Loisirs et culture

Françoise Wallemacq, reporter de guerre à hauteur d’enfant

Dans Raconter la guerre (Bayard, 2023), Françoise Wallemacq, journaliste à la RTBF, éclaire avec des mots simples et avec sincérité son métier de reporter de guerre, hier en ex-Yougoslavie, en Afghanistan ou en Syrie, aujourd’hui en Ukraine. Un petit livre précieux destiné aux enfants, mais pas que.

La rencontre se passe autour d’une tasse de thé, dans un établissement cosy proche de la rédaction du Ligueur. Au fil de l’échange, les souvenirs s’éveillent. C’est qu’à nos débuts en journalisme, interviewée et intervieweuse, nous avons pratiqué quasi en parallèle cet exercice passionnant d’expliquer l’actualité aux enfants.
Françoise Wallemacq, c’est une voix de la RTBF. Un débit accéléré unique – « Je viens d’une famille nombreuse où on te coupait tout le temps la parole ; c’est pour cela que je parle vite ». Une journaliste multimédia qui ne cache pas sa préférence pour la radio. À son compte, plus de trente ans de métier. Si on la présente souvent comme une « grande reporter », elle se voit d’abord journaliste comme la plupart de ses collègues. « Certains prennent juste plus de risques que d’autres. Par exemple, moi, je n’ai pas d’enfant, je m’autorise à me rendre dans des pays en guerre. Mais si j’avais eu des enfants, je ne l’aurais pas fait ».
Raconter la guerre est la transcription (enrichie) d’une « petite conférence » qu’elle a donnée en octobre 2022 à un public d’enfants de 10 ans et plus au Théâtre Public de Montreuil. Le texte est complété par leurs questions et ses réponses. « Un essai modeste, basé sur mon expérience ». La journaliste s’est appliquée à se mettre au niveau des jeunes lecteurs et lectrices, « mais les adultes qui le lisent me disent qu’ils apprennent des choses et qu’ils sont touchés ». Nous aussi.
Cela ne l’empêche pas de s’inquiéter de ce que le texte soit « gnangnan ». « Je doute de moi en général. Je suis une fille. La légitimité des femmes, c’est un problème. On n’a pas été éduquées pour avoir confiance en nous. Et puis, j’ai un peu peur du regard critique de certains de mes collègues qui vont sur des terrains bien plus dangereux que ceux où je me retrouve. Je me rends dans des pays en guerre, mais jamais vraiment sur les lignes de front ».
Elle poursuit : « En m’adressant à des enfants, en écrivant ce livre, j’étais émue. Malgré mon peu de confiance en moi, je me suis dit : j’ai fait des trucs pas mal ! En fait, ce petit livre m’aide à me réconcilier avec moi-même ».

« Je partais de zéro, comme les enfants »

Retour sur ses débuts. Par un heureux concours de circonstances, de 1985 à 1988 (année où elle a réussi l’examen de journalisme à la RTBF), Françoise Wallemacq s’est occupée de Noubana News, un journal télévisé hebdomadaire de huit minutes destiné aux 8-12 ans dans l’émission jeunesse Nouba Nouba. « J’adorais ! Je faisais tout toute seule : la sélection des images, l’écriture des textes, la présentation… ».
Dès l’automne 1985, sous le pseudo de Nicolas Requilé (en hommage à un arrière-grand-oncle farceur), elle a aussi pris part (comme nous, quelques années plus tard) à l’aventure du Petit Ligueur, « journal sérieux réservé aux enfants » dans le Ligueur, et ce, sous l’impulsion du rédacteur en chef Marc Delepeleire. « Je trouvais le projet génial ».

« Pour moi, la meilleure école de journalisme, c’est de parler aux enfants »
Françoise Wallemacq

Reporter de guerre

Un pied à la télé, l’autre dans la presse écrite. La voilà traitant – un peu par hasard, donc – de politique extérieure, de politique intérieure, d’économie. « Pour moi, la meilleure école de journalisme, c’est de parler aux enfants », lâche-t-elle. Son enthousiasme fait écho en nous. « Parler aux enfants, c’est entre autres faire le résumé des épisodes précédents. Parce que, a priori, ils ne savent rien au départ. Si on prend le conflit israélo-palestinien, vous imaginez le bazar ! ».
Et Françoise Wallemacq de se souvenir : « À l’époque, j’étais toute jeune, je ne connaissais rien à la politique ou à l’économie. Je partais de zéro, comme les enfants. Je devais énormément me documenter pour chaque sujet. C’était un gros travail. Je devais moi-même très bien comprendre les choses avant de restituer un contenu compréhensible par des enfants ». Avec des mots simples. En évitant toute vision manichéenne. En visant la neutralité.
Résultat ? « Beaucoup de parents aimaient regarder Noubana News, car, avec cette séquence, ils disaient comprendre l’actualité. Quelle fierté ! », se réjouit la journaliste.

