Vie pratique

« Pis, d’abord, t’es le chouchou de papy et mamy »

Les grands-parents n’aimeraient pas tous leurs petits-enfants de la même façon et auraient même un·e ou plusieurs préféré·es… On se penche sur ce délicat sujet avec notre spécialiste à double casquette de psychologue et de grand-mère.

« Mais jamais de la vie, j’aime tous mes petits-enfants de la même façon ! ». Voilà la réponse entendue dans la bouche de la très grande majorité des grands-parents à qui on a demandé s’ils avaient un ou des chouchous parmi leurs petits-enfants. Et puis, en grattant un peu cette réponse de façade, les langues se sont peu à peu déliées. De « pas de chouchou », on est passé à « peut-être qu’il y en a un ou deux avec qui c’est plus facile », pour, finalement, arriver à une grand-mère avouant un peu honteuse que, quand même, « le petit blondinet qui ressemble tellement à son papy, je lui cède presque tout ».
Est-ce que cette préférence est un problème ? Pas forcément, répond la psychologue Mireille Pauluis, parce que, très souvent, ce n’est finalement pas une question de chouchou. « Comme dans toutes relations humaines – et c’est aussi le cas des parents avec leurs enfants -, les grands-parents peuvent avoir plus d’affinités avec tel ou tel petit-enfant et donc une relation qui se marque différemment des autres. Ce qui est plus délicat, c’est la question des cadeaux, des dringuelles, des choses matérielles. Là, je pense qu’il est important de garder en tête qu’on ne saurait faire autrement qu’être équitable ».

Équité matérielle et différenciation individuelle

Marie, 72 ans, grand-mère de six petits-enfants de 5 à 17 ans, se retrouve parfaitement dans cette position d’équité matérielle pour tou·tes. « Au fur et à mesure que mes petits-enfants grandissaient, j’ai adopté une sorte de grille des cadeaux pour les anniversaires ou les bons résultats scolaires. Elle est évolutive en fonction des âges, bien sûr. Les plus jeunes reçoivent un jouet, un livre ; les plus grand·es de l’argent. Je trouve qu’il y a une certaine justesse dans cette démarche. De plus, ça ne donne pas d’attentes folles aux enfants, ils savent ce qui les attend de ma part. J’aime bien que, de ce côté, il y ait un cadre clair ».
Si du côté matériel, l’équité devrait être privilégiée, qu’en est-il au niveau du non-matériel, de la pure relation entre un grand-parent et ses petits-enfants ? Pour Mireille Pauluis, la différenciation est évidemment possible, voire recommandée, avec une certaine vigilance. « Il y a des enfants qui sont demandeurs d’activités partagées, d’autres qui ne le sont pas. Ce qui n’empêche pas ces derniers d’être demandeurs de temps passé avec papy ou mamy. Les enfants sont très attentifs à ça, il faut y faire attention, au risque de voir tomber un sentencieux ‘Oui, mais tu préfères X ou Y’ ».
Tiens, d’ailleurs, comment on fait en tant que grand-parent quand un de ses petits-enfants dit une chose de ce genre ou qui s’en approche ? « On peut dire ‘J’adore aller au musée avec celui-là, jardiner avec celle-là, jouer à des jeux de société avec toi’. Ce qui est important, c’est que chaque petit-enfant soit reconnu dans ce qu’il a d’individuel, de personnel. L’idée derrière cela est de souligner les affinités partagées plus que la préférence ».

« Ce qui est important, c’est que chaque petit-enfant soit reconnu dans ce qu’il a d’individuel, de personnel. L’idée derrière cela est de souligner les affinités partagées plus que la préférence » Mireille Pauluis, psychologue

Comment cela peut-il se traduire concrètement ? Réponse avec Bernard*, joyeux papy de cinq petits-enfants : « J’adore le foot, donc j’emmène Léo voir des matchs du Standard. Je suis fan de pêche, là, c’est Matthias qui est de la partie. Avec Lucie, c’est plutôt des balades dans le village et aux alentours. Avec les deux plus grands de la bande, qui sont aujourd’hui ados, c’est devenu moins ritualisé. Parfois ils viennent et je les vois à peine, parfois je leur apprends à jouer aux cartes et à cuisiner. Selon le petit-enfant avec qui je suis, ce sont des moments différents. En toute honnêteté, certains sont plus ou moins longs, plus ou moins intenses, plus ou moins complices. Pour le coup, je rejoins parfaitement votre psy qui parle d’affinités. Je constate effectivement que j’ai des moments beaucoup plus privilégiés avec deux de mes petits-enfants et pas avec les cinq ».

Vacances, j’oublie tout… sauf le chouchou

Ça, c’est pour les rencontres ponctuelles. Mais qu’en est-il pour les séjours plus longs comme les vacances scolaires ? « Si on dit oui à l’un et non à l’autre, c’est dur pour les enfants tout autant que pour les parents », souligne Mireille Pauluis. Confronté à cette situation, Achille* confirme le propos de la psy et les difficultés relationnelles que cela peut entraîner.
« Avant toutes les vacances, mes parents appellent mon frère pour savoir s’ils pourront avoir Basile*. Moi, c’est bien simple, depuis la naissance de mon aînée il y a neuf ans, puis celle de mon second il y a sept ans, je n’ai jamais reçu ce genre de coup de fil. Mes enfants aiment leurs grands-parents, je pense que leurs grands-parents les aiment, mais, clairement, Basile est au-dessus de tout. J’ai essayé de leur dire que c’était pas correct, que ça mettait mes enfants dans une position délicate et que c’était un problème pour moi. La seule réponse que j’ai eue, et elle est loin de me satisfaire, c’est que Basile est ‘super facile à vivre’ et que c’est moins fatigant pour eux. Genre, les miens, ce sont des tornades ambulantes… »
Pour la psychologue, il est important ici d’être capable pour les parents de discuter de leurs attentes et du rôle des grands-parents. « Comme souvent, je pense qu’il s’agit d’une affaire de cadre. Le fixer pour les uns et pour les autres, c’est se donner la possibilité d’exprimer ses besoins, ses attentes, de se dire des choses délicates sereinement. Des parents peuvent alors faire remarquer que papy et mamy accueillent quand même moins untel et untel. Ça peut permettre de réajuster les choses, et aussi de revenir avec l’idée des affinités, d’éventuellement préparer ensemble un programme d’activités, mais aussi de fixer des règles pour que les vacances soient les plus agréables pour tout le monde ».

ET AUSSI…

Le droit de dire non

Accueillir ses petits-enfants à chaque vacances, une obligation morale ? pas vraiment si on écoute certains grands-parents… et c’est très bien. « Si les parents peuvent demander une certaine disponibilité aux grands-parents, ces derniers ont aussi le droit de dire non, note Mireille Pauluis. On a le droit d’être occupé, fatigué ou simplement parce que ça ne tombe pas bien. Ce sont des choses qui peuvent toujours être discutées et que les parents doivent aussi être capables d’entendre ».

À LIRE

Une interview de Catherine Sellenet, co-auteur, avec Claudine Paque, de L’Enfant préféré (Belin).

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