Loisirs et culture

« La lecture : une cause nationale »

En 2015, les mauvais résultats des élèves bruxellois et wallons incitaient la ministre de l’Éducation en poste à lancer un « plan lecture ». Au regard de cette action, les éditeurs francophones de livres jeunesse se mettaient également en marche pour mieux intégrer la lecture dans les écoles. L’opération « Tout le monde lit » venait de naître.

Un quart d’heure de lecture par jour, voilà le principe tout simple de l’opération « Tout le monde lit » qui se déroule dans des écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles depuis 2016. Dans les classes, le mouvement est initié par des enseignant·es volontaires qui invitent leurs élèves à se plonger dans le riche catalogue de la littérature jeunesse. En coulisses, c’est l’Adeb, l’association des éditeurs belges, qui est à la manœuvre, avec notamment son président, Simon Casterman.
Directeur délégué de la maison d’éditions qui porte son nom, Simon Casterman est ce qu’on appelle un bon client dans le jargon journalistique. Le lancer sur l’opération « Tout le monde lit », c’est mettre une pièce dans une machine qui ne s’arrête plus, alimentée par une bonne dose d’enthousiasme, de conviction et une pincée de révolte.

Mettre les livres dans la classe

« La lecture doit être une cause nationale, martèle Simon Casterman. C’est un enjeu essentiel dont les politiques doivent s’emparer, mais aussi les enseignant·es, les parents, le monde de l’entreprise. On a des données objectives, les résultats PIRLS (ndlr : une enquête internationale régulière sur les compétences en lecture qui concerne les 4e primaires en Belgique), qui montrent des lacunes chez la majorité des élèves belges francophones. 11% d’entre eux sont en dessous du niveau 1, c’est-à-dire le niveau le plus bas de compétences requises. Autrement dit, dans une classe de 25 élèves, il y a deux à trois élèves qui ne comprennent pas ce qu’ils lisent. C’est cela, la réalité. »
Que faire pour inverser la tendance ? C’est à cette difficile question que l’Adeb a voulu répondre en lançant « Tout le monde lit » et en mettant le livre au cœur des classes. Avec aussi un ingrédient majeur pour faire fonctionner la recette : le plaisir. Celui des mots. Celui de la découverte. Celui du livre comme objet d’émerveillement. Une pédagogie douce qui porte largement ses fruits dans les classes où elle est pratiquée (voir encadré).

« Aller chipoter, farfouiller dans les livres, en trouver un qui plaît, mettre le nez dedans, c’est découvrir des histoires, de nouveaux mots, s’y intéresser, retenir ce vocabulaire et, à terme, le comprendre » 
Simon Casterman

Président de l'Adeb

« Oui, ça marche le quart d’heure en classe, poursuit Simon Casterman. Aller chipoter, farfouiller dans les livres, en trouver un qui plaît, mettre le nez dedans, c’est découvrir des histoires, de nouveaux mots, s’y intéresser, retenir ce vocabulaire et, à terme, le comprendre. Et c’est là un point crucial. Déchiffrer des mots, ça ne veut pas dire les comprendre. Il faut ici remettre de l’exigence pour que les élèves atteignent un niveau correct de lecture compréhensive, celle qui permet, par exemple, de bien intégrer tous les éléments d’une consigne. Notre but avec ‘Tout le monde lit’, c’est vraiment d’œuvrer à la maîtrise du français, que ce soit dans l’écriture comme dans l’oralité. »