« Une guerre, cela peut commencer bêtement »

Raconter les bruits du monde aux enfants, c’était et cela reste capital pour la reporter. « Parce qu’ils baignent dedans, et même de plus en plus avec internet et les réseaux sociaux ». Conflits et catastrophes les intriguent. « Ils posent des questions, cela peut les angoisser de ne pas comprendre. En leur offrant des clés de compréhension, on leur permet une certaine prise sur la réalité, et cela leur fait moins peur. On leur parle de ce qui ne va pas, mais on leur explique aussi ce qui est mis en place pour que cela aille mieux – l’ONU, les Casques bleus, les ONG qui viennent en aide… On met en valeur des concepts comme la démocratie ou les élections. Tout cela est essentiel pour qu’ils ne restent pas dans un climat anxiogène, pour qu’ils éveillent leur esprit critique, pour qu’ils prennent conscience qu’ils vivent dans un pays qui se porte quand même assez bien », plaide Françoise Wallemacq. Nous voilà en plein journalisme constructif !
Concernant les conflits armés, « je leur montre qu’une guerre, cela peut commencer bêtement, comme dans une cour de récré où un grand chasse un petit et prend sa place. Une guerre démarre très facilement, mais elle se termine très difficilement et elle laisse des traces, comme une dispute entre enfants : il s’agit de reconnaître ses torts, de faire des excuses, de se remettre en question ».
Preuve de l’intérêt des enfants pour l’actualité, la partie questions/réponses qui clôt Raconter la guerre. « Leurs questions étaient pertinentes et audacieuses. Un enfant m’a ainsi demandé si j’avais déjà été victime de la propagande d’un pays où je m’étais rendue. Je suis sûre qu’un adulte n’aurait jamais osé me poser cette question de crainte de me vexer. J’ai répondu : ‘Oui, cela m’est arrivé’ ».

Voir, écouter, ne pas pleurer

Premier reportage – « compliqué » – en décembre 1989, juste après la chute du Mur de Berlin, dans une Roumanie en pleine révolution. Toute jeune journaliste, Françoise Wallemacq y est allée avec son petit ami de l’époque, réfugié roumain qui « traduisait pour moi ». « On est arrivés à Timişoara, une ville où les journalistes étaient amenés jusqu’à une fosse commune avec des milliers de morts. Tous les médias en parlaient. C’était trop dangereux de s’y rendre, il y avait des snipers partout, on ne savait pas qui tirait, ce qui se passait. Je n’ai pas vu ce charnier. Et je n’ai pas dit que je l’avais vu. J’ai hésité, mais, heureusement, je n’ai pas menti. Heureusement, parce que c’était une grosse supercherie, ce charnier ! Il faut toujours dire ce qu’on voit ».
Pour la jeune professionnelle, « distinguer le vrai du faux, c’était difficile. Mais cela m’a donné le goût du métier. Une décharge d’adrénaline ». Les reportages se sont enchaînés. Elle était en Bosnie-Herzégovine au tout début de la guerre. « Quand je suis arrivée à Sarajevo, mon traducteur m’a emmenée à un barbecue où Croates, Serbes et Musulmans étaient mélangés et s’amusaient ensemble. J’étais fascinée, cela illustrait une cohabitation harmonieuse qu’on avait du mal à imaginer avec la guerre ».
Recourir aux services de fixeurs, ces guides et interprètes plus qu’utiles en zones inconnues et qui, avec la journaliste, sont plutôt des fixeuses, « moins influencées par la propagande que les hommes ». Recueillir des témoignages. Avec une attention spéciale aux vécus des femmes : « Elles parlent de leurs enfants, de la vie quotidienne, de choses très concrètes – est-ce qu’il y a à manger ? Est-ce que l’école est fermée ?... ». Raconter les faits, ce qu’elle a vu, ce qu’elle a entendu. Et expliquer, encore et toujours. Tendre vers l’objectivité journalistique. « Même si c’est franchement difficile d’être totalement neutre. On a naturellement plus de compréhension pour certains points de vue, on est plus touché par certains témoignages ».
Et puis, ne pas pleurer, malgré les émotions qui submergent, « car ce sont des rencontres d’humain à humain ». « Le métier me protège. Je suis prise par l’urgence de trouver de la bonne matière. Le micro, la caméra, cela fait tampon entre la personne rencontrée et moi. Pendant l’interview, je pense déjà au montage. C’est après, quand je réentends le témoignage, que cela me touche fort. Je me rappelle du massacre de Tuzla, en Bosnie-Herzégovine, en mai 1995. Un obus avait fait septante-et-un morts, dont le plus âgé avait 26 ans et le plus jeune, 2 ans et demi – il était mort dans les bras de son père. Ce papa s’est confié à moi. Je me voyais mal me mettre à pleurer devant lui. Cela aurait été indécent. J’ai adopté un visage plutôt souriant pour l’encourager à parler, pour le remercier qu’il me parle ».
De tout cela, Raconter la guerre traite. Et c’est essentiel.

