Vie pratique
Titiou Lecoq, d’accord. Avec laquelle on converse ? La blogueuse ? L’essayiste ? La journaliste ? La maman de deux garçons ? Ou peut-être la romancière du tout récent Une époque en or ? Avec toutes ces Titiou-là.
Vite, l’agitatrice à la crinière renarde est en plein marathon médiatique. Peu de temps pour aborder les assauts les plus marquants, tout du moins, les quelques coups bien placés dans les parties du patriarcat, qu’elle a pu asséner ces dix dernières années. Charge mentale, répartition des tâches dans le couple, reféminisation de la langue française, disparité financière face au genre. Sans oublier sa grande œuvre, les femmes oubliées de l’Histoire, dont la précision et la pertinence ont été saluées tant par la recherche que par le public. Après ces essais théoriques, ces prises de position, la portraitisée du jour revient à son genre favori, le roman.
Une époque en (dés)or(dre)
Une époque en or (L’Iconoclaste). Un livre qui aura mis huit ans à naître. Penser l’époque. Mot qu’elle affectionne particulièrement. « Je tenais absolument à ce qu’il figure dans le titre. Parce que ma première idée à travers ces pages, c’est de l’interroger. Moi, fille des années 80, j’ai grandi avec des questions très simples. ‘Qu’est-ce que je vais faire comme métier ?’. Non pas ‘À quoi va ressembler la planète ?’. À tel point que je me demande s’il est pertinent de continuer à pousser nos enfants à faire des études et pas à leur apprendre des choses plus utiles comme faire du feu, survivre dans la forêt… Là-dessus, je trouve que l’on est très peu accompagnés en tant que parents ». C’est tout l’arrière-plan de son dernier effort.
Avec la question additionnelle : comment est-ce que l’on fait famille dans ce décorum angoissant fait de planète qui s’asphyxie, de violences, de paradis ou d’enfers virtuels… Elle l’affirme d’un sourire consolant : « Face à ça, nous, les parents, nous sommes perdus. Nous faisons semblant d’être des adultes, de prendre en charge une famille. Mais nous sommes juste des mômes à peine déguisés en grands. C’est en l’acceptant qu’on va tout réinventer ».
Le CDD de la parentalité
Tout ? En tout cas, remettre profondément en question la constellation famille. Ce qui passe par l’idée de relations élargies. Dans son roman, Chloé, l’héroïne, est en couple avec Greg, papa de Colette qui va donner pas mal de fil à retordre à sa belle-maman. Né de leur amour, Raoul est un petit garçon obsessionnel, mais sans histoire. Et tout ce petit clan va s’agglomérer autour de Lapouta, voisin de palier qui connaît - jusqu’au drame, mais ne divulgâchons surtout pas - des cas de violences intrafamiliales. « Il peut exister d’autres formes de relations en dehors de la famille traditionnelle », nous dit la grande ordonnatrice de tout ce petit clan fictionnel. Perdue dans les lignes, c’est l’idée qui – mirettes Ligueur oblige – nous semble être la partie la mieux exploitée du récit.
« Nous faisons semblant d’être des adultes, de prendre en charge une famille. Mais nous sommes juste des mômes à peine déguisés en grands »
En effet, Titiou Lecoq s’attaque frontalement à la problématique de la belle-parentalité. C’est cet enfant échoué, Lapouta, que l’héroïne décide de prendre en charge, qui va faire le liant. Donc faire sens. Chloé confesse l’aimer plus que sa belle-fille, à qui elle veut pourtant désespérément plaire, jusqu’à fréquenter le club de BMA (belles-mères anonymes), où elle déverse toutes ses difficultés. Difficultés ? L’autrice, comme son héroïne, les lie à l’incertitude de la relation. Sur quel terreau pousser quand tout peut potentiellement s’arrêter du jour au lendemain ? « Être beau-parent, c’est un peu comme un CDD de la parentalité », peste Chloé.
« On ne peut pas se séparer et faire un week-end sur trois ‘à faire le parent’, explique l’autrice. Et puis, on ne peut pas penser la chose jusqu’au bout. Il y a un tabou quelque part. Quand ça se passe mal, on ne peut décemment pas détester ce môme qui n’est pas le nôtre. Ça ne se fait pas de détester un enfant. D’ailleurs, quand les pensées de Chloé sont rendues publiques, le monde entier s’insurge. On ne pardonne pas ça, encore moins à une femme. Encore moins à une mère ». L’autrice déplore le silence autour de cette relation. Dans la représentation fictionnelle - séries, films, romans -, tout se passe bien ou, si pas, de façon caricaturale.
Cette difficulté à (re)faire famille est-elle irrémédiable ? « Parfois. Tout se joue dans la durée. Il faut aller au-delà du premier élan politiquement non correct. Ne pas être trop prosélyte, se détendre, se laisser le temps. En un mot : lâchez-vous le slip, les parents ».
L’écrivaine nous dit que des belles-mamans sont venues la voir et lui ont glissé discrètement : « Merci, ce que vous dites, on ne l’entend nulle part et ça fait du bien ». Le prochain col à gravir pour cette défricheuse d’espaces vierges sera-t-il de nouveau familial ? « Oui. Je veux m’attaquer à la fratrie. Plus exactement, à la façon dont l’ordre de naissance influe sur le cours de notre existence ».
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