Vie pratique

« Être parent, c’est un élan d’amour… à côté, non ? »

Subtilité. C’est le premier mot qui nous vient à propos de la rencontre avec Marie de Chassey. Pour son premier roman, la jeune femme s’attaque tout en pudeur à la relation mère-fille, et au manque de compréhension qui en découle. On en ressort presque rassuré. Et si se planter nous permettait de mieux avancer vers nos enfants ?

On ne va pas vous le dissimuler, Marie de Chassey est une copine. De ces rencontres qui vous marquent. Que l’on n’oublie pas, même à distance. Mais si nous lui ouvrons les colonnes du Ligueur, ce n’est pas par népotisme. Pour son premier roman Ce qu’il reste à faire (Alma), salué par la critique de l’autre côté de la frontière chez nos cousin·es français·es, l’autrice s’attaque courageusement à un mécanisme pernicieux de la relation parent-enfant. Comment on se comprend. Comment on croit cerner les attentes de l’autre. Son désir. Ses envies. Comment on les anticipe et au nom de quoi. Pour ce faire, Marie de Chassey part de la pire situation qui soit pour un parent, celle où une maman accompagne sa fille d’une vingtaine d’années au chevet de la mort.

Comprendre pourquoi on ne se comprend pas

Lourd ? Pas du tout. Ce qu’il reste à faire n’est pas un roman qui traite du deuil. Ici, la maladie, la mort qui rôde servent de prétexte à autre chose. Marie rembobine : « Je voulais partir de la pire des situations qui soit pour m’attaquer à cette grande question qui est mon principal sujet de questionnement dans la vie : comment être à l’écoute du désir de l’autre ? ». Sacré chantier à entreprendre pour une jeune femme qui se consacrait à la musique. Elle a arpenté la capitale, armée d’un vélo et d’une flûte, partagée entre l’enseignement au Conservatoire et les concerts baroques. À bonne distance des orchestres qu’elle fuit souverainement.
Puis, petit à petit, naît une prise de conscience. « Je n’avais rien à y dire. J’ai le sentiment que tout a été interprété, réinterprété. Je m’y emmerdais ». Une rencontre avec le prodigieux Eugène Green, l’auteur-réalisateur au regard poète et politique, l’inspire. Marie s’oriente  vers le cinéma. Famille qu’elle intègre petit à petit en tant que scripte. Puis, dès que son métier et son fils de 13 ans - qu’elle élève seule - le lui permettent, elle noircit des carnets. De nouvelles, d’abord, puis de romans fantômes jusqu’à Ce qu’il reste à faire qui fait mouillage aux éditions Alma.
Un roman habité par une obsession, donc : celle de comprendre pourquoi il est si difficile de se comprendre. « J’ai le sentiment que dans n’importe quelle relation, on prend trop de raccourcis. L’autre ? Il est comme ci, comme ça, a besoin de ci, a besoin de ça. C’est facile. Véritablement saisir l’autre, quel enjeu. Quelle complexité. Quel paradoxe, aussi. On ne peut pas faire sans. On ne peut pas vivre sans. Pourtant, on fait rarement l’exercice d’aller vraiment vers lui ».

« Le seul moyen d’avancer, c’est d’être à l’écoute. De ne pas rester là, à s’enfoncer dans un ensemble de certitudes »
Marie de Chassey

Autrice de « Ce qu'il reste à faire »

Pour regarder cette complexité bien en face et mieux la décrypter, il n’y a pas meilleur terreau que la parentalité. L’histoire se déroule à huis clos. Elle met en scène Florence, qui accompagne sa fille unique dans son dernier voyage en soins palliatifs à domicile. Elle veut profiter des derniers instants de son enfant, la combler, quitte à devancer tous ses désirs afin de la rendre la plus heureuse possible et lui offrir les meilleures conditions possibles dans l'appartement de son enfance, jusqu’à l’absurdité.
Seulement, obnubilée par ce qu’elle croit être son devoir de mère, elle ne saisit pas combien sa fille, encombrée par ses souvenirs, souffre d'être chez elle. Elle souhaite en finir. En finir avec ses souffrances. En finir avec ce cocon tout sauf sur mesure. Se met alors en place un véritable chemin d’indicibilité. Elles ne font plus ce chemin l’une vers l’autre. Le mot clé ? Abnégation, avec contrôle absolu dénué de remise en question côté mère et volonté de ne pas entraver l’autre côté fille.

