Crèche et école

EVRAS : un vote historique

Ils sont plusieurs à l’avoir clamé au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, hier : « c’est historique ». Nous avons suivi tous les débats qui ont précédé le vote instituant des séances Évras (Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle) mieux encadrées dans les écoles. Ces débats ont été riches. Parfois pertinents, parfois éloignés des réalités du terrain. Mais une chose est sûre, avec le vote survenu hier : l’école se dote d’un précieux outil qui jouera son rôle en matière de prévention des violences sexuelles, de vie en collectivité et même de lutte contre la désinformation. Retour sur un vote qui s’est accompagné de slogans anti-Évras scandés dans la rue.

Voilà des semaines que l’on suit les différents groupes anti-Évras qui font entendre leur voix dans ce dossier. Campagne de désinformation. Pétition. Question posée : quelle mobilisation allaient-ils susciter ce jeudi 7 septembre ? Et pour quelle conséquence ? Nous nous y rendons. En compagnie de Lola Clavreul, directrice de la FCPPF, qui, précédemment, nous a notamment donné l’occasion d’assister à des séances dans les classes, dans tous les milieux, dans les tranches d’âges. C’est d’ailleurs une chose que l’on déplore régulièrement. Au-delà des débats, des opinions, des prises de positions… combien sont-ils, combien sont-elles à savoir réellement de quoi il est question ? Combien savent comment se déroule une séance Évras ? Pas beaucoup en vérité…

À lire pour mieux comprendre l'Évras

Le S de sexualité

Les polémiques ? Elles s’articulent, grosso modo, sur trois points du guide Évras (colonne vertébrale pour les professionnel·les du secteur et des profs) épinglés parmi les 500 pages qui le compose. Deux formulations maladroites et un passage inadéquat sur les sextos ont d’ailleurs clairement et purement été retirés. Malgré cela, les discussions autour de cet outil se poursuivent. Des interprétations fallacieuses continuent de circuler.  Jeudi matin, jour du vote, la ministre de l’Éducation, Caroline Désir, réaffirme sur les plateaux des médias qu’il est hors de question, comme le laissent entendre certaines fake news, de montrer des images pornos aux enfants. Hors de question, aussi, de tenir des propos qui ne soient pas adaptés à leur âge. Hors de question de susciter une quelconque orientation sexuelle, de remettre en question les identités de genre.
Si le « S » d’Évras est source de discorde, il révèle aussi, en creux, à travers les débats qu’il suscite toute l’important d’informer, d’accompagner et de faire de la prévention auprès d’enfants qui n’ont nulle part où déposer toutes les interrogations en ce qui concerne ces sujets si importants. Vous le savez, le parent n’est pas toujours le mieux outillé pour aborder toutes ces problématiques. Et ce n’est pas grave, tant qu’il sait qu’un référent ou une référente assure ce rôle. L’Évras peut-être un de ces leviers. Il ne prive pas le parent de toutes ces discussions. Au contraire, souvent il permet d’aborder tout cela, de façon plus cadrée, moins brute, moins frontalement.

« Dégage Caroline »

Revenons devant le parlement, ce jeudi 7 septembre. Dans la rue, des centaines de personnes (700-800 selon les autorités sur place qui ne s’attendaient pas à un tel déferlement et nous confient qu’elles sont dépassées) ne l’entendent pas comme ça. Pour elles, l’Évras s’assimile à une menace. Il y a des organisations étiquetées conservatrices. Des fédérations islamiques ont aussi mobilisé beaucoup de parents. Des mamans surtout. Qui scandent à plein poumon des « touche pas à mon enfant » ou « Je suis parent et je dis non ».
On s’échange volontiers des infos entre passant·es. Une dame, dans la rue : « C’est quoi tout ça ? ». Un manifestant lui répond : « C’est parce qu’il y a une loi qui veut sexualiser nos enfants à l’école, il semble ». On l’interroge. Comment en a-t-il entendu parler, d’où tient-il ses informations ? Embêté, mais pas agressif pour un sou, il reprend : « Je l’ai entendu dire à l’école de mes enfants, on est très inquiet parce qu’il parait qu’ils veulent donner des cours de masturbation dès la maternelle ». On lui explique qu’il n’y a pas une ligne là-dessus sur les 500 pages qui composent le guide. Il est surpris. Ça ne l’empêchera de reprendre en chur les slogans avec ses camarades. « Dégage Caroline » reprennent-ils de plus belle.

