène et de sécurité.
► À quel âge peut-on circoncire ?
« Il n’y a pas d’âge idéal pour circoncire, il y a des prises en charge idéales, c’est-à-dire adaptées à chaque âge ». Interview de Stéphane Luyckx, urologue à l’Hôpital des enfants Reine Fabiola de Bruxelles.
« Je préconise deux temps pour la circoncision : avant 6 semaines ou après 1 an. Chez le nourrisson, l’intervention se fait sous anesthésie locale. Si cela n’a pas été fait avant l’âge de 6 semaines, il faut attendre et intervenir sous anesthésie générale après qu’il ait atteint 1 an. Avant cet âge, il est exclu de prendre des risques, c’est trop dangereux. Les parents sont souvent mal informés et craignent l’anesthésie générale alors qu’elle est totalement sûre : ils soumettent alors leur·s enfant·s à des souffrances inutiles. »
Comment se déroule l’intervention ?
« C’est une opération simple, que l’on pratique en chirurgie de jour. Nous gardons les petits en observation une heure ou deux pour s’assurer qu’il n’y a pas de complications, puis ils rentrent chez eux. Les complications à craindre sont généralement bénignes : des petits saignements, qui concernent 0,5 % des enfants. »
Il est circoncis : et après ?
« Les suites de l’intervention ne sont pas faciles pour l’enfant. Il a mal, il faut prendre en charge correctement cette douleur. Un bébé fait pipi dans ses langes, ça irrite, ça pique. Il faut suivre un bon traitement anti-douleur pendant une semaine à la maison, et nous voyons alors l’enfant pour une visite de contrôle, vérifier que la suture cicatrise correctement, que les fils se sont bien résorbés. »
Votre conseil aux parents ?
« Il est essentiel que l’enfant soit respecté lors de cette intervention : elle doit être réalisée dans les meilleures conditions de sécurité et d’analgésie possibles. Évitez les opérations faites dans des cabinets de ville sous anesthésie locale : cela peut s’avérer traumatisant pour les petits garçons. Une chose, cependant : il vaut mieux ne pas circoncire un enfant qui apprend à être propre. Entre 2 et 3 ans, si leur zizi est douloureux, ils risquent de régresser ! »
POUR OU CONTRE
Réflexions autour de la table…
Pour
- « C’est un acte de foi, c’est la coutume dans ma religion, ma culture. C’est très important pour moi, impossible à ignorer. »
- « Je trouve normal que mon fils ait le même sexe que moi, que tous les hommes de la famille. Et puis, c’est plus hygiénique, ça évite les infections ! »
- « Nous avons pris la décision avec le pédiatre, car il était difficile de décalotter Martin, la peau ne se décollait pas, il souffrait beaucoup. »
Contre
- « Mes parents étaient horrifiés, mais j’ai tenu bon. Culture ou pas, j’estime que c’est à mon fils de choisir, il le fera plus tard s’il le souhaite. »
- « J’ai cédé, mais dès le moment où je l’ai entendu pleurer, j’ai regretté. Je culpabilise encore aujourd’hui, alors que c’est un grand gaillard et qu’il ne s’en est jamais plaint ! »
- « Je ne vois pas où est le problème : on apprend à nos enfants, filles ou garçons, à bien se laver. Il suffit de leur montrer, non ? »
EN SAVOIR +
Des sites pour vous aider
- Droit au corps
- Pour les ados qui se posent des questions sur leur pénis : phimosis-abc.eu
- Le GAMS a des bureaux à Bruxelles, à Liège et à Namur.
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