Vie pratique

Vous l’avez sans doute bien vu en faisant vos courses, les prix n’en finissent pas de monter dans les magasins. Pour savoir pourquoi et faire le point sur notre ticket de caisse et ce qu’il y a derrière, on fait un zoom dans le caddie des familles.
Il y a six mois, Nathalie* s’en sortait pour 80 € de courses par semaine dans son enseigne discount de Mons. Aujourd’hui, son ticket de caisse hebdomadaire affiche 40 € de plus. Une augmentation qui inquiète la maman solo de trois filles. Test Achats confirme, mais tempère l’impression de Nathalie et parle d’une augmentation des prix de 2,19% entre janvier 2021 et janvier 2022.
D’après l’association des consommateurs et consommatrices, ce sont les produits transformés qui subissent la plus forte augmentation avec jusqu’à + 26% pour les spaghettis ou + 24% pour l’huile de friture. Du côté des produits frais, la hausse est tout aussi visible (+ 7,6% pour les légumes et + 3,6% pour les fruits), suivis de la viande (+ 3,8%) et des produits d’épicerie (+ 3,5%).
Trois explications à la hausse des prix alimentaires
Avant de plonger dans le caddie de Nathalie, une question : pourquoi les prix augmentent-ils ? « Parce que les prix de l’énergie augmentent », répondent Amaury Ghijselings, chargé de recherche et plaidoyer souveraineté alimentaire au CNCD-11.11.11, et Olivier De Schutter, professeur à l’UCLouvain et rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains. Si l’énergie augmente, les prix des engrais chimiques, de l’emballage ou du transport grimpent aussi et se répercutent sur les prix des aliments.
La guerre en Ukraine joue aussi un rôle dans la hausse actuelle des prix. L’Ukraine et la Russie figurent parmi les plus gros producteurs et exportateurs de céréales au monde. « Six millions de tonnes de blé sont bloquées dans les ports de la mer Noire, rappelle Olivier De Schutter. Même si les stocks sont disponibles suite à des bonnes récoltes en 2020 et 2021 et qu’on ne peut pas parler de pénurie, la rupture des chaînes d'approvisionnement et la crainte de chocs à venir font monter les prix ». La guerre a aussi pour effet de perturber les marchés financiers liés aux produits agricoles (voir encadré). Le cours du blé a ainsi atteint des records historiques début mars avec une tonne à deux fois et demi son prix de 2020.
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Les marchés boursiers s’emballent et paniquent à cause de l’instabilité géopolitique. Les opérateurs spéculent sur des prix à la hausse, ce qui a pour effet de faire flamber les prix. Et la hausse n’est pas prête de s’arrêter. Les producteurs d’Ukraine sont censés semer au printemps pour récolter à l’automne, ce ne sera pas le cas partout en raison des combats. Ailleurs, l'augmentation des prix des engrais fait aussi augmenter les coûts de production. Si le choix est fait de limiter les engrais pour maîtriser les coûts, alors il y a un risque de diminuer les niveaux de récoltes d'août-septembre.
Se nourrir en 2022
Ces constats faits, comment consommateurs et consommatrices peuvent faire pour limiter l’impact de cette hausse des prix alimentaires sur leur portefeuille ? Sur base d’un test comparatif sur plus de 3 000 produits, Test Achats conseille de privilégier les enseignes Lidl et Aldi et de choisir les produits blancs estimés entre 45 et 66% moins chers. « Je ne suis pas d’accord avec cette conclusion, réagit Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP). Mais les gens ne sauraient pas s’en tirer autrement, certains vont être obligés de coupler ça à des colis alimentaires ».
Nathalie fait ses courses chaque semaine et connaît le prix de tous les produits qu’elle consomme. « Je ne choisis que des produits blancs qui sont au moins deux fois moins chers. Les deux seules marques que je m’octroie, c’est Nutella parce que les filles n’aiment pas la sous-marque et Soupline pour l’odeur ». En fin de mois, Nathalie prétexte parfois qu’elle est barbouillée quand ses filles lui demande pourquoi elle ne mange pas. Pour la viande, la maman choisit les « family pack », plus intéressants financièrement.
Une personne sur quatre en Wallonie et une famille monoparentale sur deux se retrouvent en situation de précarité voire de pauvreté. « L’accès de ces familles à l’alimentation ne peut plus reposer uniquement sur leurs épaules », commente Amaury Ghijselings. « Au RWLP, on s’est toujours dit qu’il faudrait élargir la Sécurité sociale à au moins deux pans de droits fondamentaux : l’alimentation et le logement », explique Christine Mahy. En Belgique, cette proposition n’est encore qu’à l’état d’utopie.
