Développement de l'enfant

La peur (irrépressible) de faire du mal à son bébé

Les jeunes pères et mères se reconnaîtront : en descendant des escaliers avec leur nourrisson dans les bras, les voilà qui redoublent d’attention. Cette hypervigilance est précieuse. Mais, parfois, peurs et angoisses s’emballent dans une spirale infernale…

C’est la découverte des actions « post-partum » de la Ligue des familles et la lecture du Ligueur et mon bébé qui aborde cette période « avec ses hauts et ses bas » qui ont poussé Cécile* à nous contacter. « Très vite, après la naissance de ma fille, j’ai eu des images de moi lui faisant du mal physiquement », confie-t-elle (lire le grand encadré). Des images violentes. Obsédantes. Incontrôlables.
Il y a aussi Léa*. Elle raconte : « À la maternité, Sofian* m’a semblé tout menu et fragile quand la sage-femme a fait la démo du premier bain. Lorsqu’elle m’a dit de faire attention à ce qu’il n’aspire pas de l’eau, j’ai pris peur. Comment allais-je me débrouiller seule à la maison ? Je paniquais à l’idée de mal faire. Mais je n’ai rien osé dire à la sage-femme. Je suis rentrée avec mon petit et, chaque fois que je lui donne le bain, des idées horribles m’envahissent. Je le vois glisser de mes mains et se noyer. Je m’effraie moi-même, alors que je me sais hypervigilante avec lui ».
Images terrifiantes, pensées intrusives. Ou quand la peur de faire du mal à son bébé va crescendo… Comment comprendre cet emballement, qui se vit plus chez la mère que chez le père ?

État d’alerte permanent

Un enfant, ça chamboule la vie, ça change ses parents ! « Toutes les femmes qui donnent naissance à un enfant se posent les trois mêmes questions, assure en préambule Reine Vander Linden, psychologue en périnatalité. Un, est-ce que je vais être une bonne mère ? Deux, est-ce que je vais pouvoir faire face à la vulnérabilité de mon enfant et le maintenir en vie ? Trois, comment vais-je être regardée par les autres dans mes capacités maternelles ? ».
La femme qui devient maman pour la première fois vit une expérience inédite (c’est vrai aussi pour le papa), poursuit Reine Vander Linden : « Tout est nouveau, tout est objet de questions. Elle doit sans cesse prendre des décisions en une fraction de seconde. Le bébé pleure dans son lit : est-ce qu’elle l’en sort ou pas ? Il est fiévreux : est-ce qu’elle l’emmène chez le médecin ou attend un peu ? Etc. Elle a, à l’égard de ce petit être fragile et dépendant, une responsabilité qu’elle n’a jamais eue auparavant ».
Normal, alors, d’être dans un état d’alerte permanent et d’anticiper les catastrophes. Combien de jeunes mamans ne se voient-elles pas faire tomber leur bébé en descendant les escaliers avec lui, le laisser glisser quand elles lui donnent le bain ou le faire chuter de la table à langer !
Oui, ces pensées catastrophiques sont inévitables, voire nécessaires. Pour les expliquer, Reine Vander Linden aime citer Daniel Stern. Dans La naissance d’une mère (Odile Jacob, 1998), le fameux pédopsychiatre (1934-2012) écrit : « La plupart des jeunes mères redoutent que leur bébé meure ou soit blessé en raison d’une inattention ou d’une maladresse de leur part. (…) Ces peurs naturelles maintiennent les mères en état d’alerte et les aident à intérioriser leurs nouvelles responsabilités. (…) Dans la plupart des cas, les réponses vigilantes et la peur qui les accompagne sont utiles à la mère et à son bébé : elles ont une fonction protectrice. C’est le moyen que la nature a trouvé pour garantir la survie de votre bébé, et bien que cela crée une tension psychologique forte, ces peurs sont en fait votre allié ». Une façon de voir les choses « très aidante », pour la psychologue.

Quand la spirale s’emballe…

S’il est troublant pour une maman descendant les escaliers avec son bébé d’imaginer une chute, en général, une fois en bas des marches, c’est oublié. Mais il arrive que les pensées effroyables restent. « Elles tournent, tournent, tournent dans la tête, observe Reine Vander Linden. La maman se fait peur à elle-même, se culpabilise d’avoir ces pensées horribles, redoute un passage à l’acte. Tout cela accroît ses angoisses. C’est comme si elle créait le malheur, plutôt que de le prévenir ».
Ces pensées tournent en phobies d’impulsion, en TOC (troubles obsessionnels compulsifs). « Celles-ci aident à se défendre contre ses angoisses, mais de façon totalement inefficace, éclaire la psychologue. Plus la maman tente de les supprimer ou de les contrôler, plus elles se renforcent ».

