Développement de l'enfant

Il en a marre, de tout, de rien, des parents, de l'école. Il prend ses cliques et ses claques : il fait une fugue. Qu'est-ce qui lui passe par la tête. La faute à qui ? Que faire et comment réagir ? On fait le tour de la question.
« À taaaaableeuuuuuuuu ! ». Martin ne vient pas. Il ne répond pas non plus. Il n'est pas dans sa chambre. Sur son lit, un mot : « J’en ai marre. Je me fais engueuler tout le temps, même pour les choses que je fais bien... Vous ne me comprenez pas... Je n’ai jamais le droit de sortir… ». Mais aucune info sur l’endroit où il va, ni pour combien de temps.
Comme un millier d’adolescents entre 13 et 15 ans chaque année, Martin a fait une fugue. Il a quitté le domicile parental de manière soudaine et inattendue, sans but précis. Le phénomène peut prendre des formes très diverses. Un ado peut quitter l'internat de l'école, une institution, sa famille d'accueil... Il peut s’enfuir pour une journée ou partir à l’étranger.
Pourquoi fait-il une fugue ?
Un ado peut fuguer pour différents motifs, selon Child Focus :
► des problèmes à la maison : de la simple dispute avec ses parents à la violence plus grave (verbale, psychologique, physique ou sexuelle) ;
► des problèmes à l'école : suite à un mauvais bulletin, le stress à l'approche des examens ou d'autres difficultés scolaires ;
► des difficultés relationnelles : une déception amoureuse ou des problèmes d'intégration dans un groupe.
En général, le jeune fuit une situation. La fugue peut être motivée par un événement ressenti comme traumatisant : une dispute, une faute que l’ado ne peut psychologiquement pas affronter face à ses parents. Elle peut également, et surtout, exprimer un malaise plus profond, par sa nature planifiée et réfléchie. L’ado marque ainsi une volonté froide et calculée de s’autonomiser et de montrer qu’il peut prendre une décision grave, de l’organiser et de passer à l’acte.
Un signal d'alarme
Qu'il s'agisse d'une « fugue colère » ou d'une « fugue préméditée », il s'agit avant tout d'un appel au secours. « C'est un signal à ne jamais banaliser », souligne Maryse Roland, porte-parole de Child Focus. Quelle que soit la situation que le jeune fuit, la fugue constitue une alerte adressée aux parents pour leur dire : « Je ne vais pas bien, quelque chose ne va pas qui me pousse à partir ».
Si le jeune menace de « se barrer », c'est peut-être une parole en l'air, oui. Mais il vaut mieux ne pas la prendre de manière trop détachée, au risque de le voir chercher à prouver qu'il en est capable. « S'il vit une situation difficile, c'est peut-être compliqué pour lui d'en parler avec ses parents. Il vaut mieux passer le flambeau. Il ne faut jamais hésiter à lui proposer d'en parler à quelqu'un de confiance ou de téléphoner à Child Focus », recommande l'association.
Mon enfant a fugué : que faire ?
Lorsqu'on découvre que son enfant a fugué ou que l'on reste sans nouvelles de lui pendant un temps anormalement long, c'est l'afflux d'émotions : inquiétude, incompréhension, sentiment d’impuissance, impression d’avoir perdu toute autorité, d'avoir raté quelque chose... Mais il ne faut pas que ces états d'âme ouvrent la voie aux mauvais réflexes.
Child Focus, qui traite les disparitions d'enfants dont 65 % sont des fugues, livre ses conseils étape par étape :
- Avant tout, éviter de diffuser soi-même sa photo ou un avis de disparition sur internet ou sur Facebook. Le jeune sera encore plus tenté de se planquer. Cela peut davantage corser les recherches et compliquer sa réinsertion sans être montré du doigt ou moqué. Tout ce qui est publié sur internet reste sur internet pour toujours !
- Tenter de le joindre par GSM, e-mail, Facebook, etc. Il s'agit peut-être d'un malentendu. S'il s'agit clairement d'une fugue, en cas de contact avec lui ou de retrouvailles, évitez de le gronder, même si vous avez eu très peur. Il risque de se refermer. Il faut se rappeler qu'il a fui quelque chose, qu'il est en souffrance. Il faut l'écouter et l'inviter à se confier (à un tiers).
- Vérifier s’il s’est rendu à ses activités habituelles (école, club de sport, rendez-vous avec des amis, etc.) pour recouper un maximum d'informations. L’ado peut se cacher sans but dans des lieux environnants ou traîner dans un endroit de prédilection.
- Contacter les personnes chez qui il pourrait s’être réfugié. Un jeune qui veut quitter un endroit détesté ou redouté cherchera peut-être à rejoindre un milieu chaleureux (nourrice, grands-parents). À noter qu'il est interdit d'héberger un fugueur sans avertir les parents, la police ou Child Focus.
- Si ces premières recherches ne donnent aucun résultat, contacter sans attendre les services de police du quartier ou Child Focus (au numéro gratuit 116 000) pour signaler la disparition. Tout sera mis en œuvre de manière professionnelle pour retrouver l'enfant.