Moins cher et mieux, c’est possible ?
Un reproche est souvent adressé à l’alimentation durable : son coût. Manger de la nourriture de qualité, oui, mais à quel coût ? « Un pack de quatre tranches de jambon à 7 € ou un kilo de pomme bio à 4 €, non merci », répond Henri, père et grand-père.
« Les prix nous mentent, estime Olivier De Schutter. Les coûts sociaux, environnementaux et sanitaires ne sont pas intégrés dans le coût des aliments issus de l’agriculture industrielle. À l’inverse, les services rendus par l’agriculture paysanne et les circuits courts ne sont pas récompensés comme il le faudrait. »
Bertrand* et sa famille commandent chaque semaine un panier de fruits et légumes auprès d’un producteur de la région via un groupe d'achat commun (GAC). « On va chercher notre panier le vendredi soir pour avoir notre base de fruits et légumes. On complète souvent par le marché le samedi matin pour le pain, les fromages, charcuteries et olives. Derrière chaque comptoir, il y a un petit producteur que l’on soutient plutôt qu’un hypermarché ».
Emma est coopératrice à Vervîcoop. Moyennant une part de 100 € et trois heures de bénévolat par mois, elle a accès à tous les produits de la coopérative. « Grâce à ce système, la coopérative a moins de frais de fonctionnement et peut se permettre de prendre une marge bénéficiaire moindre que d’autres magasins bio de la région ».
Un kilo de hachis de porc et bœuf à 8,94 €, du jambon à 20,93 € le kilo, un yaourt fermier à 1,60 € les 200 ml, « ce sont des prix attractifs pour des produits de qualité et locaux, estime Emma. Le hachis provient d’une ferme à Montzen, le yaourt d’une autre à Neubempt, on est dans un périmètre de trente kilomètres autour de la coopérative pour ces produits et tout est centralisé ici ».
Autre approche : Céline a choisi de produire elle-même ses fruits et légumes pour manger sans se ruiner. « Au premier confinement, j’ai donné un gros coup pour rénover la serre et lancer une production. Entre mai 2019 et mai 2020, on a été auto-suffisant en fruits et légumes avec une fameuse économie mais difficile à chiffrer ». Si l’économie est réelle, le travail à fournir au potager l’est tout autant, une bonne partie de son temps libre y est consacré.
*Prénoms modifiés
L'ACTU
Ce que la crise sanitaire et la guerre en Ukraine soulignent
Pour comprendre la hausse des prix, élargissons un peu le spectre pour avoir une vision d’ensemble sur le système agricole. Depuis 1994, les produits agricoles sont commercialisés sur un marché mondial. « L’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur l’agriculture met en compétition toutes les agricultures du monde et force les pays à se spécialiser sur quelques produits. Le prix mondial est dicté par celui qui est le plus compétitif et les autres s’alignent », explique Amaury Ghijselings.
Deux tiers du blé consommé en Belgique est importé alors que l’essentiel des céréales que l’on produit est exporté vers d’autres pays. « Il faut que l’on produise davantage que ce que l’on consomme et que l’on consomme davantage ce que l’on produit, explique Olivier De Schutter. Le fait d’être aussi tributaire des importations pour l’énergie et les denrées alimentaires n’est pas sain ».
SUR LE TERRAIN
On a comparé pour vous…
La question du prix est essentielle et guide nos choix de consommation. D’où cette question : les fruits et légumes du supermarché sont-ils moins chers que ceux d’un panier bio sachant qu’ils proviennent de plus loin, sont plus emballés et qu’il faut y ajouter la marge bénéficiaire des intermédiaires et du supermarché ? On a comparé pour vous le contenu du dernier panier du GAC de Bertrand et l’équivalent dans un supermarché discount.
Pour un panier composé de salade de blé (200 g), oignon rouge (600 g), chou vert Savoie (2 pièces), chou-fleur, carottes (800 g), scarole (1 pièce), pommes jonagold (1 kg), bananes (600 g), oranges (1 kg), citron (2 pièces), avocats (600 g), mandarines (1 kg), le coût dans un panier du GAC est de 23,10 € contre 30,57 € au supermarché discount.
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