« C’est grave de vouloir transformer les garçons en filles ou les filles en garçons »

Le fondateur d’Innocence en Danger, une des associations anti-Évras les plus actives, affiche une mine réjouie. On essaie de l’approcher pour lui demander quelle serait sa réaction le texte une fois voté ? Il refuse de nous répondre. Pas loin, des parents nous expliquent que « c’est grave de vouloir transformer les garçons en filles ou les filles en garçons ».
Un peu après, une chercheuse « indépendante » et un psychiatre « concerné » s’entretiennent avec Lionel Rubin du Centre d’Action Laïque, et lui expliquent que ce projet pédophile que l’école met en place est tout à fait préoccupant… La désinformation semble solidement ancrée dans certains esprits. Il reste visiblement tout un travail de terrain à mener pour rassurer les parents et certain·es professeur·es, ici présent·es. Il ne suffira pas juste de dire que l’on « fait confiance aux professionnel·les du secteur », comme ce sera répété pendant les discussions dans l’hémicycle parlementaire.

« On peut toujours faire mieux »

L’hémicycle justement, on arrive à y rentrer tant bien que mal, sous les huées de la foule. Les questions d’actualité se succèdent. Les un·es et les autres commentent ce qui se passe dans la rue. « Bon, ça se calme dehors », analysent les différents membres du cabinet. La tension redescend. Arrivent enfin les grandes lignes du texte. Delphine Chabbert, députée PS et rapporteuse sur le sujet, retrace les enjeux du décret. Le débat est riche. Parfois très précis. Parfois caricatural. La discussion est apaisée. Chaque parti précise l’importance de voter un tel accord de coopération. Loin des tensions de la rue, sans les oublier pour autant.
« On peut toujours faire mieux en termes de communication. Ce n’est pas notre texte qui a été mis en cause, mais bien une campagne de fake news », rejoue la ministre de l’Éducation. « Nos intentions sont nobles. On ne va évidemment pas encourager une hypersexualisation chez les jeunes, on ne va pas susciter une orientation sexuelle ou une identité de genre, on ne va pas donner de cours de pratiques sexuelles », répètent les intervenant·es.
’Évras est mise en place pour faire face à des réalités. Ainsi, enfants et ados font parfois circuler des contenus qui les dépassent. Là où la moyenne d’âge de visionnage à contenu pornographique est de 11 ans, l’Évras vient précisément proposer un cadre adapté aux jeunes et au milieu scolaire afin de les rassurer et les protéger de situations potentiellement dangereuses, voire traumatisantes.
Pour l’heure, moyennant une suspension de séance et quelques détails de procédure, le décret est donc adopté à l’unanimité moins trois absentions dans les rangs des Engagés. 85 000 élèves en Wallonie et 25 000 élèves à Bruxelles. En 6e primaire. En 4e secondaire. Deux heures par an. Deux heures. Deux heures et beaucoup d’agitation autour. Les étapes d’après ? Continuer et dialoguer. Le but de ces animations, n’est-il pas, comme l’affirmait la députée Delphine Chabbert de bien éveiller les corps et les esprits ? Cela vaut bien un investissement en explications, non ?   

DANS LE LIGUEUR

On va plus loin

L’Évras va certainement sortir du radar médiatique. Ce qui est sûr, c’est qu’au Ligueur, on poursuivra la réflexion dans un dossier qui reviendra sur l’histoire de ces animations, leur utilité. On y démontera aussi certaines idées reçues ou rumeurs infondées, on répondra à certaines inquiétudes tout en transparence et nuance. Rendez-vous dans votre boîte aux lettres ce 11 octobre pour ce numéro spécial.

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