Child Focus encadre, soutient les parents et travaille main dans la main avec la police pour recouper les infos et centraliser les témoignages. C'est aussi Child Focus qui détermine le moment auquel la disparition doit être médiatisée. « On le fait rarement. On privilégie les contacts avec les autres citoyens, en commençant par les gardiens de la paix, les contrôleurs de train... On ne met pas les avis directement sur internet sinon le jeune reste toujours fiché. Si les recherchent piétinent, on publie d'abord l'avis sur notre page », explique Maryse Rolland.
Il ne faut surtout pas attendre avant de les contacter. « Ce n'est peut-être pas une fugue. Et plus le temps passe, plus il risque de se mettre en danger pour subvenir à ses besoins, ou se faire agresser », avertit Maryse Roland. Chaque année, des fugues tournent mal. Mais la majorité d'entre elles finissent bien. De nombreux fugueurs sont retrouvés sains et saufs dans les 48 heures.
Child Focus observe cependant que les ados regagnent de moins en moins le domicile d'eux-mêmes. « Avant, c'était spontané. Maintenant, on doit les retrouver. C'est peut-être parce qu'ils sont plus débrouillards, plus autonomes et qu'ils ont un réseau plus étendu qui les aide à se loger dans la discrétion ». Peut-être aussi que le smartphone leur permet de voir et suivre l'inquiétude de leurs parents, de rester en contact avec des amis et de trouver plus facilement des bons plans...
S. G.
Le mot du psy
Alain Braconnier, psychanalyste spécialiste de l’enfance
« L'adolescent cherche à la fois un chemin allant vers l’autonomie et une manière de fuir ce qui est contrainte, douleur, déplaisir ou angoisse. Et le comportement de fugue en est une des représentations. La fugue, c’est le signe d’un mal-être et aussi la quête de quelque chose qu’on n’a pas. L’important, c’est de comprendre qu’il y a quelque chose qui ne va pas et qui doit changer. Les jeunes peuvent fuguer soit en se débrouillant pour que les parents sachent où ils sont, soit en le cachant pour bien leur faire peur de ce qu'ils peuvent eux-mêmes craindre, dans une sorte de projection chez le parent de leurs angoisses personnelles. L'adolescent peut aussi avoir besoin de prendre de la distance, comme un rite de passage qu'il se fait à lui-même et qui consiste à partir, s’éloigner de la maison.
Ils en parlent...
Un cocktail peine de cœur, harcèlement et échec scolaire
« Il est amoureux pour le moment et sa petite amie n'est pas bien dans sa peau. Ils devaient aller à l'école, mais elle avait prévu de partir. Elle avait préparé ses bagages, un mot... Et ils sont partis. On ne s'y attendait pas. L'école buissonnière, oui, mais pas une fugue. Au début, on n'était pas trop stressés. On se disait qu'ils avaient peut-être peur de rentrer. Et puis, on avait de plus en plus peur qu'il leur arrive quelque chose et qu'on ne les retrouve pas, qu'ils puissent aller loin. Ils n'avaient pas d'argent... On se sentait dépourvus. La police a retrouvé Léo à 5h30 du matin. Il a appelé sa tante parce qu'il avait froid et un peu peur. Il n'a pas voulu rentrer. Au poste, il n'a pas affiché un sourire, il était perdu. Léo vit mal son adolescence. À l'école, c'est la cata. Il ne travaille plus, il fait des bêtises, il est influençable. Il a été renvoyé d'une école pour vol. Il avait quitté les primaires avec 80 % au CEB et n'avait jamais eu de soucis avant d'entrer en secondaire. Après sa fugue, on a découvert qu'il se faisait embêter à l'école, du harcèlement... Et ces deux dernières années, on a déménagé, il a dû changer d'école. Puis sa grand-mère, dont il était très proche, est tombée malade et est décédée l'an passé... »
Valérie, maman de Léo, 14 ans
Un déclic et la Corse pour exister
« Je suis interne au collège. Il y avait tout un groupe qui se liguait contre mon pote Victor et moi. Ils passaient le soir dans notre chambre, c’était des insultes, des coups. On se prenait aussi des ballons dans la gueule à la récré... On était les « rejetés ». Notre vie à l'école était devenue un enfer. Et puis, ma mère m'apprend qu'elle est enceinte. Là, je me suis dit : « Je me tire, on n'a pas à supporter ça ». Le lendemain, avec Victor, on a pris un sac poubelle et on a fait notre baluchon, on a piqué de la bouffe de la cantine, notre brosse à dents et on a sauté le mur. On voulait aller trouver du boulot en Corse et ne plus jamais revenir. On avait le cafard à tour de rôle. On n'était pas fiers, mais on était décidés. On voulait fuir tout ça. On appelait juste nos parents de temps en temps d'une cabine pour dire que tout allait bien, et c'est tout. On était toujours déterminés à fuir, sauf qu'on n'avait presque plus d'argent. Et après le troisième nuit au milieu de la nature, on caillait, on n'avait plus à manger. On était mal. Alors, on a pris le train... sans billets. Et le contrôleur a appelé la police. Nos parents étaient heureux de nous retrouver. À l'école, ça a été moins drôle. Conseil de discipline. On était vus comme des voyous par les profs... mais comme des stars auprès des filles. On existait, alors qu'avant on souffrait vachement de ne pas exister. »
Antonin, 15 ans
En pratique
- En cas de disparition ou de fugue, contacter Child Focus au numéro gratuit 116 000.
- Le guide fugue.be reprend des questions générales que se posent les parents et des adresses de services d’aide dans sa région.