Dès l’instant où le quotidien est un tourment, se faire aider est précieux

Le cercle vicieux peut devenir insupportable. Quand une phobie d’impulsion entraîne des angoisses ingérables, elle indique ou annonce une dépression post-partum (ou postnatale). Ce sont alors « des angoisses, de la tristesse, de la culpabilité, de la honte, de la fatigue, des idées de mort – de soi (‘Si je meurs, je ne ferai plus de mal à mon enfant’) ou de son bébé ». Selon les études, 15 à 20 % des femmes en souffrent dans l’année qui suit l’accouchement.
La dépression post-partum (aux formes et aux intensités diverses) est aujourd’hui largement sous-diagnostiquée. « La femme voit son ou sa gynécologue six semaines après son accouchement. Si celui-ci ou celle-ci ne lui demande pas comment elle va, ce point ne sera pas abordé. Le ou la pédiatre se concentre sur l’enfant. Et même s’il ou elle l’interroge sur son état de maman, celle-ci n’osera pas forcément se confier. Reste la sage-femme à domicile, mais elle est rarement encore aux côtés de la maman lorsque la dépression post-partum se développe, majoritairement autour des 6 semaines-8 semaines de l’enfant ».

Des ressources

Quand on a l’impression de perdre pied, d’être une « mauvaise mère », c’est compliqué d’en parler à autrui. « D’autant qu’on ignore comment l’autre réagira », note Reine Vander Linden.
Pourtant, dès l’instant où le quotidien est un tourment, se faire aider est précieux. « Et donc, en parler à une personne en qui on a confiance ». Cela ne doit pas nécessairement être un·e professionnel·le, cela peut être une sœur ou une amie. Et parmi les professionnel·les, cela ne doit pas être d’office un·e psychologue, cela peut être le/la gynécologue ou le/la généraliste.
« Il y a une gradation dans l’aide possible. Si la vie devient ingérable, il faut consulter. Si on cherche à se protéger de ses actes, en plus de ses pensées, il faut consulter dans le secteur psy. Parfois, se confier à une copine et l’entendre dire ‘moi aussi’ suffira. Parfois, une prise en charge dans une unité psychiatrique mère-bébé (où ils ne sont pas séparés) sera nécessaire ». Des ressources existent.

* Les prénoms repris dans cet article ont été modifié

PAROLE DE MAMAN

D’une peur à l’autre

Pour Cécile*, témoigner, même anonymement, ne va pas de soi. « Je n’ai jamais osé dire à mes proches ce sur quoi portaient mes angoisses, de peur de leur faire peur ». Mais elle y tient. Pour libérer la parole. Pour « montrer que d’autres passent par là et vont bien ensuite ».
Par le passé, Cécile avait déjà souffert de phobie d’impulsion. C’était à la suite d’un drame vécu dans l’enfance. Le trouble est réapparu à la naissance de sa petite Lina*, au printemps 2022.
L’arrivée de ce premier enfant avait été préparée « avec joie, optimisme et sérénité ». Mais « on a découvert l’après : les pleurs, les régurgitations… Lina avait du mal à s’endormir et à être paisible ». L’euphorie du début envolée, les premières angoisses ont surgi. « Très vite, j’ai eu des images de moi lui faisant du mal physiquement. Dans le bain, je craignais de la noyer. En l’allaitant, je redoutais de la prendre à la gorge. Les images étaient très violentes. Je n’avais plus d’appétit, je n’en dormais plus, incapable de m’extraire de mes pensées ». Celles-ci touchaient sa fille et elle-même. « J’avais peur de lui donner la mort, et de me suicider ».
Était-ce le début d’une dépression post-partum ? s’est demandé Cécile. « J’avais la chance d’avoir un enfant. Mais je me sentais extrêmement inquiète, mal. Je culpabilisais de ne pas être bien. Je n’avais plus confiance en moi. J’étais désemparée avec ce bébé dont je n’avais pas encore toutes les clés ».
Cécile a consulté une psychologue et un psychiatre qui lui a prescrit des antidépresseurs. « Pour parler de mes ressentis et me conforter dans l’idée que mes pensées n'étaient que des pensées, qu’il n’y aurait pas de passage à l’acte (par moments, j’en doutais) ». Et aussi « parce que j’avais quand même envie de vivre une autre maternité que celle-là ». Cela lui a permis de « me rendre compte de tout ce que je faisais pour mon enfant ». De « réaliser que ces pensées bien qu’obsédantes ne mèneraient jamais à un passage à l’acte, qu’elles n’étaient pas dangereuses malgré leur intensité ». Et de « déconstruire ma représentation trop idéalisée de la maternité ».
Son mari et ses parents l’ont aidée par leur présence et leur disponibilité. Elle n’a rien dit à sa sage-femme, ni au pédiatre. « J’ai juste avoué à ma gynécologue que je souffrais de phobie d’impulsion. Elle m’a lancé : ‘Mais pourquoi vous ne me l’avez pas dit dès le départ ? On aurait géré la grossesse autrement’ ».
Cécile a repris peu à peu le travail. « Une source d’équilibre ». Elle est bien accompagnée. Lina grandit. « Je retrouve un rythme et des repères. Aujourd’hui, Lina a bientôt 1 an et demi et j’ai appris à trouver beaucoup de joie dans la maternité ».

POUR ALLER + LOIN

  • Infos sur les actions « post-partum » de la Ligue des familles
  • À lire : Dépression post-partum. La face cachée de la maternité de Chloé Bedouet et Élise Marcende (Larousse). Si le livre est dédié à la dépression postnatale, il aborde aussi, avec clarté et bienveillance, plein d’autres thèmes.

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