Société
De l’action Code Rouge à la dernière COP, Carine Thibaut, porte-parole de Greenpeace, est sur tous les fronts pour hisser haut la cause climatique. C’est en voyant tous ces jeunes se bouger pour le climat que cette quadragénaire a eu envie d’épouser ce nouveau combat.
Climat aujourd’hui. Coopération au développement hier. Droits des femmes et des migrants encore avant. Carine Thibaut est de toutes les luttes. Parce qu’elle croit profondément au pouvoir de la société civile pour faire bouger les lignes. L’œil vif, le sourire large, elle nous ouvre la porte de sa maison saint-gilloise, malgré le froid piquant de la mi-décembre, pour nous expliquer la raison d’être de son engagement.
Vous rentrez tout juste de la COP 27. Quel bilan dressez-vous de cette édition ?
Carine Thibaut : « Un bilan en demi-teinte. L’accord sur le fonds des pertes et préjudices est une victoire historique. Ça fait trente ans que la société civile et les pays les plus vulnérables alertent sur le fait qu’ils payent un lourd tribut alors qu’ils sont les moins responsables du dérèglement climatique. Ce point n’était pas à l’agenda des négociations, nous avons réussi à le placer et à décrocher cet accord. C’est énorme ! Reste que les modalités pratiques ont été évacuées du débat, on ne sait pas encore qui va financer ce fonds, les pollueurs historiques ou les actuels ? Un autre enjeu, c’est de s’assurer que ce financement soit bien nouveau et additionnel et pas un transfert ou un crédit.
En dehors de cette victoire, cette COP a été désastreuse. On sait que si on dépasse le seuil des 1,5°C, les dégâts seront irréversibles. Des pays disparaîtront de la carte, des écosystèmes périront. Rien n’a été acté quant à l’obligation des pays de plancher sur des plans climat pour atteindre cet objectif. La sortie des énergies fossiles est un autre rendez-vous manqué. Dans l’histoire des COP, il y a un éléphant qu’on ne nomme jamais : ces énergies fossiles. Il est temps de nommer cet éléphant et de l’évacuer de la pièce. Sans cela, on aura beau mettre en place des fonds pour compenser les pertes et préjudices, ce sera un emplâtre sur une jambe de bois. »
Les COP sont souvent décevantes, pourtant la société civile continue d’y participer. Pourquoi est-ce important d’y être ?
C. T. : « Les COP sont organisées sous l’égide des Nations-Unies, sans ces espaces, le G20 serait à la base des décisions. C’est une opportunité pour les pays plus petits et pauvres d’avoir voix au chapitre. Pour Greenpeace, la COP est un espace pour faire pression, pour maintenir le cap, pour être le porte-voix dans les négociations et répercuter aussi ce qui s’y passe vers l’extérieur. »
Au niveau belge, Greenpeace fait aussi partie des organisateurs de Code Rouge. Plus de mille personnes ont participé à cette action de désobéissance civile à l’encontre de TotalEnergies. Dites-nous en plus sur les tenants et aboutissants de cette mobilisation.
C. T. : « Le climat représente la troisième préoccupation des citoyen·nes au niveau européen. Certains se sentent désespérés. Avec Code Rouge, on a créé un mouvement de désobéissance civile de masse. Une manière différente et complémentaire aux marches et pétitions de passer à l’action. Nous voulions aussi adresser notre action à un interlocuteur qui porte une lourde responsabilité mais qui ne soit pas le gouvernement. Nous avons ciblé Total parce que nous avons des preuves que la multinationale connaissait depuis 1971 l’impact de ses activités en termes d’émissions CO2. Ils savaient et ils ont continué. Pire, ils se sont engagés dans des actions de greenwashing et de lobbying pour ralentir l’action climatique. Aujourd’hui encore, Total investit 75% de son patrimoine dans les énergies fossiles. La multinationale continue aussi d’alimenter le trésor de guerre de Poutine en étant toujours présente en Russie.
En termes d’impact, on ne peut pas s’attendre à des changements immédiats, mais Code Rouge a réussi à faire se rencontrer des tas de gens. Des jeunes, des grands-parents pour le climat, des militants de la première heure, des novices... Plus de 10% des participant·es n’avaient encore jamais pris part à aucune action et 30% d’entre eux/elles faisaient de la désobéissance civile pour la première fois. »
« Aujourd’hui, on ne peut plus plaider la cause environnementale sans l’associer à la justice sociale »
Crises sanitaire, climatique, énergétique. Ça n’en finit plus. Est-ce que les gens ont encore la niaque pour se mobiliser ?
C. T. : « Oui. Plus de mille personnes ont participé aux formations préparatoires à Code Rouge. Un mois plus tard, nous étions 30 000 dans les rues pour la marche pour le climat. De plus en plus de gens sont déterminés et souhaitent passer à l’action.
L’Europe, qui était dans une bulle relativement prospère, découvre les crises qui impactent les pays en développement depuis des décennies. Ce contexte peut être source de désespoir si on ne parvient pas à en faire le moteur d’une action collective. Le risque, c’est le repli sur soi, la radicalisation, mais on voit aussi de plus en plus de gens engagés positivement. Le combat de la sensibilisation est aujourd’hui gagné. Il nous faut à présent trouver des réponses collectives qui prennent en compte le social et l’environnemental. Aujourd’hui, on ne peut plus plaider la cause environnementale sans l’associer à la justice sociale. »
Avant de plaider la cause climatique, vous avez travaillé pour la coopération au développement. Avant cela encore, dans la défense des droits des femmes et des migrant·es. Qu’est-ce qui a nourri votre militantisme à tout crin ?
C. T. : « À 18 ans, j’ai été élue déléguée étudiante. M’investir dans le mouvement étudiant a été une école de vie. J’y ai appris à prendre la parole en public, à défendre mes idées, à négocier. Deux ans plus tard, je m’occupais des mineurs non accompagnés demandeurs d’asile au Petit-Château (ndlr : un centre d’accueil situé à Bruxelles). J’ai embrayé ensuite avec un mémoire sur le surendettement des pays du Sud et puis un premier emploi en Haïti. C’est en voyant les jeunes sortir dans la rue que j’ai eu envie de m’engager pour le climat. Leur mobilisation a réveillé en moi une volonté de prendre mes responsabilités.
Que ce soit les droits des femmes, des migrant·es, la justice sociale ou climatique, pour moi, tous ces combats convergent. Je crois profondément au pouvoir de la société civile pour contrebalancer le pouvoir économique des entreprises. »
Quid de vos jeunes à vous ? Avez-vous réussi à transmettre à vos ados le virus de l’engagement ?
C. T. : « Le propre de l’adolescence, c’est de se distancier de ses parents. Quand ils étaient petits, ils suivaient le mouvement. Aujourd’hui, j’essaye de ne pas leur imposer mes combats et de leur laisser la possibilité de tracer leur propre chemin. Ce qui compte, c’est qu’ils soient bien dans leur peau. L’aîné nous a déjà interpellés en disant qu’on lui laissait un monde désastreux, ce à quoi j’ai répondu qu’à 14 ans, certains choix commençaient à lui appartenir. »
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