On est sur des sables mouvants

On imagine aisément qu’une fois le pitch énoncé, l’autrice a dû faire trembler jusque dans sa propre famille. Un livre règlement de compte ? En réalité, ce sont d’abord les mécanismes de sa propre maternité que Marie de Chassey a voulu mettre en scène. L’autrice a d’abord écrit son ouvrage en épousant le point de vue de Judith, la fille.
« Mais plus j’avançais, moins je me sentais légitime. Donc malhonnête. Je suis finalement plus proche de Florence, la mère. Une fois maman, je me suis rendu compte à quel point je pouvais tomber dans des schémas que je n’aurai jamais cru un jour adopter. Sous prétexte du besoin de l’autre. Comme il est difficile d’accepter que l’autre nous échappe. En tant que parents, nous sommes sûrs et certains de connaître les besoins et les désirs de nos enfants. D’y être connectés. Le plus souvent sans les interroger. C’est précisément cela que je voulais raconter. Pour ce faire, j’ai donné le moins de détails possible sur les personnages. Je ne voulais surtout pas que les lecteurs et lectrices se disent : ‘C’est leur histoire, ça ne me regarde pas’. Chacun peut être et se reconnaître dans chacune des protagonistes. C’est une pure fiction. Pas un témoignage, ni une façon de faire la leçon à qui que ce soit. Chacun peut se retrouver dans les personnages. »
Ce qui la fascine à hauteur de parent : le fait qu’on puisse tant aimer, et que cet amour nous conduise si souvent à commettre des erreurs. Elle le dit de façon presque déculpabilisante : « Être parent, c’est quoi que l’on fasse, la garantie qu’on va merder. C’est un élan d’amour… à côté. Et je pense que c’est éminemment propre à la parentalité, non ? ». Si. Nous aussi, au Ligueur, on aime l’entonner cet hymne à l’imperfection.
On le redit, la mort et la maladie servent au départ à exacerber la relation. Mais l’actualité rattrape toujours la fiction et le roman sort pile en plein débat sur la fin de vie dans cette France un poil conservatrice. Débat vite tombé aux oubliettes face à l’actualité internationale, même si la proposition de loi devrait être votée prochainement à l’Assemblée Nationale. Ce qui n’empêche pas Marie de Chassey d’être interrogée régulièrement à ce sujet. L’occasion pour elle de mettre en lumière la véritable source d’inspiration de son roman, sa petite sœur, infirmière en soins palliatifs dans le très agité département de la Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne.
« Plus qu’un métier, c’est un engagement. Ça me fascine, explique notre portraitisée du jour. Hors de question pour moi de rentrer dans le débat visant à affirmer le libre choix de la fin de vie. En revanche, ce qui m’intéresse, c’est de parler des unités de soins palliatifs, véritables lieux de vie, aussi importants pour les personnes qui y sont accueillies que pour leur famille. Dont les ressources économiques ont drastiquement chuté, ce qui est à mon sens préoccupant. Plus que le débat autour de la mort qui ne devrait même pas patiner de la sorte. »
La romancière nous explique que sa sœur l’a justement aidée à trouver les termes adéquats pour le personnage de l’infirmier qui, à chaque apparition, va articuler le récit. Tout en restant à sa place, il va faire avancer la relation entre la mère et la fille. Petit à petit, Florence accepte son impuissance et sa résignation. Là où Judith s’autorise à dévoiler quelles sont ses véritables envies.
Qu’est-ce que tout cela dit de la relation parent-enfant ? Quand les rapports sont vissés, que l’on ne se comprend plus ou que l’on ne fait plus l’effort de se comprendre. Quand l’autre est figé à une place bien précise et n’en bouge plus. Quand on a le sentiment de ne plus faire évoluer la relation parent-enfant quel que soit l’âge. Quand on ne fait plus chemin l’un·e vers l’autre, comme le décrit ce roman. Heureusement, tout peut se dénouer. Tout peut redevenir possible, grâce à une intervention extérieure, un regard en dehors. La vision d’une tierce personne peut permettre de retrouver une bonne distance.
Ce n’est pas un manuel, une recette sur la façon de faire. Ce n’est pas une ode à l’espoir non plus que nous livre Marie de Chassey dans son premier effort. Mais bien une incitation à la mobilité. Un encouragement à ne pas se figer. « Rien d’éprouvant ici, nous dit-elle. On est sur des sables mouvants. Le seul moyen d’avancer, c’est d’être à l’écoute. De ne pas rester là, à s’enfoncer dans un ensemble de certitudes. C’est captivant au final. Nous sommes toutes et tous comme ça. Nous avançons ainsi. C’est comme ça que naît le mouvement. Le mouvement vers l’autre ».
La relation à l’autre, un mouvement… Voilà qui donner envie d’avancer, non ?

ZOOM

Les conseils lecture de Marie de Chassey

  • Vivant jusqu’à la mort de Paul Ricœur (Seuil).
  • Les débuts. Par où commencer ? (Autrement) ou encore Être à sa place (Le Livre de Poche) de Claire Marin.
  • Danser sur tes braises et Six décennies d’Ananda Devi (Bruno Doucey).

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