Des témoignages d’humanité

Ce petit livre souligne toute l’importance d’avoir des journalistes qui vont sur le terrain et témoignent. « Je dis aux enfants : le journalisme est un métier où il faut être curieux et ne pas être timide », explique Françoise Wallemacq.
Et la peur dans tout ça ? « En fait, j’ai très peur avant de partir – le stress de ne pas trouver des personnes intéressantes, d’avoir des problèmes techniques… Mais, une fois sur place, c’est comme si j’étais invincible. Je suis avec les gens, je me sens comme tout le monde ». Et ce, même s’il est aujourd’hui devenu « dangereux de s’afficher journaliste ou humanitaire dans un pays en guerre ». C’est après coup, avoue-t-elle, qu’elle réalise à quel point une situation était dangereuse.
En même temps, « elle est très utile, la peur. Elle peut te sauver la vie. Il est important que tu fasses confiance à ton intuition, ce sixième sens qui te protège. Une situation ou une personne est trop bizarre ? Tu sens alors qu’il faut vite partir ».
Dans son sac de reportage, en permanence, un singe en peluche prend place et la rassure quand elle a peur. « C’est mon compagnon qui me l’a offert. Ce singe a une bouille sympa. C’est comme un copain. Il aide à dédramatiser. Et puis, j’ai un peu la présence de mon compagnon avec moi ».
Pas de doute, faire du journalisme à la façon de Françoise Wallemacq, c’est « révéler l’humanité des choses ». Un formidable antidote à la fatigue informationnelle ! « C’est montrer ce que les gens vivent, montrer qu’au cours d’une guerre, des héros se révèlent, mettre toujours du positif dans les reportages, pour que les gens ne désespèrent pas de la nature humaine ».

Photo du singe qui accompagne Françoise Wallemacq en reportage

ZOOM

De la pièce de théâtre au livre

Raconter la guerre est une « petite conférence » parmi d’autres initiées par Gilberte Tsaï qui a dirigé le Centre dramatique national (devenu depuis le Théâtre Public) de Montreuil. Celles-ci ont un prolongement écrit grâce à Bayard Éditions.
À l’origine de la conférence, puis du livre, une pièce de théâtre, Reporters de guerre, mise en scène par Sébastien Foucault et jouée à Montreuil (et à Bruxelles, Liège, Arras, Milan, Tbilissi…).
« Un responsable de l’espace culturel est venu voir la pièce et m’a proposé de présenter mon métier à un jeune public », dit Françoise Wallemacq. Le pitch de la pièce : peut-on raconter la guerre à quelqu’un qui ne l’a pas vécue ? Sur scène, trois personnes répondent à la question à partir de leur vécu. Outre la reporter, il y a Michel Villée, attaché de presse pour Médecins Sans Frontières dans les années 90 et marionnettiste, et Vedrana Božinović, comédienne bosniaque qui était toute jeune journaliste et fixeuse au moment de la guerre en ex-Yougoslavie.
À noter : la pièce sera jouée en mars 2024 au Théâtre Public de Montreuil.

UN PAS PLUS LOIN

L’info pour les enfants

Mettre l’actu à hauteur d’enfant, cela exige un gros travail. Hier, Noubana News et Le Petit Ligueur relevaient le défi. Exemples d’aujourd’hui ? Les Niouzz, un JT de six minutes pour les 8-12 ans, du lundi au vendredi à 18h30, sur Auvio Kids TV. Et Le Journal des Enfants, en format papier et en version digitale, pour les 9-13 ans.

D’autres pistes dans notre dossier « Le parent face à l’info », à retrouver ici

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