Rendre le quart d’heure obligatoire

Concrètement, sur le terrain, outre les initiatives individuelles d’enseignant·es déjà féru·es de littérature jeunesse, il existe des opérations plus collectives. C’est le cas à Charleroi, où la Ville et l’Adeb travaillent main dans la main. Trente classes réparties dans dix écoles ont ainsi reçu des boîtes à livres contenant une vingtaine d’ouvrages. De quoi permettre à chaque élève de multiplier les quarts d’heure de lecture tout au long de l’année scolaire.
Ce premier pas, Simon Casterman espère le voir se multiplier dans toute la FWB. Il va même plus loin en souhaitant que le quart d’heure de lecture soit rendu obligatoire en 1re et 2e primaire, avec un vrai accompagnement. « Ça, c’est dans l’idéal, poursuit-il, mais le premier point, c’est de mettre des livres dans les classes et en quantité. Il y a un coût économique à cela, évidemment, et les éditeurs peuvent participer d’une manière ou d’une autre, mais il faut surtout secouer le cocotier politique, que des mesures soient prises pour favoriser la lecture à tous les niveaux. On doit sortir du bricolage permanent, de l’absence de manuel ».
Le livre dans les classes, à la maison, partout, d’abord pour un quart d’heure. Ensuite, n’en doutons pas, pour des heures et des heures tant la littérature jeunesse brille par la qualité – et la quantité – de sa production. Une cause nationale qui ne demande qu’à vivre de belles pages.

3 QUESTIONS À…

Jessica Castronovo, enseignante

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à « Tout le monde lit » ?
« Tout d'abord , il faut savoir que j'enseigne à des élèves de 3e ou 4e primaire, avec qui je fais le cycle complet, c'est-à-dire que je les suis deux ans. Lorsqu'ils arrivent en 3e, on les considère comme des lecteurs ‘débutants’, dont la compétence principale est le déchiffrement. Il est important dès lors de leur apprendre à donner du sens lors de leur lecture. Cependant, après plus de vingt ans de carrière, j'ai constaté un désintérêt quasi total pour la lecture. Pour les enfants, lire, c'est une ‘charge’, ils ne prennent pas de plaisir. La littérature jeunesse mais aussi toutes sortes de supports écrits sont pour moi des piliers de mon enseignement. Grâce au quart d'heure de lecture, j'ai pu convaincre mes élèves que lire est un plaisir et que plus on lit, plus on a envie de lire. » 

Quel est l’impact sur les enfants ?
« Il est de taille ! À la fin de cette année scolaire et à la fin de ce cycle, je considère la quasi-totalité de mes élèves comme des lecteurs confirmés. Ils ont une aisance pour la lecture orale et écrite, ils ont amélioré leur vocabulaire, ils utilisent des expressions, ils vont spontanément vers la lecture, ils sont capables de faire des inférences (trouver les informations cachées, non évidentes, repérer la morale d'une histoire...), ils sont avides de lecture, vont à la bibliothèque... Ils sont capables de reconnaître les différents types d’écrits ou de livres et surtout, ils ont toujours ce côté enfant, ce côté ‘imaginaire’ que l'on perd très vite avec l'arrivée des écrans. Ils sont aussi devenus meilleurs en orthographe, ce qui n'est pas négligeable. » 

Qu’en tirez-vous en tant qu’enseignante ?
« Ce qui est très important dans ma manière d'enseigner, c'est de donner cours dans la bonne humeur et de favoriser le bien-être mental de mes élèves. Le quart d'heure de lecture est notre moment d'évasion. J'apprécie aussi de voir mes élèves aller au coin bibliothèque juste pour s'occuper. Différentes sortes de livres comme les albums, les bd, les romans leur sont proposés. Insérer la littérature jeunesse dans la vie de la classe est, je pense, un atout majeur pour les enseignant·es. » 

POUR ALLER + LOIN

Tout le monde lit… en dehors de l’école

Si l’opération « Tout le monde lit » a une forme officielle dans les écoles, le concept peut aussi se développer de façon informelle. Simon Casterman plaide pour une formule adaptée dans les entreprises, de façon à sensibiliser à l’importance de la lecture. En montrant ses bienfaits (calme, respiration, évasion, concentration…), cela pourrait inciter travailleurs et travailleuses à dupliquer le quart d’heure à la maison.
Puisqu’il est question de maison, difficile pour nous, au Ligueur, de ne pas insister sur le rôle des parents. Prenez ce quart d’heure avec vos enfants, initiez-les au plaisir des livres, des mots. Et si vous épuisez votre bibliothèque, pourquoi ne pas taper à la porte des voisin·es, solliciter les ami·es, les tontons, les tatas ou même vous organiser avec les parents de la classe de vos enfants ?

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