Vie pratique

La révolution passera par le logement ?

Comme toujours, face au mur, les familles innovent, cherchent des solutions, réinterrogent, explorent et trouvent. Voyons comment certaines reconsidèrent l’idée du nid.

« On doit tout repenser. Tout. Qu’on soit bien, O. K., mais l’idée, c’est surtout que l’on montre qu’il est possible de tout changer. La révolution passera par l’habitat ». Les discussions sont interminables. Le café coule à flots. Nous sommes au cœur des « réu’ » d’un groupuscule de parents. Le bien nommé Brassin. Sorte d’Arche de Noé de la parentalité, dont le dénominateur commun est le mal-logement.
Cette dizaine de familles se réunit afin de réinventer l’habitat groupé. L’idée consiste à investir un lieu - vraisemblablement du côté de Tournai. Ancien monastère, gare, usine, station essence désaffectée… tout est envisagé et questionné. Les grandes lignes se dessinent. Adopter un comportement solidaire. Mot clé. Chacun, chacune chez soi. Mais en veillant aux autres. En s’ouvrant au public. Toujours. Solidarité économique. Solidarité inclusive. Solidarité éducative. Les voir rêver donne à son tour envie de rêver à bâtir ce type d’habitat, avec comme matière première l’utopie.

Collectiviser et cesser d’individualiser ?

Les colocations. L’habitat groupé. La vie en communauté. La solution à la problématique du logement résiderait-elle dans l’union ? On retrouve Stéphane Vis, chargé de missions au pôle wallon de l’asbl Habitat et Participation. Cet ingénieur civil, ayant également exercé comme architecte spécialisé dans l’habitat groupé, lui-même usager de ce mode d’habitation pendant vingt ans, n’a de cesse de répéter qu’il est urgent de collectiviser et de cesser d’individualiser l’habitat.
« C’est là que le principe de mutualiser le logement devient intéressant. À hauteur de parents, au niveau de la solidarité et de l’échange, c’est incomparable. Je n’ai jamais fait appel à un baby-sitter en vingt ans. Pour les enfants, c’est le paradis, ça multiplie des racines phénoménales. Après, il y a un revers à tout cela. »
Le revers ? Les revers, plutôt. Ils jaillissent dans la plupart des récits : énergivore, discussions incessantes, lenteurs, consensus… autant de frustrations potentielles que l’on dépasse ou pas. Quoi de plus normal ? L’intérêt du groupe prime.

Coloc-tiviser ?

« Ce sont les mêmes écueils que l’on retrouve en colocation parentale », nous dit Armand*, papa séparé, qui vit dans une colocation de mamans solos. Le rêve pour son fils Orlo*, 5 ans, qui, une semaine sur deux, retrouve ses copains et ses copines. Moins pour le papa qui déplore la difficulté des rapports humains. « Il y a toujours une locomotive et des wagons, observe-t-il. Des moteurs qui vont décider de la façon dont on doit agencer cette drôle de machine collective ». Constat partagé par les autres colocataires.
Ugo, un papa de trois enfants, aguerri à la vie communautaire et membre du collectif le Brassin, met en garde : il faut une véritable horizontalité dans les rapports. Ce que Stéphane Vis nous dit autrement. « Dans l’idée de vivre à plusieurs, la chose la plus importante que l’on ait à inventer, c’est d’apprendre à refonctionner ensemble. Reconnaître les rôles, c’est déjà un excellent point de départ ».

« Dans l’idée de vivre à plusieurs, la chose la plus importante que l’on ait à inventer, c’est d’apprendre à refonctionner ensemble »
Stéphane Vis

Chargé de mission au pôle wallon de l’asbl Habitat et Participation

Comment généraliser tout cela ? La solution soulevée à plusieurs reprises consiste à déployer des genres de coopératives d’habitations, servies par une politique anti-spéculative robuste. Ce qui pourrait constituer une solution idéologiquement forte dans laquelle même les AIS ou le foncier communal pourraient prendre part.
Retour au Brassin où le débat fait rage sur un point : l’habitat léger.

Gare au groupement communautaire qui dégénère

Amy, maman de deux enfants en attente du troisième, rêve de ce futur Brassin avec des yourtes, des caravanes ou des Tiny houses qui se fondraient dans le jardin. « On doit réinterroger la politique de la Région wallonne sur ce principe. Si on veut véritablement se mélanger socialement, on doit permettre aux plus précaires de nous rejoindre par ce biais ». La maman en fait un combat politique puisqu’elle a vécu plusieurs années à la Baraque (habitat-groupe.be), dans le Brabant wallon, véritable havre de paix constitué d’habitations type roulottes, cabanes, bulles géodésiques, serres… installées dans un verger. Reconstituer un tel équilibre ne suscite pas l’unanimité. « Gare au camping communautaire », lui objecte-t-on. Réticences soulignées également par Stéphane Vis. « Je comprends les freins de la Région wallonne sur la question de l’habitat léger. C’est parfois le paroxysme de l’individualisme, quelque part. L'enjeu, c'est avant tout créer du logement abordable. Pourquoi ne pas diviser les logements existants ? À quand une prime à la division de son habitat ? Densifier les noyaux d'habitats existants plutôt que de miter encore nos espaces verts ».
Différencier les solutions de débrouille des principes plus durables : c’est dans cet esprit que sont nés les principes d’épargne solidaire, pour permettre aux plus précaires d’avoir accès à la propriété.

Tontinez !

On retrouve Colombe Courtier et Pascale Staquet, du Petit Vélo Jaune, qui évoquent la piste des tontines. Mécanique qu’on vous a présentée à travers le parcours de Jelab, maman de quatre enfants, dans Si Mineurs, le supplément réalisé avec le CIRÉ, asbl de soutien aux personnes en exil qui est dotée d’un service logement. Depuis 2003, des groupes d'épargne collective et solidaire (GECS) fonctionnent grâce à une collaboration avec le Fonds du Logement bruxellois. Ce principe d’épargne permet de préfinancer l'acompte d'un candidat acquéreur. Le montant avancé est compris dans la demande de crédit hypothécaire et donc revient in fine dans le pot commun au moment de la signature de l'acte. Un système inspiré des tontines, épargne collective et communautaire, afin que chaque ménage puisse puiser dans la cagnotte et préfinancer son futur logement.
Les coordonnatrices du Petit Vélo Jaune ont suivi plusieurs familles de la sorte. « On l’a vécu quelques fois, dès que ces familles accèdent à la propriété, elles sont transformées. Nous les sentons libérées d’un grand poids, elles sont bien dans leur tête, d’autres choses paraissent possibles. Il y a un lien indéniable entre la santé et le logement ».
Des inégalités qui s’entretiennent. On en parle justement dans les pages qui suivent avec l’asbl Relogeas, pour qui les solutions en matière de logement doivent avant toute chose être politiques.

ZOOM

La chasse aux propriétaires peu scrupuleux ?

Vous le lirez tout au long de ce dossier, les maux sont souvent attribués à quelques propriétaires peu scrupuleux. On en a discuté avec le service juridique d’une des communes symbole de la gentrification bruxelloise : Saint-Gilles. Où l’on nous explique que traîner des propriétaires en justice prend du temps. « Il faut les retrouver, les convoquer et combiner avec la justice. Tous les jours, des agents communaux patrouillent et signalent des logements ou des bâtiments à l’abandon. Mais le temps de les libérer, cela prend facilement dix à quinze ans ». Voilà aussi qui explique pourquoi le pays, Bruxelles en tête – avec l’équivalent d’une commune inoccupée – regorge de bâtisses vides, alors qu’il y a autant de familles mal logées.

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