« Il ne restait plus sur le seuil que la coquille d’un étranger »

La jeune génération prend la plume pour se raconter sous l’impulsion du dispositif média Scan-R. Le livre « Bouches émissaires. Jeunesses ardentes » compile 103 récits. Dans cet ouvrage, les jeunes nous parlent d’écologie, de genre, de migration et de scolarité. Autant de portes ouvertes pour saisir de plus près leurs visions, espoirs et désillusions. Le texte ci-dessous est tiré de l’ouvrage et figure dans le chapitre consacré à la migration.

On sous-estime beaucoup trop le grand danger des appels d'air.

Il arrive plus souvent qu'on croit ce qui m'est arrivé à moi :

Quelqu'un, là, quelque part au loin, ouvrant la porte à son voisin,

A provoqué un courant d'air, et moi qui ne demandais rien,

Me voici soudain entraîné par le vent avec mes sacs et mes affaires.

Et le vent souffle et tourbillonne, et me dépouille, presque m'assomme,

Et voici que sur le chemin, il éparpille tout mon bien :

Au bout de ma rue, mes dessins, et mon tricot et ma main verte

Au bout du quartier, mon totem et les photos de ceux que j'aime

Je quitte la ville et voilà qu'il me vole encore l'un ou l'autre symbole

Chansons et recettes et folklore

Il disperse au loin mes adresses, l'abonnement au cinéma et les blagues de mon papa

En soufflant encore, il effeuille mon passeport et mes diplômes

Et puis ma langue et mon accent ; et puis mes goûts et mes talents.

Quand la porte s’est refermée et que le vent est retombé,

Il ne restait plus sur le seuil que la coquille d’un étranger.

Aussi vous tous qui m’écoutez, gardez bien vos portes fermées

Le vent pourrait bientôt tourner.

 

Laurent, 32 ans